UNIVERSITE LUMIERE DE LYON II

ISPEF

Département des Pratiques

Educatives et Sociales

 

 

Collège Coopératif Rhône-Alpes

C.C.R.A.

 

 

 

 

 

 

 

L’ESQUISSE ARCHITECTURALE :

 

Pour une pédagogie du geste.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


MEMOIRE PRESENTE

EN VUE DE L’OBTENTION DU DIPLOME

DES HAUTES ETUDES DES PRATIQUES SOCIALES

( D.H.E.P.S.)

 

 

 

 

 

 

 

 

Directeur de Recherche

Thierry ARTUR

 

Présenté par

MINIER Pascale

LYON 1996

 

Je désire remercier :

 

. Monsieur Bertrand Bergier pour la confiance et les encouragements                            qu’il a su me prodiguer

 

. Les architectes qui ont accepté de se "livrer"

 

. Les étudiants des Beaux- Arts d’Angers

 

. Les élèves du BEP Dessinateur en Architecture

 

. Monsieur Jean-Pierre Bastide Fouque pour la constante estime qu'il
              sait me témoigner.

 

Et tout particulièrement :

 

. Monsieur Thierry Artur, directeur de ce mémoire qui m’a enseignée
              et accompagnée avec respect, conviction et créativité.

 

 

 

 

 

 

MAGIE DU GESTE

 

Esquisse...

 

A l'origine enracinée autant que possible dans "l'intuition pure"[1], il s'agit d'un langage, d'une "pensée muette"[2] en marche... car "les créations ne sont pas un acquis", tout juste un élan.

 

Eclosion de sensibilité, Merleau-Ponty nous invite.

"Cette philosophie qui est à faire, c'est celle qui anime le peintre non quand il exprime des opinions sur le monde mais à l'instant où sa vision se fait geste".[3]

 

Nous voudrions faire l'éloge de ce geste qui répond à l'inclination intérieure, déploiement du retentissement de l'être.

 

Nous désirons énoncer les vertus de la trace, expression subtile du dessein riche d'innombrables potentialités, témoignage d'un instant fugace inscrit dans une unité symbolique.

 

Avec sans doute pour ambition, de voir ces "flambées de l'être dans l'imagination" s'accomplir et faire "oeuvre d'architecture".

 

SOMMAIRE

 

- INTRODUCTION                                                              p   6

 

 

I-   DEFINITION DU CHAMP REFERENTIEL                p  19

 

1  Le projet et le projet de sens                                         p  20

2  La sensation                                                                     p  22

3  La perception                                                                   p  23

4  L’évocation                                                                      p  24

5  La mémorisation                                                             p  25

6  La compréhension                                                           p  26

7  La réflexion                                                                     p  27

8  L’imagination                                                                   p  28

9  L’introspection                                                                p  29

 

 

II-  PRATIQUE DE L’ARCHITECTE                                 p  31

 

1  L’observation                                                                   p  32

2  L’élaboration                                                                   p  42

3  La réalisation de l’esquisse                                            p  52

 

 

III- PROCESSUS DE FONCTIONNEMENT                    p  62

 

1  Contenu des témoignages                                               p  63

2  Singularité des entretiens                                               p  84

 

 

IV-  L’ETHIQUE DU PEDAGOGUE                                 p 101

 

1  Kaïros - le moment opportun                                        p 106

2  La dimension poétique                                                    p 112

3  La recherche du sens                                                       p 118

4  La valeur du geste                                                            p 123

5  L’ouverture à l’imaginaire                                              p 128

 

 

- CONCLUSION                                                                  p 134

 

 

- BIBLIOGRAPHIE                                                             p 144

 

 

- ANNEXE                                                                           p 152

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

 

 

1 - ORIGINE DE LA RECHERCHE

 

Cette recherche s’origine dans la nécessité de modifier notre regard sur le travail de l’architecte et d’enrichir une pratique avant qu’elle ne s’enlise dans les clichés et les habitudes. Un constat nous a conduit à opérer une double mise à distance de la pratique de l’architecture sur le terrain libéral et de l’enseignement.

 

Ce constat s’est porté sur ce qu’il est convenu d’appeler la "production contemporaine d’architecture" où "produit pour le seul coup d’oeil, le sens se confond avec l’effet"[4]. Ainsi, l’architecte capture un "objet" lourdement chargé de sens, qui sert de sédiment à tout un processus intellectuel. A mesure que celui-ci progresse, de la saveur originelle il ne reste que la lie, le référent s'estompe, l'objet sort de son contexte. De ce détournement du sens initial, il ne restera qu'une image évidée, exsangue. Françoise Gaillard illustre ce phénomène notamment par la crêche de Christian Hauvette réalisée à Paris rue Saint-Maur. Le bâtiment est élaboré sur l'image d'une silhouette de femme aperçue sur une publicité. Ainsi l'architecture se résume ici dans la constitution de l'image d'une image. Nous assistons à "cette remontée du concept vers l'image qui est le plus sûr moyen de neutralisation de toute réalité référentielle. Le référent s'épuise, s'exténue et finit par s'abolir dans l'image qui l'a vampirisé. Le sens y perd du coup son fondement[5].

L’architecture contemporaine s’est  peu à peu éloignée de cette ambition architecturale qui consistait à ancrer dans la matière, l'accomplissement d'un sens, au fil du travail harmonique et symbolique. De ces accomplissements qui comptent avec l'appui du temps pour concevoir et engendrer, l’architecture s’est détournée.

Bon nombre d’architectes lui préfère la "production" afin de répondre à des exigences commerciales. Aussi, ils se confondent dans une imagerie destinée à satisfaire une netteté d'exécution, une précision des formes, une performance technique, la perfection et le rendement de l'ensemble par nécessité communicationnelle. Le mot "fonctionnalisme" dénote ses buts et ses intentions. A ce moment, ce mouvement était profondément préoccupé par la condition humaine. Animé par la conviction que la nouvelle architecture devait être "l'inévitable produit logique des conditions intellectuelles et techniques de (son) époque"[6], ce courant avait l'ambition de définir des normes qui pourraient garantir une "société polie et bien ordonnée"[7].

 

Aujourd'hui, l’architecte est passé de la valeur d'usage à la valeur image.

 

Philippe Stark arrive même à "vendre" une cafetière géante au Japon, pour abriter, bureaux et surfaces commerciales. L'usage excessif de l'informatique s'est rendu complice de cette attitude, au profit d'une production d'objets architecturaux. A l'origine, l'informatique visait à répondre à cette double attente du Maître de l'Ouvrage (client) et de l'entreprise, ainsi nommée : Exigencielle/Performancielle. La notion de rendement nous a conduit par son usage à une simplification et une normalisation du processus conceptuel, vers une linéarisation de la pensée et un fonctionnement binaire qui ne sied nullement à ce travail à la fois si poétique et si complexe, compromis de concrétisation et d'abstraction, entre souci de compétence technique et désir de jouissance esthétique. Peu à peu l’usager a été écarté et l’architecture a omis de faire valoir la valeur primordiale du travail de l'architecte : l'intentionalité . L’architecture contemporaine s’est réfugiée dans la schématisation des logiciels, omettant que le fondement même de toute élaboration créative est l'intentionalité. Celle-ci réclame le respect d'une démarche itérative où d'impressions en sur-impressions, les traces de la main viennent charger le calque du poids de nos désirs pour tenter de réduire "l'irrémédiable déchirure entre la fugacité de l'image et la pérénnité du sens"[8].

 

En vue de dépasser une insatisfaction réactive et un sentiment d'impuissance face à cette évolution, nous entrions dans l'action. Nous engagions une recherche permettant de théoriser une pratique professionnelle et d'extraire une compréhension avec l'objectif de reconsidérer l'enseignement de l'architecture.

 

A l'origine, nous avons emprunté le chemin de la recherche par "intuition pure". Depuis lors, nous avons constaté une étrange analogie entre la conception architecturale et la démarche de recherche. En effet, dans sa forme, cette dernière constitue un terrain familier où "il n'y a pas de "problèmes" séparés, ni de chemins vraiment opposés, ni de "solutions" partielles, ni de progrès par accumulations, ni d'options sans retour"[9].

 

L'écoute et le respect de ces errances, de cette "genèse secrète et fièvreuse" de l'intérêt de toute chose, du sens et des vertus de l'inapparent, nous ont engagé sur le champ philosophique. Espace si étranger et si familier dès lors que les mots de Bachelard ou de Merleau-Ponty venaient se faire l'écho de nos perceptions informelles. Nous laissant guider insensiblement vers la phénoménologie, nous nous orientions vers une approche de l'acte architectural et notamment "dans cette union de l'image d'une subjectivité pure mais éphémère et d'une réalité qui ne va pas nécessairement jusqu'à sa complète constitution"[10]; à savoir : l'esquisse.

 

L'objet de la recherche s'établissait non pas sur la production architecturale mais sur l'élaboration de l'esquisse, en tant que témoignage d'un accomplissement. Mircéa Eliade le souligne dans Images et Symboles : "L'image attend l'accomplissement de son sens"[11]. Aucun acte ne saurait se faire l'écho plus nuancé de cette pensée, que ce geste d'architecte provisoire esquissant à grands traits l'esprit des potentialités à venir. Ainsi, nous choisissions de porter toute notre attention sur ce témoignage de l'homme, miroir du monde, sur cette "image (qui) émerge de la conscience comme un produit direct du coeur, de l'âme, de l'être de l'homme saisi dans son actualité"[12].

Avec le désir secret de "restituer à la création artistique sa mission fondamentale qui (nous) parait être de dévoiler l'ordre des choses, de constituer le langage suprême, celui qui se substitue aux mots impuissants"[13], nous voudrions voir éclore un mouvement fécond, doué d'une mystérieuse puissance de vision. Un "art qui ne renferme en soi-même aucun potentiel d'avenir et n'est ainsi que l'enfant de son époque, n'engendrera jamais le futur : c'est un art castré"[14].

 

Nous nous interrogions sur le moyen de parvenir à cette "renaissance". Il nous fallait forger de nouveaux outils et reconnecter l'homme à son aventure intérieure. "Pouvons-nous croire que cessera demain la course à la découverte scientifique pour une découverte intérieure ? Il ne semble pas que la conscience humaine ait encore atteint un degré de maturité suffisant pour admettre dans sa croissance le rythme des saisons de l'âme humaine. Et pourtant..."[15] Ne s'agit-il pas de permettre à l'homme de recontacter son être en vue d'un élargissement de conscience.

Il nous sembait désormais que ce défi pourrait être relevé par les générations futures. Antoine de La Garanderie, dans Défense et illustration de l'introspection nous ouvre cet horizon temporel : " Il est à mon avis malheureux que la psychologie ait vu son domaine se partager entre deux types d'héritiers : les enfants du comportement et ceux de la psychanalyse... mais je crois qu'il y aurait place pour un troisième type d'héritiers : les enfants de la conscience auxquels auraient été dévolu le soin d'aiguiser son propre instrument d'investigation"[16].

 

Dès lors, des questions surgissaient :

Comment accompagner les élèves vers la découverte de leur créativité ? Comment les conduire à élaborer une expression singulière en prise avec les profondeurs de leur être ? Et finalement expression spontanée de la pensée imaginante, l'esquisse peut-elle être enseignée ?

 

 

2 - QUESTION DE RECHERCHE

 

"La question, Valéry souhaitait la poser au début de toute philosophie".

"Qu'est-ce qu'une interrogation ?" se demande-t-il : C'est faire dépendre la proposition (...) d'une opération ultérieure - C'est introduire l'inachevé"[17].

 

C'est ce que nous nous proposons de faire.

 

 

L'esquisse architecturale peut-elle être enseignée ?

 

Au XVe siècle, Esquiche[18] signifie au plan étymologique, "ébauche", "dessin provisoire", de l'italien schizzo et schizzare : "jaillir", "tâche que fait un liquide qui gicle". Cette image confère un caractère spontané et dynamique, un acte à peine "maîtrisé". Par extension, "esquisse" s'emploie aujourd'hui au sens de : "première forme d'un dessin" et "esquisser" au sens de : "fixer les grands traits d'une oeuvre".

 

Dès lors qu'elle est qualifiée d'"architecturale", l'esquisse prend une coloration toute spécifique voire singulière ; perçue comme un outil privilégié en architecture, l'esquisse place l'architecte devant un acte,  un apprentissage, une pratique du métier. Jean-Charles Lebahar met en relief son aspect dynamique et signifiant : "Le dessin d'architecte ne doit pas se contempler comme un fossile de projet mais plutôt comme un regard, c'est-à-dire comme l'expression visible d'une intelligence au moment où elle se confronte à des problèmes."[19] Il présente cette capacité à "savoir-dessiner" comme le symptôme de "savoir-concevoir". Par ailleurs, il se réfère à Jean Piaget qui définit cette "conduite" comme un "acte déployé à l'extérieur ou intériorisé en pensée"[20], pour chercher la nature du  rapport entre ce qui se passe dans la tête de l'architecte et ce qui s'inscrit dans son esquisse.

 

Frédérique Poussin décrit l'esquisse "comme une somme d'indéterminations, ... sous forme de tremblement, ou à l'inverse, de surcharges. La figure apparaît à la fois précise et imprécise, elle ne semble pas se réduire à ce qui est figuré. Ici la capacité du dessin à servir la pensée ainsi que son ambiguïté constituent un paradoxe moteur pour la réflexion. Les traces graphiques portent en elles une force allusive"[21]. Ce dernier qualificatif nous paraît essentiel. Il évoque la richesse des potentialités contenues. Sous le charme de cette architecture de papiers, Jacques Guillerme perçoit également l’esquisse comme "un ensemble d’intentions condensées dans l’image"[22]. Il rejoint Françoise Dastur qui déclare en se référant à Husserl, "l'oeuvre d'art ne lui sert pas seulement d'exemple pour une "phénomènologie des présentifications intuitives"... mais elle constitue un modèle essentiel de l'analyse intentionnelle en tant que telle"[23]. Cette réflexion philosophique sur les lois de la connaissance et plus spécifiquement l'accès à la créativité puise ses racines dans les profondeurs du désir et du sens. Nous percevons alors une corrélation avec le "projet de sens" ainsi nommé par Antoine de La Garanderie, à l'origine de tout acte et de tout apprentissage."En limitant de cette manière notre enquête à l'image poétique dans son origine à partir de l'imagination pure, nous laissons de côté la composition du poème comme groupement d'images multiples"[24] ; nous nous appuyerons sur ce choix de Gaston Bachelard, en limitant notre étude à l'esquisse spontanée, laissant de côté la composition du projet. Aussi, nous retiendrons comme définition l'énoncé de Patrick Céleste dans Images et imaginaires d'architectures : "Première opération consistant à faire jaillir les grands traits du projet pour la mise en place du programme et du parti"[25].

 

Pour approcher le travail de l'architecte, nous nous appuierons sur quatre entretiens de quatre vingt dix minutes.  Les architectes choisis exercent une activité libérale, trois d’entre eux ont enseigné ou enseignent l'architecture. Il s'agit d'une part, d'une femme de 36 ans, travaillant seule et intervenant sur la commande privée, d'un homme de 57 ans, ayant une agence de 5 personnes et répondant aux commandes publiques et privées, d’autre part, d’un homme de 34 ans installé individuellement et s’associant fréquemment avec un autre architecte pour répondre à la commande publique, enfin, un homme de 40 ans exerçant en association au sein d’une agence de quatre personnes, répondant à la commande publique et privée[26].

 

"Analyser un symbole, c'est peler un oignon pour trouver l'oignon intellectuellement"[27]. Pour cette même raison, nous ne nous sommes pas attachés à analyser  les documents d'esquisse qui se seraient vidés de leur sens à mesure de notre progression. Nous avons préféré prêter une oreille vive et respectueuse aux récits des architectes. Ainsi, nous ne réaliserons pas une approche sémiologique, mais tentons d'apporter un éclairage sur l'élaboration de l'esquisse de l'architecte.

 

Soucieuse d'offrir une écoute attentive et de nous positionner comme observateur, nous n'avons pas choisi de "mener" ces échanges seule et avons souhaité nous associer le regard du philosophe lors de la conduite des entretiens.

 

Ceux-ci se sont déroulés sous forme de dialogue, rappelant en quelque sorte le libre échange entre l'architecte et son client, sans prétendre à l'exhaustivité. Ils ont permis de mettre à jour des préoccupations singulières et notamment une réflexion sur l'origine de ces esquisses :

"Vous dire comment le collage s'est fait ? J'en suis bien incapable, bien incapable... D'ailleurs, la discussion n'aurait pas lieu si je le savais, si je savais exactement comment cela s'est passé... et je ne dirai pas comme on pouvait dire, si vous voulez, il y a 200 ans : "c'est le mystère divin !". Hum... Bon... Je ne crois pas à cela... Enfin !... Je me méfie en tous les cas de cela"[28]. Avec sa part d'énigme, elle nous rappelle ce que Merleau Ponty nommait "Pensée muette"[29] en évoquant la peinture.

"C'est une espèce de grand silence... je ne trouve pas d'autre mot"[30]. Espace au seuil duquel tout s'origine, ce silence se pare d'une forme indicible et résonne de la profondeur de son énigme.

 

Il nous plaît à percevoir l'oeuvre d'architecture comme lien entre le ciel et la terre. Brancusi déclarait : "peut-être s'agit-il de doter l'oeuvre d'une véritable intériorité. Or l'art primitif... incarne, l'esprit intercesseur avec le divin"[31]. Il se plaisait à étirer ces oiseaux vers le ciel de manière inouïe et les dotaient parallèlement de socles si lourds qu'ils semblaient immuables. Nous suivrons ce chemin, après avoir tenté une réflexion philosophique nous reprendrons pied sur le terrain pour envisager des propositions pédagogiques.

 

3 - PLAN DE MEMOIRE

 

L'esquisse architecturale peut-elle être enseignée ?

 

A l'écoute de cet énoncé et à l'analyse minutieuse des entretiens, sans prendre en compte l'héritage doctrinaire et culturel qu'ont pu intérioriser les différents architectes, nous avons dégagé quatre temps :

 

     - Le premier temps propose de situer le champ sémantique dans lequel nous nous inscrivons. Nous définissons les différents gestes mentaux : du projet de sens à l'imagination créatrice.

 

 

     - Le deuxième temps s'applique à décrire la pratique de l'architecte. C'est une prise de contact avec son discours : Quelle est sa matière première ? Comment la traite-t-il ? Pourquoi produit-il une esquisse ? A l'intérieur même de cette approche, nous découvrons trois phases :

 

                1 - L'observation, qui permet un repérage du contexte spécifique et une appropriation des éléments qui le constitue.

                2 - L'élaboration, qui constitue un travail d'hypothèses, d'essais mentaux, de questionnements ;

                3 - La réalisation de l'esquisse qui matérialise des choix et représente un "objet" à communiquer.

 

 

     - Dans un troisième temps, nous analysons les processus selon lesquels fonctionne l'architecte. A l'examen de quatre échanges, nous avons choisi de porter deux regards :

                1 - Le contenu des témoignages en vue d'expliciter ce qui a permis l'élaboration de l'esquisse.

                2 - La singularité de ces entretiens afin de se préserver de toute attitude dogmatique.

 

Dans ces deuxième et troisième parties, nous illustrerons par les mots même de ces architectes le développement que nous venons d'ébaucher, pour tenter d'établir une correspondance claire et pragmatique avec la matière que nous avons traitée et ne pas nous éloigner du terrain qui constitue la réalité de cette pratique.

 

     - Le quatrième temps, enfin, tente d'élaborer des propositions pédagogiques, à partir de la compréhension du processus du travail de l'architecte et d'une expérience personnelle d'enseignement du dessin d'architecture, dans un lycée professionnel et dans une école régionale des Beaux-Arts.

 

 

Nous distinguons cinq étapes fondamentales :

1 - le respect du temps nécessaire : "Laissez du temps au temps".

2 - la découverte des potentialités de l'évocation.

3 - l'élaboration d'une "mise en mots " ou ré-expression tant sur les aptitudes                            que les difficultés.

4 - l'apprentissage du geste qui constitue l'ancrage dans la matière d'un                           acte conscientisé.

5 - le développement d'un regard critique.

Cet ensemble, en vue d'une redécouverte du "sens" contenu dans toute chose.

 

Cette quatrième partie puisera dans l'expression des étudiants ou des apprentis afin d'effectuer un repérage de leurs errances et de leurs potentialités et de mesurer la nécessité de ces cinq propositions pour conduire l'être en apprentissage vers une reconnaissance personnelle de ces aptitudes et une conscience de lui-même en face du monde extérieur.

 

La rencontre avec soi-même est origine et destin de toute aventure créative. Consciente que "l'éducation de l'imagination est à la source de tout développement mental de l'individu"[32], nous tenterons de conduire l'être en apprentissage vers cette alternance paradoxale d'implication et de neutralité, mouvements successifs, flux et reflux qui viendront tour à tour révéler : la dimension ludique, créative, poétique, symbolique, voie initiatique de cet accomplissement par lequel l'individu acquiert sa capacité à créer et devient "acteur" de son avenir.

 

Nous pressentons les vertus du geste.

Le geste, qu'il soit physique ou mental nous invite au mouvement. Par son étymologie, gestus signifie en effet : "attitude, mouvement du corps"[33], et gestum, "accomplir, faire"[34]. Sa signification contient une dimension corporelle et active.

 

Nous imaginons tour à tour :

Le geste corporel, révélateur du geste mental; le geste mental au service du geste physique; le geste manuel, ancrage du geste mental.

 

Enfin tous ces gestes alternés entre corps et mental assurent, dans un mouvement harmonieux, une reliance entre notre intériorité et notre rapport au monde, afin d'enrichir notre perception et nourrir notre compréhension.

 

Récepteur de cette fécondité, au fil de cette fluidité, "l'artiste n'invente pas; il découvre. Il ne produit pas; il dévoile. Il ne crée pas; il divulgue... Il voit ce que les autres ne voient pas... Le créateur semble s'accoucher de lui-même d'une oeuvre pré-existante"[35].


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I - DEFINITION DU CHAMP REFERENTIEL

 

 

 

 

Avant d’engager tout développement, nous désirons préciser le champ sémantique auquel nous nous référons. Il s’agit pour une part des travaux d’Antoine de la Garanderie sur la pédagogie phénoménologique qui puise aux sources de l’"introspection eidétique" en vue de revisiter chaque geste mental et ceux de Maurice Merleau-Ponty sur la pensée pré-réflexive, la perception immédiate avec le sens implicite qu’elle recèle. Tous deux  nous conduisent au sujet incarné, vivant en relation intentionnelle avec le monde. Cette approche phénoménologique, en revenant aux "choses mêmes", tente de saisir l’essence de tout objet et tout acte de connaissance. "L’idée d’aller droit au but est une idée inconsistante si l’on y réfléchit. Ce qui est donné, c’est un chemin, une expérience qui s’éclaircit elle-même, se rectifie et poursuit le dialogue avec soi-même et avec autrui".[36]

 

Nous allons tenter d’emprunter l’un d’eux, animé du désir de nourrir ce dialogue.

 

 

1 - LE PROJET ET LE PROJET DE SENS

 

En 1529, project, issu de pourget, possède dès les premiers textes le sens de "idée que l'on met en avant" et de "plan proposé pour réaliser cette idée"[37]. Ainsi au XVIe siècle, en architecture notamment, le projet est un "travail", une "rédaction élémentaire", un "premier état"2  ; le "projet de loi" arrive lui avec la Révolution en 1792. Mais revenons à l'architecture, où "le domaine du projet est aussi étendu que celui de tout ce qui peut être fabriqué, édifié et préfigurer une modification de l'espace"[38]. Ainsi le projet se décompose en : avant-projet sommaire, avant-projet détaillé et en projet d'éxécution des ouvrages, développant alors les différentes phases du projet dans leur complexité accrue.

 

La notion de "projet de sens" introduite par Antoine de La Garanderie en 1974, détermine le champ de la connaissance. Le projet de sens, est "l'acte mental par lequel l'individu structure implicitement ou explicitement - dans ce dernier cas par des évocations visuelles, auditives, verbales, ou par des implexes moteurs - l'activité corporelle ou intellectuelle à laquelle il va se livrer"[39]. En d'autres termes, c'est l'acte mental par lequel l'être va relier perception et évocation, ou par lequel l'individu va faire le lien entre les différents gestes mentaux.

 

Pour parvenir à la compréhension de ce qui préside à l'accession du sens, retraçons le chemin emprunté par Antoine de La Garanderie, en veillant à ne pas le trahir, lorsqu'il illustre cette éclosion par l'expérience primordiale de l'enfant : jet de l'objet devant lui.

 

Dans un premier temps, "habité par une exigence de finalité", l'enfant par le lancement de l'objet dans l'espace s'investit dans la dimension temporelle. "Ce jaillissement temporel"[40] permet à l'enfant d"'être en vue de lui-même"2 et habité du "projet" vécu de s'accomplir dans l'unité du geste, ouvrant la voie au présent et au passé.

 

Dans un deuxième temps, "l'objet envoyé dans le temps de l'avenir, touchera le sol et fera du bruit"[41], provoquant ainsi un rapport conscient entre l'évocation du projet et l'effectuation de l'acte; conscience confirmée par la jubilation de l'enfant.

Dans le troisième temps, l'enfant accentue la conscientisation . En effet, le clignotement de ses paupières témoigne de l'instant du bruit et de l'espace de rencontre établi entre le monde et l'enfant. L'enfant accueille le sens.

Thierry Artur nous le rappelle "structure, sens, et temporalité se rejoignent"[42]. La structure permet l'élaboration d'habitudes évocatives; "le sens, c'est l'a-priori du donné, du monde qui reste en attente de dévoilement"[43]. Et le projet assure le lien entre structure et sens.

Par ailleurs, Antoine de La Garanderie s'est attaché dans un premier temps au "projet", puis au "projet de sens" et enfin à la "structure du projet de sens". Sans doute pour affirmer la constitution de cette structure sans laquelle l'habitude, qui est source de liberté, ne peut s'élaborer.

Les habitudes évocatives, loin d'être figées, ouvrent une disponibilité permettant d'accueillir le monde, de recevoir nos perceptions et de comprendre ce que nous sommes en propre. Nous le comprenons, tout geste mental s'origine dans le projet de sens par lequel l'homme se relie à l'être "dans cet instant expressif où il déploie un horizon pour penser"[44].

 

 

2 - LA SENSATION

 

Conscience de l’ombre encore chargée de nuit, sensation empruntée au bas latin, sensatio, signifie à l’origine "compréhension"[45] avec cette notion d’"impression produite" qui plus tardivement se teintera, par extension, de réceptivité : "être sensible aux stimulations".

 

Merleau-Ponty la qualifie ainsi : "La sensation pure sera l’épreuve d’un "choc" indifférencié, instantanné et ponctuel"[46]. Elle peut être perçue en quelque sorte comme une réponse de l’intérieur de l’être à l’extériorité. Cependant Antoine de La Garanderie développe une notion qui nous semble importante puisqu’elle permet de distinguer la sensation de la perception : Il souligne la dimension passive de cette "attitude". Nous pouvons en effet, sentir malgré nous, sans le vouloir, sans poser un acte.

 

Ainsi, s’agit-il peut-être de renaître à l’innocence de ce qui n’est pas encore parlé vers cet espace où le monde se meut, vibrant et muet, vers cette écoute première du monde et de nous-mêmes pour sentir traverser une rumeur, un "bougé" qui nous habite subtilement et laisse la trace fugace d’une sensation.

 

 

3 - LA PERCEPTION

 

Issu du latin, perceptio, au XIIe siècle, signifiant : "action de reccueillir, récolte", perception est employée en philosophie au sens intellectuel de "connaissance", et se définit comme "acte par lequel le sujet prend connaissance des objets qui ont fait impression sur ses sens".[47]

 

"La perception n’est pas une science du monde, ce n’est pas même un acte, une prise de possession délibérée, elle est le fond sur lequel tous les actes se détachent et elle est présupposée par eux".[48] Dès lors, nos sens sont mis en éveil et la perception témoigne de notre rapport au monde. Pour ce faire, l’individu se placera en situation de projet, dans une attitude active, afin de mettre en mouvement ces différents sens et d’accueillir ce qu’il recevra par ceux-ci.

 

Nous rejoignons Merleau-Ponty lorsqu’il énonce : "La perception intérieure est impossible sans perception extérieure"[49]. Dans son rapport au monde, une "onde de choc" se produit qui vient éveiller la conscience de l’individu et répondre à l’attitude d’écoute, d’attente, de "suscitation". En revanche, nous constatons "qu’il est impossible ..., de décomposer une perception, d’en faire un assemblage de parties ou de sensations, puisqu’en elle, le tout est antérieur aux parties - et que ce tout n’est pas un tout idéal"[50].

 

En ce sens, la perception s’entend comme résultante d’une volonté d’appréhender le monde, mais se reçoit de manière "brute", indifférenciée par le filtre des sens. Cette réaction interne surgit et présentifie l’activité extérieure et notre relation à elle.

 

Mais notre attitude active ne réside à ce stade, que dans le désir de recevoir, d’accueillir, de se faire "réceptacle".

 

 

4 - L’EVOCATION

 

Il nous faut atteindre à l’évocation pour entrevoir cette volonté "d’appeler à nous-mêmes, d’attirer" ; en latin, evocare, formé de vocare : "appeler, invoquer, inviter". Ainsi, Sainte-Beuve extrapole pour signifier "une remise en mémoire, une allusion"[51].

 

Antoine de La Garanderie souligne cet aspect en définissant l’évocation ainsi  : "Présence à la conscience d’images, de souvenirs, d’idées représentées par des mots ou des symboles visuels, par un geste de projet volontaire ou involontaire. Le projet d’évoquer s’installe dans la vie mentale sous la forme d’habitudes évocatives"[52].

 

Nous retrouvons ainsi ce mouvement de la pensée vers le passé, vers la mémoire ; c’est en quelque sorte, l’origine de tout processus mental. En effet, être en projet d’évoquer, permet à l’individu d’être attentif, de mémoriser, de réfléchir, de comprendre, d’imaginer. Faute de quoi, l’individu se vit comme simple récepteur et ne prend pas sa dimension d’acteur. L’évocation est l’expression mentale de ce que nous percevons ; c’est une reproduction de la perception en image mentale. Ces images mentales peuvent être auditives, visuelles, verbales ou mixtes. Elles revêtent une forme concrète, schématique ou symbolique. Ainsi, nous est-il donné d’ex-térioriser le perçu avec l’appui de nos sens et la structure de notre mental.

 

 

5 - LA MEMORISATION

 

Cet "ensemble de souvenirs" ou cette "aptitude à se souvenir"[53]s’énonçait memoria  en latin au XIe siècle. Depuis le XVIIIe siècle, il s’agit d’"apprendre exactement", de "fixer dans la mémoire". Nous ne retiendrons pas ce sens qui suppose un travail contraignant, avec une visée quelque peu péjorative. Nous reviendrons plutôt à ce sens premier qui consiste à établir un rapport d'identité entre ce que nous percevons et ce que nous évoquons ; à savoir : "ce pouvoir de conserver et de reconnaître des connaissances grâce à un projet mental par l’acte duquel des connaissances sont placées en évocations, dans un imaginaire d'avenir, dont on s'assure la conservation et le pouvoir de les reconnaître par le jeu de répétitions verbales ou de reproductions visuelles, en en testant la fiabilité"[54].

 

L'individu animé d'un projet d'avenir, se prêtera donc au jeu de la reproduction du réel dans sa tête, avec l'intention et le présupposé suivant : "Cela peut resservir plus tard".

 

La mémorisation procède en quelque sorte de la volonté de "faire exister" dans un imaginaire d'avenir"[55], avec le projet de puiser à cette expérience, afin d'extraire sa potentialité et d'en faire usage.

 

 

6 - LA COMPREHENSION

 

Du latin, comprehensio : "action de saisir ensemble" s'élabore par extension, "l'action de saisir par l'intelligence".[56]

 

Que rassemblons-nous dans la compréhension ? Le perçu et l'évoqué dont se dégage ou non un rapport de sens. Ainsi partant des évoqués spontanés nous effectuons en quelque sorte une traduction évocatrice. De ces rapports de compréhension naît l'intuition de sens.

 

"Fruit d'un acte mental structuré par le projet d'évoquer pour les comparer, des objets de perception, des concepts (eux-mêmes représentés par des mots ou des images symboliques) jusqu'à ce qu'apparaissent à la conscience des intuitions d'identité, de différence, de relations causales, etc ..."[57]. Ainsi, s'agit-il d'établir, par le truchement de l'intuition, des rapports de similitude ou de différence entre deux évocations, ou une chose évoquée antérieurement et une chose perçue actuellement, afin d'accéder au sens contenu. Antoine de la Garanderie distingue deux attitudes de compréhension : applicante et explicante. Schématiquement, l'applicant se situe plus volontiers dans une thématique du "comment" : "Comment mettre en oeuvre ceci pour que cela fonctionne ?", l'expliquant aura besoin d'une phase de questionnements pour tenter de répondre au "pourquoi". En résumé, l'appliquant tente d'établir un rapport d'identité qu'il soit visuel ou auditif, tandis que l'expliquant recherchera une preuve de la validité de ce qu'il perçoit.

 

Dans tous les cas, nous sommes au seuil du sens révélé par l'intuition qui nous invite à cheminer vers une voie plus profonde : celle de la réflexion.

 

 

7 - LA REFLEXION

 

Emprunté au bas latin, reflexio : "action de tourner en arrière", "de retourner"[58], le sens évolue au XIIIe siècle vers la "méditation", la "connaissance de soi"[59], pour être définie par Descartes au XVIIe siècle, comme le "retour de pensée sur elle-même en vue d'examiner et d'approfondir une donnée de la conscience spontanée"[60].

 

Nous sommes alors dans une perspective volontaire qui vise à mobiliser divers acquis (empiriques, culturels, ...) par des évocations pour venir générer ce mouvement qu'est la réflexion.

 

Fortement enraciné dans l'éveil des sens et la quête du sens, l'individu entame un travail d'ouverture, adopte une attitude d'accueil à toutes hypothèses, stratégies et découvertes qui se présentent à lui. A ce stade,nous assistons à l'élaboration de relations projectives, de compositions structurées, de rapprochements de "possibles", de mises à l'épreuve conventionnelles, enfin, tout un jeu de confrontations successives, d'analogies visant à parcourir mentalement un vaste champ conditionnel. Par ce regard qui traverse les données du "sensible" du monde brut et le soumet à l'analyse de l'esprit, nous revisitons et reconstruisons une conscience de nous-mêmes et d'autrui.

 

 

8 - L'IMAGINATION

 

En 1593, Montaigne la définit comme "la faculté d'évoquer les images, des objets que l'on a déjà perçus"[61]. Au XIVe siècle, le sens convenu était plus abstrait : l'imagination était entendue comme "ce qui est conçu par l'esprit", ou "faculté de créer en combinant des idées"[62]. Issu du latin imaginatio : "image, vision" et de imaginatus : "image de rêve" nous pouvons considérer qu'il s'agit de la capacité à inventer des images.

 

Depuis lors, Antoine de La Garanderie pose l'imagination en tant que "processus de pensée consistant en une évocation d'images mnémoniques (imagination reproductrice) ou en une construction d'images (imagination créatrice). Dans cette dernière acceptation, le mot se trouve souvent employé pour désigner la capacité d'un individu à procéder à cette activité créatrice, souvent généralisée à toute capacité inventive"[63]. En résumé, imaginer consiste sans doute à percevoir le monde afin d'évoquer ce qui peut être inventé et qui demeurait caché.

 

Cette distinction entre imagination reproductrice et créatrice étant précisée, nous devons différencier au niveau de l’imagination créatrice deux attitudes à l'oeuvre : l'invention et la découverte.

 

Ainsi l'inventeur, curieux de la compréhension du fonctionnement, décèlera une pièce manquante ou un rouage imparfait et tentera de parfaire celui-ci, conscient que l'absence ou l'imperfection est pour lui le révélateur et l'indice potentiel de l'innovation.

 

En revanche, le découvreur, persuadé que tout existe, que tout est contenu, aura l'ambition de lever le voile, de "mettre à nu", de révéler ce qui est caché et n’attendait qu'un regard attentif et sensible pour le dévoiler.

 

 

9 - L'INTROSPECTION

 

Avant d'être usité dans le champ psychologique, introspection est un terme philosophique emprunté à l'anglais qui signifie "examen à l'intérieur"[64], dont la racine latine introspicere : "regarder dans, à l'intérieur de"[65] nous conduit au "dedans" (intro) pour "apercevoir, regarder" (specere).

 

La psychologie la définit comme "observation d'une conscience individuelle par elle-même et à des fins spéculatives"[66]. Tandis qu'au début du XXe siècle, la philosophie la reconnait comme "fait, pour une conscience, de se prendre pour objet sans visée spéculative"[67]. Antoine de La Garanderie la qualifie d’"introspection éidétique". "Cette introspection n'a rien à voir avec le regard intérieur psychologisant ou l'investigation proprement subjective. Elle n'a de signification uniquement lorsque la conscience fait vivre en elle son ouverture au monde"[68].

Inscrite dans la mouvance phénoménologique, "l'introspection se présente comme essentielle pour La Garanderie, (en tant qu') elle rend possible la description des vécus de conscience"[69]. En effet, elle ne porte que sur les images que la conscience se donne au moment où elle accède au sens. Nous le savons, par ailleurs, la phénoménologie perçoit l'intellect comme réceptif, prêt à accueillir l'a-priori en exerçant ses facultés d'intuitionner le sens. En aucune manière, il ne s'agit de proposer une analyse psychologique des méandres intérieurs de l'âme.

 

L'introspection dans cette perspective "se fonde sur la phénoménologie et a comme fonction l'essence des vécus de conscience"[70].

 

"La finalité de l'introspection est de mettre à nu la conscience dans sa pureté d'être, elle s'ouvre au domaine de l'essence"[71]. Ce qui permet de conférer à cette introspection, une dimension éidétique. Ainsi, "la conscience se laisse prendre par le sens, des vécus apparaissent dont l'introspection éidétique rend compte dans la pureté de leur essence"3.

 

Sans doute est-il question ici d'animer cette forme introspective de "la résolution de faire apparaître le monde tel qu'il est avant tout retour sur nous-mêmes, ... (et de) l'ambition d'égaler la réflexion à la vie irréfléchie de la conscience"[72].

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

II - PRATIQUE DE L'ARCHITECTE

 

 

 

 

1 - L'OBSERVATION

 

- Ce qui fonde tout engagement dans un travail de conception en architecture est sans doute : l'observation. En effet, l'architecte, pour qui tout projet "nouveau" est une véritable découverte, prendra soin de "faire connaissance" avec le site, son contexte. "J'attache beaucoup d'importance au lieu, au contexte, la réalité est excessivement importante"[73]. Cet architecte expose cette idée jusqu'à son paradoxe, se référant à un concours sur Deauville : "Deauville, je trouvais cela factice, "toc !" ... "Merlin-Plage", ... sans caractère ... Mais, c'était aussi son caractère de ne pas en avoir"[74]. Ainsi ajoute-t-il : "je vais me rendre compte physiquement"[75] et "tout cela participe de l'accumulation de références et de l'accumulation, je dirais, de mémoire visuelle ... qui est le terreau dans lequel je vais puiser"[76]. Ensuite, il entreprendra de rencontrer longuement le client ou les futurs usagers et de lire attentivement le "programme", définissant dans le détail "l'objet" à construire. Voici le regard que porte l'un des architectes qui semble assez bien témoigner d'un avis commun : "C'est juste une prise de connaissance des besoins, des contraintes ; en général, c'est quand même un "pavé", je retire les deux tiers parce que c'est inintéressant et dans le tiers restant, je repère très vite par un schéma, une image globale, les proportions, les besoins"[77].

 

Ces prises de contact à des niveaux divers : géographiques, humains, psychologiques, intellectuels, ne s'ordonneront pas nécessairement selon des règles d'usage mais plutôt selon les circonstances et la nature de la commande. Ainsi, un projet proposé sur concours d'architecture s'abordera plus fréquemment par l'analyse du programme et la visite du site sans rencontre préalable avec le Maître d'Ouvrage. En revanche, une commande privée associera dès les premiers temps l'architecte et le client qui, après s'être rendu sur le terrain, définiront ensemble le programme. Dans tous les cas, l'architecte fait face au rapport de l'homme à son environnement. De la visite du site, "il reste la sensation physique"[78]. Nous nous trouvons en amont de ce que Jean Charles Lebahar nomme dans Le dessin d'architecte, "la situation de résolution de problème"[79].

 

En effet, ici est à l'oeuvre et nous allons l'illustrer, une combinaison dynamique entre subjectivité et objectivité.

 

A ce titre, nous pouvons dire que le programme tend à définir de manière "objective" le contenu du projet. Certains s'appliqueront à en faire une "lecture"[80] attentive. "Le programme est très déterminant"[81]. En effet, "un programme, c'est rigoureux, c'est la manière dont on classe les choses"[82] et néanmoins il existe cette conscience qui indique que "si on s'arrête strictement à l'analyse du programme, ... cela ne marche pas"[83]. Pour cette raison, d'autres y capteront "quelques phrases qui nous sautent à la figure" et surtout "des dizaines et des dizaines de pages inutiles sur la manière de..."[84].En effet, dans le programme perçu parfois comme assez incompréhensible avec ses données normées, techniques, les choses dites et celles non dites, non des moindres, l'architecte tente d'accumuler des informations : "Saisir une atmosphère, une mentalité, essayez de comprendre ce qui est, un non-dit qui n'est pas du tout exprimé dans le programme". Finalement, tout un travail qui consiste à "décortiquer, être très en éveil, emmagasiner un maximum d'informations pour en faire une synthèse"[85]. Il reste que chaque architecte en interprétera le contenu avec ses références propres et son imaginaire, cette matière prendra alors une dimension toute subjective.

 

"Le site, le terrain sur lequel on va travailler, ce qui est déterminant quand même"[86] va être parcouru, regardé, photographié, intégré par l'architecte, afin que celui-ci se laisse pénétrer par les sensations qui l'habitent sur le lieu, "lieu dont il émane toujours quelque chose"[87]: "En général, je cherche ce qui peut être la particularité d'un endroit, d'une situation et il y a pratiquement toujours quelque chose : il fait beau, des orientations, des vues, un contexte, qui peut être météorologique, topographique, topologique, historique"[88]. En fait, "j'essaie de comprendre l'endroit, quelqu'il soit : naturel, pas naturel, physique, urbain"[89]. "Je suis assez curieux... j'aime bien voir de manière très très diverse, accumuler des informations qui au bout d'un moment se structure et prennent leur sens... forment une sorte de background"[90]. Et parallèlement, des plans aux côtes altimétriques précises permettront de tracer objectivement des profils et de projeter une intégration réaliste.

Concernant la communication avec la maîtrise d'ouvrage (client), nous distinguerons deux types de relation.

Le projet proposé sur concours ne créera pas obligatoirement une rencontre entre l'élu local (qui n'est pas souvent l'usager futur) ou le P.D.G. d'une entreprise et l'architecte ; dans ce cas, les interrogations sont multiples: "Qui est le Maître d'Ouvrage ? Comment est composé le jury ? Quels sont les hommes politiques qui sont derrière ? Est-ce qu'ils vont entendre un discours sensible ou alors, est-ce que finalement, ils veulent simplement un prix... et puis bon... des bons résultats techniques... Est-ce qu'ils ont une bonne culture architecturale ou pas...?".[91]

 

En revanche, entre des particuliers et un architecte, la relation est qualifiée de "tout à fait privilégiée" et de "fondamentale" : "Je me "nourris", ... de ce qui les anime, de ce qu'ils ne disent pas quelquefois... de ce que je pressens... en prenant soin de les respecter, de ne pas induire des choses, malgré eux... mais de décrypter... peut-être les choses qui sont plus signifiantes"[92]. Une reformulation des propos vient s'assurer d'une parfaite "résonance" entre eux. Notes, croquis, "bons mots", sensations et organigrammes viennent témoigner de l'échange et "clarifier la pensée". Les prises de notes se révèlent être un "ancrage".

 

Tour à tour, nous observons la description de "l'objet" à construire dans ce qu'il est convenu d'appeler "le programme", définissant le contexte géographique, topographique, urbain selon le cas. Et parallèlement, nous rencontrons une population ou quelques individus qui sont destinés à investir les lieux conçus.

 

 

-De ces observations multiples, se constitue un stockage d'informations : "Il y a tout qui vient se bousculer dans la tête"[93] et vient s'associer à un champ référentiel pluridisciplinaire : "Une espèce de grand ordinateur dans lequel on stocke presque tous les éléments dont on a besoin pour "faire la cuisine"3. Et parallèlement, l'architecte se ressent habité" de sensations informelles"[94].

 

Nous sommes au prise avec ce qui constitue la "matière première" : une multiplicité d'informations disparates,

. cohérentes ou incohérentes,

. compatibles ou incompatibles,

. rationnelles ou irrationnelles,

. simples ou complexes.

 

C'est une quête. Pour certains, il s'agit d'appréhender spatialement dans la globalité, en n'ignorant pas que c'est un leurre. "J'ai besoin de résumer sur une seule page, que je puisse voir globalement tous les besoins, les surfaces, comprendre les relations..."[95]. "Encore une fois, c'est prendre toutes les informations et puis chercher à les étaler sur une seule page, pour visuellement prendre tout d'un seul coup, comme cela"[96]. Pour d'autres, c'est encore le temps d'engranger : "On se nourrit de tous les substrats que l'on a : un substrat personnel, culturel, un substrat varié qui s'accumule ; on se nourrit de tout cela  pour en faire quelque chose"[97]

 

Ces deux récits témoignent de deux natures de projet de sens. Dans le premier cas, le travail ne pourra s'amorcer qu'après avoir réuni tous les éléments. Afin de traiter cette information, l'individu aura recours à la dimension spatiale qui lui permettra d'appréhender le problème posé dans la globalité.

 En revanche, dans le deuxième cas, il s'agira d'étudier tout à tour chacun des éléments, de vérifier de façon successive la faisabilité et la concordance des différentes préoccupations et de progresser ainsi linéairement en s'inscrivant dans la temporalité.

 

Enfin, l'architecte fait face à un écheveau dont il va falloir extraire quelques fils, pour tisser de manière poétique, dans la cohérence..., un projet qui "est un arbitrage car il s'agit de faire coexister diverses pertinences"[98]. Mais ceci est prématuré.

 

Pour l'instant l'architecte est au prise avec de l'informel, des sensations variées, des aspirations, des contraintes, des références culturelles,un ensemble de données éparses de deux natures : celles inhérentes au projet lui-même et celles accumulées sans finalité immédiate dans son métier et dans sa vie.

 

Ce qui fait dire à cet architecte : "Moi, je n'arrive pas à dissocier les choses. Je crois que l'architecture, on en fait tout le temps"[99]; et celui-ci ajoute : "c'est très intéressant de faire de l'architecture, mais c'est très, très intéressant de vivre une vie d'architecte... parce qu'inconsciemment tout vous intrigue et tout vous fascine"[100].. Nous réalisons dès lors le projet de sens implicite à l'oeuvre, vécu au quotidien par les architectes, qui anime leur regard sur le monde.

 

En définissant le projet de sens, nous avons distingué le projet de sens implicite du projet de sens explicite. Ces témoignages relatent l'intégration des habitudes de sens qui permettent de traiter l'information plus rapidement, de voir se créer des associations ou d'enregistrer des contradictions et enfin de structurer les données implicites et explicites. Les enseignés ne possèdent pas d'habitudes de sens et l'un des enjeux du pédagogue est sans doute de les aider à se constituer des outils nécessaires à leur élaboration. Ces habitudes de sens sont autant de pierres posées, familières, repérées qui accompagnent la traversée à pieds secs, des zones marécageuses de l'inconnu pour mieux rebondir vers la découverte.

 

 

Dans le témoignage précédent, l’architecte évoque à la fois, le métier et la vie qui façonnent un terrain quotidien, fertile et supposent un éveil permanent. "Tout doit vous intéresser", cela pourra vous "resservir pour plus tard, on ne se dit pas cela mais c'est exactement ce qui se passe"[101]. Ici, apprentissage du métier et expériences de la vie constituent une base de données culturelle et sensible en perpétuelle mouvance, engendrant harmonies, contraires, analogies, antinomies, ... un creuset complexe et dynamique, lieu de rencontre des perceptions et des évocations. Ici, fermentent les souvenirs affectifs ; là s'engrange une culture historique, philosophique, picturale, architecturale, scientifique. Certains d’entre eux ont choisi de voyager : "J'aime pas mal bouger, voyager, aller voir les choses, c'est-à-dire je suis très curieux, je vais voir les choses ... j'ai douze ou quinze mille photos d'architecture"[102]. A leurs côtés, vieillissent les acquis des expériences passées, rafraîchis par l'air nouveau d'une réalisation contemporaine inédite.

 

 

Les données inhérentes au projet architectural, devront être inscrites dans le projet de sens. Pour ce faire, l'architecte se fera "miroir" de l'usager : "d'une certaine manière, je vais les faire miennes, ... c'est-à-dire que je vais réussir à les intégrer... parce qu'elles ne m'appartiennent pas et en même temps, il faut qu'elles vivent à travers moi pour que je puisse, ... pour que... pour qu'à un moment donné, à la fois ma main et mon esprit, se mettent au service de désirs qui ne m'appartiennent pas"[103]. Cette intégration complexe s'appuiera pour certains  sur une prise de notes minutieuse qui permettra de "capturer" en quelque sorte les "matériaux", ainsi que des schémas spatiaux qui inscrivent en mémoire les fonctionnements. Parallèlement, d'autres se parleront avec photographies en support : " Je parle, je montre et je parle des choses que j'ai vues, que je resitue et que je remets dans un contexte"[104]. Ainsi,, "en décrivant, on revit d'une certaine manière et effectivement, on est dedans"[105]. L'ensemble constituera un support perceptif et évocatif, témoin visuel de cet échange de données.

 

Arrêtons nous sur ces deux façons d'appréhender les éléments du projet. C'est au moment où l'architecte traite l'information que le projet de sens prend sens. Les récits précédents exposent la phase d'intégration nécessaire pour que le projet prenne vie.

 

Dans le premier cas, schémas, photos, plans, enfin tous les éléments graphiques, prises de notes, sont autant d'images visuelles sur lesquelles l'architecte s'appuiera pour étayer ses commentaires. Ainsi, il élaborera une évocation verbale sur fond de perceptions visuelles.

En revanche, dans le second cas, l'architecte se parlera, développera des images verbales, alimentera ses perceptions en mots afin de nourrir l'évocation visuelle qu'il visionne mentalement.

 

 

Dans les deux cas, deux processus simultanés se conjuguent : l'introjection de réalités diverses et la mise à distance de cet amoncellement de matière. Dans cette dynamique alternance , le développement analogique se régule.

 

 

- Nous assistons à la rencontre de "perceptions" et d'évocations présentes sur un problème donné et d'évocations qui renvoient à des perceptions passées, des souvenirs de perceptions. "De toute cette potentialité...", de "ce magma" on arrive à extraire des relations complètement atypiques, inédites... le fait du "hasard", les choses se confrontent comme cela ou se rencontrent "[106]. De ces rencontres, issues de cet enchevêtrement, émergent des images visuelles, auditives, verbales et parfois même mixtes. "Cela revient, cela revient alors, là... comment ? Pourquoi ? Voyez ..."[107]. "Quelquefois... il y a un mot qui surgit... je n'écarte rien, j'accueille, j'enregistre ce qui vient"[108]. Il s'agit sans doute de laisser monter une réminiscence, cela peut-être un mot, mais aussi un mouvement, un geste, une image ou un parfum qui lui-même entrera en résonance avec un souvenir lointain ; celui-ci surgira des profondeurs, parfois masqué, et empruntera une forme "symbolique" évocatrice qui se fera l'écho de sa survivance. Nous sommes tout entier plongés dans un univers de sensations : les mots même fabriquent des images mentales qui réactivent à leur tour le processus évocatif.

 

Dans un premier temps, évocations, perceptions, sensations, ensemble se côtoient et s'accompagnent sans forme apparente ; le recours à l’expression orale  permet sans doute d'engager une objectivation, d'amorcer un raisonnement quoique les mots ne soient encore fugitifs à cet instant : "Quand je parle, si vous voulez, c'est pour éliminer... c'est pour éliminer"[109]. Nous sommes sur le seuil de l'imaginaire, "qui va permettre de réunir des choses que la conscience ne réunirait pas ou la pensée rationnelle ne rapprocherait pas... simplement par un petit détail..."[110].

 

- Et ainsi, vont s'opérer ces mécanismes, vont se succéder ces opérations complexes jusqu'à discerner une ébauche d'analyse qui permettra de distinguer un processus :

. Nous voyons ceci...

. Nous nous parlons ainsi...

. Nous percevons cela...

. Cela nous évoque...

. Cela nous renvoie à d'autres perceptions antérieures, ...

. Et ainsi de suite, des allers et retours sans nombre vont venir nourrir ce travail et introduire une profondeur dans l'expression future. Cette lente intégration, apparemment "fastidieuse" peut être vécue comme un "jeu" de correspondances, apportant de nouveaux éclairages et transmettant une compréhension accentuée du contexte. Antoine de La Garanderie le souligne : "Les évocations vagabondes... s'expliquent par des sollicitations instinctuelles, des tendances affectives, des mécanismes associatifs"[111].

 

De sorte que c'est assez étrange... pour travailler sur l'espace, j'essaie avant tout de comprendre les êtres pour lesquels je travaille"[112]. Cette communication extérieure s'accompagne d'une communication "interne" une saisie de l'observation extérieure par commentaires intérieurs qui permettent d'analyser, de réfléchir, de sélectionner, d'écarter, de conserver, de traiter en quelque sorte ces informations afin d'extraire enfin, la matière "brute", "propice à l'élaboration du projet et d'accueillir ce que Pasteur énonçait avec tant de clarté : "les hasards heureux n'arrivent qu'aux esprits préparés[113].

 

"A la limite du déchirement, il ne reste plus rien que les conditions de temps ou de l'espace. Mais ces conditions - les conditions de la perception - sont le fondement de tout"[114].

 

 

2 - L'ELABORATION

 

Nous voici au seuil de l'élaboration. Après un temps d'intégration, de "digestion", va émerger de ce "fouillis" : subtile, percutante, vivace, une "vision" qui vient relier certains éléments et en placer d'autres en opposition. "On peut appeler cela : intuition... quelque chose qui intervient... en fait, il y a une série de déclencheurs non assimilés ou non analysés qui sont là"[115].

 

Cette vision va permettre un certain ordonnancement qui ne résultera pas d'un choix conscientisé, mais de l'harmonisation de la matière première autour de ce fil conducteur, qui peut paraître, de prime abord, un peu aléatoire. Nous avons choisi d'illustrer ce "processus" par le témoignage d'un architecte relatant la conception d'une tour de contrôle implantée à Deauville.

 

"Comment c'est venu ? C'était assez vite. J'ai eu une image qui était plutôt sur l'élément principal qu'est la tour de contrôle. C'est particulier parce que là, c'est plutôt un travail d'objet et c'est assez rare"[116]. "Donc, j'ai eu une image assez vite qui correspondait à Deauville..., je voulais un objet un peu "chic", un peu mystérieux, assez unitaire et au début, j'ai pensé au talon aiguille d'une chaussure"[117]... Deauville "je voulais quelque chose d'élancé, comme cela, plus un élément vertical, je voulais une base minimale... j'ai pensé, alors là, d'où elle est venue, je ne sais pas, je suis sûr d'avoir pensé à un talon aiguille. Après, je l'ai un peu rationalisé et donc c'est resté sur le rapport à Deauville et à une femme"[118]... "C'était un objet très fuselé, en fait, un peu comme une fusée avec un grand chapeau et je voyais un chapeau de courses. C'était un rapport à Deauville, champ de courses, etc... J'ai gardé un peu le projet avec cela pendant un moment puis non, fonctionnellement cela ne marchait pas"[119]. "Le chapeau cachait les avions en haut. Alors, à mon corps défendant... j'étais très triste de laisser tomber le chapeau, parce que je voyais un vrai chapeau, je voyais un "truc" très ombré avec une petite voilette, donc j'ai laissé tomber ce "machin"[120]. "Après c'était plus le chapeau, mais il y avait l'idée d'un objet... d'une torche, assez mystérieux, un peu sans échelle qui avait une autonomie, un peu scintillant avec de la lumière... J'ai perdu le chapeau mais on retrouve le talon aiguille"[121].

 

Evoquant la même phase du travail, voici un autre témoignage qui évoque une toute autre démarche :

"Je ne crois pas que l'on ait un projet fait dans la tête, que l'on peut transcrire tout de suite"[122]. "Mon sentiment, c'est d'avoir une grande part d'analyse au moment du programme; le programme, c'est quoi? un langage verbal... nous on a une transcription à faire; c'est pas simple"[123].

 

 

- "On met en mouvement un nombre de paramètres considérables"[124] : Dès lors, s'engage tout un travail de mise à distance des perceptions. L'objectif en architecture, c'est notamment de dépasser les différences ; aussi la nécessité d'un recul se fait pressant dans cet enchevêtrement. "Je refuse... avec toute la force et l'énergie dont je suis capable, de m'enfermer dans une forme dès les premiers instants"[125]. Il reste néanmoins que "l'enjeu", c'est quand même de créer une entité"[126].

 

Une entité, voici une notion complexe qui mérite quelques éclairages. L’un des architectes faisait référence à un précis qualifié par lui de "petit manuel du designer très "éducation nationale"" où l'auteur expliquait très naïvement la méthode qui permet d'obtenir un "tout". Voici comment le relatait cet architecte : "Je découpe en tranches de jambon ; une tranche de culturel, une tranche de symbolique, de sémiologie, d'ergonomie, d'informatique, ... et une fois que j'ai découpé le jambon en tranches, j'ai le jambon... en fait, je n'ai pas le jambon"[127]. En réalité, il s'empressait d'ajouter "la liaison de l'idée, ce n'est pas la somme de tout cela. On a besoin de tout cela et il y a un va et vient... et on a besoin d'autre chose ; d'avoir des références, d'analyser, de comprendre, de démonter... je dirais analyser un peu le sens caché"[128]. Mais au-delà de tout cela "ce n'est pas cela qui fait l'objet ; de très bons historiens de l'art sont incapables de produire quoi que ce soit".[129]

 

Au travers de cette illustration, nous sentons cette double nécessité de préserver une extrême liberté d'action en ménageant une ouverture aux perceptions, une place à l'analyse et parallèlement de se dégager de celles-ci afin de se "laisser toujours une latitude"[130]. Cette nécessité nous est confirmée par le récit qui suit : "Le stade de l'analyse, c'est pour moi l'analyse intellectuelle, c'est le stade du document du programme, c'est cartésien... pour essayer d'embrasser le tout. Autant après sur le terrain, c'est sensible, c'est évident et la réaction que je vais avoir après, c'est une analyse sensible... je dirais, ce n'est pas une réflexion"[131].

 

Nous le voyons, les frontières sont épaisses et rassemblent de multiples attitudes, sentiments et mouvements de pensée. Cependant, dans tous les cas, cette distanciation va permettre de réaliser des "essais mentaux".

 

- Que constituent ces "essais mentaux" ? Il importe de souligner qu'ils se vivent à différents niveaux : lors de la mémorisation, de la compréhension, mais aussi de la réflexion et semble procéder de tentatives d'assemblages, résulter de la confrontation d'images de nature variée : visuelles, verbales, auditives ou mixtes : "Qu'est-ce qui fait que... tel objet peut s'assembler avec tel autre objet, mais aussi... Qu'est-ce qui fait que tel ou tel objet soit totalement incompatible avec le propos ?"[132]. Ici, se révèle surtout un "fonctionnement par inadéquation" qui permet d'éliminer ou d'écarter "toute tentative de..."[133]. C'est tout un travail discursif : "Ce que je vais ajouter là, cela ne marche pas avec cette idée là" et aussi "mais non, si je mets cela, ce n'est pas compatible avec..."[134].

 

De ce discours, qu'entretient l'architecte avec lui-même, les évocations vont se démultiplier et se décliner sur le mode interrogatif. "Vous commencez par les assembler par bouts"[135], ce qui engendre alors un foisonnement de questions, de doutes : "Comment on va faire ?" - "Qu'est-ce que je vais voir de tel endroit ?" - "Est-ce que c'est la bonne échelle ?" - "Est-ce que c'est cela ? " - "Pourquoi pas ?" - "Comment traiter ? Avec quel matériau ? " Et ainsi de suite. "Qu'est-ce que ça coûte ?"[136]. C'est une sorte d'auto-évaluation avec une consigne impérative "laissons émerger... tout ce qui vient"[137]. Il s'agit de tout un travail "ne pas vouloir figer les choses, comme cela en amont derrière une idée qui serait préconçue, justement : pré-conçue"[138]. Une idée toute faite, souvent qualifiée de "gratuite" et qui n'aurait pas fait ses preuves devant les contraintes diverses. "A un moment, il y a une chose qui paraissait anodine... puis après, à la réflexion, on passe à autre chose, il se passe du temps et puis il y a des critères de jugement ou de choix qui varient dans le temps"[139].

 

Il nous semble important de préciser que parallèlement à cette approche discursive, d'autres architectes se laisseront conduire vers l'évocation visuelle en assemblant les images à mesure que l'une d'entre elles complète ou supplante l'autre. En effet, pour certains d'entre eux, la main laisse la trace innocente de son désir, superposée à l'inscription précédente.

La "transparence relative" du calque permet de conserver visuellement la mémoire ou la présence du geste. Parallèlement, les superpositions successives confèrent une opacité qui estompe ou efface ce qui désormais n'anime plus la main. Tracer des lignes pour le plaisir, sans exiger de tout geste des explications rationnelles alourdissantes, tel le moine au monastère du Daisen-In ou du Ryoan-Ji à Kyoto qui "inscrit sur la surface de sable un vaste jeu d'ondes qui s'interpénètrent, unissant la mer aux vibrations du soleil levant, magnifiant le geste du premier homme ou de l'enfant face à sa feuille de papier"[140].

 

Ainsi, "on finit pas travailler comme un sculpteur, c'est-à-dire, on enlève ou on ajoute"[141]. "La statue est contenue dans ce bloc de pierres" ; le sculpteur taille, "il la découvre". "C'est à peu près la même chose parce que si vous voulez, le projet est immanent au lieu... Il est immanent... Oui, il est contenu"[142]. Et l'architecte le sait ; il n'aura de cesse de le découvrir en rentrant avec acharnement dans cette dynamique.

"La pensée de l'architecte est itérative et fonctionnerait en spirale, c'est-à-dire au fur et à mesure... Vous pourriez rajouter ou enlever des choses. C'est un mouvement... Un phénomène rémanent parfois, qui , bien qu'on arrête la cause, les faits continuent. Ils vous entraînent plus loin"[143]. Dans tous les cas, "j'essaie de qualifier l'espace et de retenir ce qui m'intéresse ou la contrainte qui m'est imposée"[144]. La prudence de cet architecte lui fera ajouter : "Je crois qu'il ne faut pas être trop rapide à dessiner, cela c'est très vrai..."[145].  Et toujours dans un souci de qualité accrue: "Ce qui manque c'est vraiment le regard d'architecture: c'est donner un esprit à la vie en fait, ... un esprit à la vie du projet"[146]. Ceci va être nourri par les faits certes, mais aussi les effets que l'imagination à l'oeuvre imprime, révèle en trois dimensions avec matière, lumière et couleurs.

"C'est autant la conscience du point de vue que la possibilité de le faire varier qui confère à la figuration architecturale, sa virtualité"[147].

 

C'est avec cette conscience que l'architecte amorce ce que Teilhard de Chardin nomme : "Le tâtonnement, où se combinent si curieusement la fontaine aveugle des grands nombres et l'orientation précise d'un but poursuivi. Le tâtonnement qui n'est pas seulement le hasard, avec qui on a voulu le confondre, mais un hasard dirigé"[148]. Enrichir la problématique est l'une des priorités. "Les questions sont très importantes"[149]. "Au début, je crois qu'il ne faut pas être pressé"[150]. Peut-être s'agit-il de s'autoriser à flâner dans cet univers nouveau.

 

Nous mesurons le savoir-faire et la créativité mobilisés au service de cette recherche qui conduit au seuil de la représentation imprécise et lumineuse, issue des brumes du songe et très élaborée et nous le constatons la projection mentale suppose de multiples abstractions. A ce stade, la réalité spatiale s'efface devant les projections du "dessein". Jean-Pierre Boutinet dans son ouvrage Anthropologie du projet effectue un rapprochement par l'étymologie entre dessin et dessein. "Ce dernier dérive de l'italien designe, lui-même issu de disegnare ; au XVIe siècle, desing et pourject avaient des sens très proches d'image jetée en avant"[151]. Revenons au récit de la conception de cette tour de contrôle à Deauville. "Dans l'évolution, il y avait le croquis d'origine (le talon aiguille coiffé d'un chapeau). J'avais beaucoup de peine à l'enlever. Je trouvais que c'était plus chic. Cela me faisait toujours penser à ... une demoiselle sur les planches de Deauville. Le lieu n'avait pas d'intérêt. Alors j'essayais de prendre ce que j'imaginais de Deauville et de l'amener dans ce lieu là"[152]. Autrement dit, cet architecte projetait devant lui l'objet en vue de construire son projet.

 

 

- Pour permettre d'extérioriser cet élan, l'architecte devra constituer une somme d'hypothèses, issues de ces allers et retours incessants entre images mentales visuelles et commentaires intérieurs. Il lui faudra "construire dans sa tête avant que dans le monde, construire consciemment : acte premier, acte pionnier de l'architecte"[153]. Ces hypothèses seront évaluées au moyen d'organigrammes épurés et vifs, "d'images globales... à peine lisibles... juste ébauchées"[154], de croquis saisissant dans l'instant des cheminements, des obstacles ou des associations incontournables. Ce travail permettra sans doute d'enregistrer la complexité , de la "mettre à plat" et de canaliser l'ensemble vers un objectif : la recherche d'une "même résonance". Ensuite, se laisser conduire, "être accroché à un fil conducteur qui est si fort qu'il vous interdit"[155] d'introduire des éléments incohérents ou dissonants. La prégnance de ces schémas induira une mémorisation et une conduite singulière dans la recherche, conduite qui répondra spécifiquement à ce projet. Le processus recouvre une dimension rationnelle indéniable permettant de faire face aux contraintes, de structurer la réflexion et surtout de la spatialiser, soit de façon évocative, soit de façon perceptive. Cette approche un peu "technique" n’exclut pas toujours la nature "poétique" et "sensible", de ces expressions. Ces tracés vont permettre d'objectiver cette complexité contraignante et avec l'appui de l'imaginaire, d'autoriser la pensée à vagabonder, à s'affranchir de ces "contraintes énormes" car "à un moment donné, on n'a tellement pas de liberté, c'est extraordinaire"[156] par rapport aux règles générales et de tenter de "les dépasser pour en faire quelque chose d'intéressant"[157].

 

Avec l'appui du silence, d'un espace-temps "suspendu" tel le soupir sur une portée musicale, "on va réintroduire... toute la dimension évocatrice, ... laisser venir les images" et se laisser conduire vers cette idée qui est dans l'air. Dès lors l'imagination s'emploie à révéler cette potentialité, non encore éclose et néanmoins contenue dans le réel : dépasser le "donné", afin de permettre l'apparition de l'"indonné".

 

 

Les "poussées de l'imagination qui produisent des images... sont souvent au départ très très incomplètes mais... relient un, deux, trois... éléments et puis... d'autres images qui relient trois ou quatre éléments"... "Les choses se composent... ça me fait presque penser aux images de la cellule qui se reproduit"[158], jusqu'à constituer une entité. Ce processus mental et graphique, se poursuit jusqu'à acquérir la structure et la résistance de la toile d'araignée. "Certaines images en génèrent d'autres qui permettent toujours le lien plus fort"[159], c'est sans doute, cette force dont l'architecte cherche à s'assurer avant d'affronter la page blanche. Tous ces croquis, ces bouts d'essais, de regards ou de compréhensions ne sont que des tentatives qui ne prétendent pas "embrasser" l'ensemble de la réalité du projet et de sa complexité. Seul le geste libéré, poursuivant sa trajectoire sans entrave esquissera le projet à travers néanmoins un certain nombre de traces.

 

 

- L'analyse et la réflexion laisse donc place au geste d'esquisse qui aura pour ambition souvent inavouée de permettre une réconciliation de l'ensemble des paramètres dans une seule et même vision harmonieuse.

 

En effet, "si je reste dans les bouts, je fais du collage, je ne fais pas de l'architecture, je ne constitue pas des totalités". Et "si je veux que cela ait un sens"[160], il nous faut concevoir l'objet architectural dans une vision réconciliée.

 

Mais cette phrase requiert précisément "une forme d'humilité : "laisser advenir". "Je n'ai pas du tout envie de tout maîtriser parce que je crois qu'il y a plein de choses qui sont beaucoup plus riches que celles qui arrivent à la conscience... tout ce dont on n'a pas conscience qui s'insinue et qui vient nourrir, enrichir et qui nous fait... relier les choses... que l'on n'aurait pas relier consciemment.. qui produisent des choses vraiment... qui me surprennent moi-même"[161]. En effet, "parfois on voit l'origine et parfois on ne la voit pas"[162].

 

Nous nous trouvons sans doute "dans une perspective de dévoilement" - de laisser être"[163], ce serait un peu l'éthique de Heiddeger qui écrit dans son ouvrage Lettre sur l'humanisme : "Peut-être alors le langage exige-t-il beaucoup moins l'expression précipitée qu'un juste silence"[164]. Il ajoute : "Ainsi le langage sera le langage de l'être, comme les nuages sont les nuages du ciel"[165]....

 

Le regard perdu dans le ciel, la pensée s'abandonne et l'imagination prend son envol.

 

Ce processus trouve sa pleine dimension énoncée par Gaston Bachelard dans La psychanalyse du feu : "Parfois des images vraiment diverses, qu'on croyait hostiles, hétéroclites, dissolvantes, viennent se fondre en une image adorable"... "Telle est l'action décisive de l'imagination : d'un monstre, elle fait un nouveau-né"[166].

 

Ici, il s'agit d'une disposition d'esprit. Laissons nous conduire vers cette découverte au travers du témoignage qui suit.

 

 

 

 

3 - LA REALISATION DE L'ESQUISSE

 

"Je me lance dans l'esquisse quand... j'en ai envie... je ne sais pas exactement comment cela part, quelquefois, c'est une envie de couleurs. Donc, je prends mon grand bocal, avec tous mes crayons de couleurs". "Je prends une pile de "calque pelure" là, du calque très fin... j'ai tout ce qu'il me faut autour, des rotring, de l'encre... des feutres à alcool... des matières avec lesquelles j'aime bien travailler et puis je démarre" et je "laisse émerger... tout ce qui vient"[167].

 

Franchissant le seuil douloureux de la page blanche, cette projection si puissante, s'inscrit par quelques traits avec légèreté ou densité, pour devenir "image"."Lorsque je sens le projet arriver, de toutes les façons, je vois que cela marche. S'il est bien, s'il est solide, souvent un projet arrive très, très vite... C'est une installation, une composition, une force"[168]. Cette image tout à fait particulière, Frédérique Poussin la qualifie de "lacunaire". En effet, si elle représente une intention, elle n'est en revanche qu'une allusion. Elle n'est en aucune manière descriptive, mais posée telle une empreinte, témoin d'un instant fertile. Ici, elle est encore chargée de "mystère".

 

"Dans l'espace de la figuration, la conception se jouerait dans une concomitance d'inscription intentionnelle et de lecture interprétative"[169].

 

Quatre processus simultanés permettent l'éclosion de cette image. Ils s'avèrent tous nécessaires, voire indispensables et sont difficilement dissociables dans l'espace du geste. "C'est le dessin qui fait réagir, qui appelle un commentaire verbal et puis un autre dessin"[170]. Dans ces procédures successives, nous distinguons en effet, une action de l'imaginaire, un contrôle constant de faisabilité, une nécessaire attitude d'accueil, d'ouverture à... et une capacité à libérer la main afin qu'elle s'exprime. Un architecte l'énonce clairement "Ce n'est pas le trait qui est important en soi. C'est qu'il va être le déclencheur"[171].

 

En définitif, ce que l'architecte "recherche quand même à travers l'esquisse, c'est vraiment une quête d'harmonie, une quête du beau... cela c'est vraiment fondamental. C'est l'essentiel"[172]. En parallèle, nous pressentons une quête du sens analogue à celle de l'artiste qu'André Comte Sponville présente comme "celui qui sent en lui... un surcroît ou un défaut de sens par rapport à ce qu'on peut appeler le sens commun". Il "constate, dans l'univers spirituel de son temps, une déperdition ou un excès de sens par rapport à ce qu'il sent en lui ou dans le monde. Créer vise alors à rétablir l'équilibre du sens"[173]. Un autre architecte constate qu'il est "difficile de suivre l'itinéraire d'un projet..."[174]. Néanmoins dès l'origine, "on sent l'évolution du projet, un petit croquis, on voit dès le premier, des intentions qui ne sont pas du tout formalisées, il y a un début de formalisation : on voit qu'il y a quatre grandes choses importantes : un soleil, une orientation, un bâtiment fait en deux morceaux, un rapport au jardin... on les voit qui se développent. Cela fait des variations et dans l'itinéraire, l'idée, on la voit cheminer"[175]. Le sens émerge, se voile et s'expanse tout à tour pour venir nourrir le projet.

 

 

- A l'origine de ce processus, l'imagination créatrice apparaît. Gaston Bachelard nous le rappelle : "La représentation est dominée par l'imagination"[176]. La production de l'esquisse va nécessiter de relier, "de faire des possibles", "d'affiner les images"[177]. "En réalité, on ne voit que des fragments de totalité et la perception de la totalité ne peut... résulter que de l'addition de quelques fragments"[178], sous l'action décisive de l'imagination. Dans ce passage actif, "il faut que je me fasse violence pour essayer de trouver l'essentiel. A un moment donné, il faut dégager l'essentiel parce qu'évidemment l'analyse du tout est trop complexe"[179]. "L'esprit qui imagine suit la voie inverse de celui qui observe"[180]. Ainsi, l'architecte multipliera les images et majorera la valeur de chacune d'elles, jusqu'à produire cette "petite étincelle qui permet de démarrer"[181]. "Souvent c'est assez rapide, assez synthétique et cela part de "pas grand-chose"... Cela peut être une trace, une patte de mouche et derrière la patte de mouche, en fait, c'est un support sur lequel on va projeter ses propres images"[182]. Mircea Eliade nous éclaire quant à la fonction des images dans Images et Symboles : "Si l'esprit utilise les Images pour saisir la réalité ultime des choses, c'est justement parce que cette réalité se manifeste d'une manière contradictoire, et par conséquent, ne saurait être exprimée par des concepts"[183]. En conséquence, les images produites nous renvoient à un questionnement qui permet l'évaluation du travail produit. Le témoignage qui suit illustre les deux attitudes contradictoires et nécessaires à la mise en mouvement de l'imagination : "Au départ, je suis trop sage; quand je suis trop sage, j'ai une réponse un peu maîtrisée, cartésienne, un peu analytique. J'analyse trop, j'analyse trop les choses... Je n'ai pas de force, je n'ai pas trouvé la colonne vertébrale du projet qui fait que les choses tiennent la route"[184]. Quelques temps auparavant, il déclarait : "Je crois que le pourquoi, on se le pose après. Quand je suis dans le travail d'esquisse, de composition, je crois que je n'analyse pas du tout le travail que je fais. Il faut digérer le projet"[185]. Antoine de La Garanderie définit le projet de l'imagination comme la capacité à "se donner un maximum de chances de rencontrer l'imprévu du projet". Mais il ajoute : "l'essentiel sera dans l'identification par un jugement de cet imprévu : est-ce vrai ? Est-ce beau ? Est-ce utile ?..."[186]. Dans cette logique, l'architecte est donc amené à procéder à un contrôle de faisabilité qui sera intimement imbriqué à l'effort d'imagination. "Le travail d'esquisse..., je crois que pour moi, c'est le document qui va me faire réagir"[187], qui assurera au départ "une espèce de faisabilité globale mais pas du tout dans le détail"[188], et néanmoins en prise avec le réel : "Il ne faut quand même pas que je m'envole et que je me dissocie d'une... forme de réalité"5, au risque de se trouver dans une impasse ; en effet, "j'essaie d'avoir une vision de synthèse immédiate et puis après cela me joue des tours parce que j'essaie de faire rentrer des choses que je n'arrive pas à faire rentrer... Je me joue "l'autruche" et puis il faut quand même revenir"[189]. Revenir sur ses pas et faire face au réel.

 

 

- Nous nous situons alors dans ce lieu de "complémentarité conflictuelle entre vérification et imagination"[190]. Edgar Morin dans Introduction à la pensée complexe traite de cette progression au travers d'un antagonisme complémentaire. "Les choses se composent"[191] jusqu'à produire des images. Ce processus "engendre toujours comme cela des images qui en génèrent d'autres qui permettent toujours le lien plus fort et qui renforce... au bout d'un certain moment, c'est une sorte de toile d'araignée, enfin, plus le projet est complexe et plus justement cela ressemble à une toile d'araignée et en même temps, plus c'est clair et structuré"[192]. C'est à ce stade que l'on mesure si l'esquisse est suffisamment puissante "pour supporter ce travail... "laminant" qui est beaucoup plus rationnel et qui est capable de tout faire retomber"[193]. Il est question de normes, de mise en conformité avec les réglementations, d'échelle, de fonctionnements, de mise au point des surfaces. Nous sommes alors à mi-chemin entre nécessité et quête du "beau". "Ce qui est très drôle, c'est que souvent un projet se décide en deux secondes, j'ai saisi très vite... Après, je passe mon temps à mettre vraiment les choses en place, à les analyser, à les améliorer"[194].C'est en ce sens que l'architecte se trouve confronté à une obligation qui vient s'opposer à ce qu'énonce Gaston Bachelard : "l'image d'imagination n'est pas soumise à une vérification par la réalité"[195] ; à moins que l'esquisse ne constitue pas une image d'imagination. Il reste que dans ce climat paradoxal, l'architecte cherche "une esquisse qui (le) fait un peu "vibrer"[196]" qui le conduise vers une réconciliation. "C'est le moment vraiment privilégié où on va réintroduire... toute la dimension évocative, l'imaginaire, laisser venir les images..."[197] pour permettre en quelque sorte de s'affranchir des contraintes.

 

 

- Pour faire face à la complexité et dépasser, dans une attitude d'ouverture "l'alternative entre unité et différence", "vous commencez par assembler par bouts ; là, cela vous fabrique de la forme, mais cette forme lorsqu'elle commence à monter... elle appelle différents éléments ou elle rejette différents éléments... Et plus elle monte, plus elle devient autonome"[198]... pour André Comte Sponville, "tout vient d'en-bas, tout vient du corps, tout vient du désir"[199]. "L'expérience... montre que si on a pas cette ouverture, cette disponibilité... si on fige les choses, comment peut-on accueillir justement... cette évocation"... "C'est déjà refermer les choses"[200]. Au commencement, il y a "quelquefois un mot qui surgit" ou "une atmosphère"... "Cela peut être aussi un mouvement ou "c'est un geste", "Cela peut aussi être une image"[201]. Dans tous les cas, à ce moment, tout effort pour comprendre détruit l'objet auquel nous nous étions attachés"[202]. Ainsi, le signale cet architecte "ce raisonnement, je l'ai tenu après avoir fait le geste"[203]. Le processus à l'oeuvre est assimilable au travail du sculpteur. Il est question de découverte, presque de dévoilement. "Le projet est immanent au lieu... il est immanent... oui, il est contenu..."[204].

Ainsi, dans son expression la plus courante, l'architecte emprunte le dessin comme outil, souvent annoté de quelques mots évocateurs et se laisse conduire vers cette "école de naïveté que Bachelard qualifie -en citant Shelley- de "lieu du retentissement" poétique, lieu qui est réceptacle fécond puisque l'image est semence et nous "fait créer ce que nous voyons"[205].

 

Pour commencer, "je mets tous mes documents graphiques à jour, les courbes de niveaux, s'il y a des bâtiments, je les positionne, je mêle les choses pour essayer visuellement de prendre connaissance des rapports de proportions, d'installations, commencer à voir schématiquement et graphiquement... Je crois que c'est un plan sensible... Je "remets en place le flou", tout ce que j'ai pu enregistrer sur le terrain, je mets les choses en place et là, je commence à dessiner"[206].

 

Et nous touchons alors, à cet instant, où créer révèle la nécessité de se représenter et de matérialiser, d'accepter cette confrontation à la matière ; comme en témoigne cet architecte : "Il faut la faire l'architecture, mais avant même de la construire, il faut en donner l'image, ... et là... j'arrête de me poser des questions"[207]. Il semble désormais, que l'architecte soit mis en demeure de matérialiser ses choix et de prendre de la distance avec son discours intérieur pour "produire" ou "transcrire", "une esquisse" qui ne sera pas "une fin en soi" mais "un tremplin vers autre chose", quelque chose de "suffisamment puissant", "dans la couleur, dans la texture, dans les formes, dans la volumétrie"[208].

 

 

- Dans cette confrontation à la matière, où "l'espace dont on croyait qu'il est l'évidence même... rayonne autour de plans qui ne sont en nul lieu assignables, "superposition de surfaces transparentes", "mouvement flottant de plans de couleur qui se recouvrent, qui avancent ou qui reculent"[209], l'architecte est en quête d'un "objet" conçu à communiquer, mais également en position de face à face avec le réel.

 

Un réel fascinant, puisque dans cette recherche, il représente tous les possibles. Henri Maldiney, en évoquant le moment proprement esthétique, dans Regard, Parole, Espace le qualifie ainsi : "le réel, c'est ce qu'on n'attendait pas"[210].

 

Ici, l'architecte en mouvement vers une production d'images, se trouve animé du désir de "se laisser surprendre". Nous mesurons dès lors, ces mouvances contradictoires et réciproques dont l'ambition commune vise à créer une entité : "L'enjeu, enfin, en architecture, c'est... justement d'arriver à dépasser" ces différences... "l'enjeu, c'est quand même de créer une entité"[211].

 

Et tant que "cela ne marche pas, j'aurai tendance à mettre du verbe peut-être pour revenir à la réflexion quand je n'ai pas assez bien assimilé mon programme, mes informations et mes contraintes... Je n'ai pas trouvé l'essentiel"[212]. En revanche, "dès que j'ai trouvé l'esprit du projet, tout s'installe, c'est merveilleux, c'est facile"[213].

 

Il est probable que l'architecte investit dans ce processus, "toujours engagé, ... toujours en mouvement"[214], par ailleurs animé du désir d'exprimer, de communiquer et enfin, vibrant au contact et à l'usage de la matière, se trouve réconcilié dans le geste libéré où : mouvement, désir et matière incitent, se meuvent jusqu'à s'enflammer.

 

Geste, sans lequel, l'ex-pression ne surgira pas. Pour Chaké Matossian, "la main du dessinateur, comme celle de l'écrivain, satisfait les démangeaisons irrésistibles"[215]. Le geste est en effet, le prolongement de la main et en quelque sorte le témoignage de la vie de la main. Il ajoute que "le déplacement de la peau et de l'ongle... s'effectue par l'intermédiaire de l'imagination, qui l'emporte sur la conscience et la volonté"[216].

 

Désir, Idée, Image, Geste...

 

"La première esquisse est la réponse du tout"[217].

 

Nous pouvons déceler que "le problème est celui de l'origine de l'oeuvre d'art"[218], à considérer que l'esquisse atteigne à cet idéal. Il reste cependant, que la notion de complexité est évidente et que nous rejoignons Edgar Morin lorsqu'il relie l'idée de complexité à "la reconnaissance d'un tête-à-tête final avec l'indicible"[219]. Ainsi, cet architecte relate-t-il cette rencontre : "Je crois à une idée qui arrive comme cela... un projet naît souvent de quelque chose qui est essentiel, qui représente la colonne vertébrale mais qui n'est pas représenté graphiquement"[220]. Quelque chose qui bruisse, qui anime, qui respire mais ne dit pas son nom. Quelque chose qui néanmoins vous émeut.

 

 

- Cet "Indicible",

Parfois passé sous silence, suggéré ou inscrit en filigrane,

avec pudeur, subtilité ou ténacité...

puisant toujours à la source de la mémoire,

se trahira sans doute par la diversité formelle des esquisses.

 

L'architecte animé d'un constant mouvement de balancier entre des forces antinomiques et complémentaires, se fera l'arbitre et l'artisan du lien à fonder entre les désirs initiaux et les limites inhérentes à la faisabilité, l'appréhension sensible et la dimension rationnelle, la figuration par l'image et la réalité du terrain, enfin, son aspiration personnelle au "geste d'artiste" et l'acte de construire pour autrui dans l'intérêt général.

 

Autant d'intentions, de soifs et de contraintes qui engendreront des formes diverses. "Le mode de représentation en architecture aujourd'hui... Pascale, ... là-dessus on s'écarte un peu, elle court par moment vers une image très contemporaine qui s'approche de... presque de l'abstraction... montrer la totalité par un moyen de représentation qui est un moyen des fois complexe, où les choses vont s'enchevêtrer et qui donne un tableau... Alors que moi, ... j'utilise des moyens de représentation conventionnels, assez conventionnels"[221]. "Quand vous êtes dans un dessin plus conventionnel, vous êtes dans le possible".

 

Entre codification et abstraction, convention et avant-garde, il semble que tout architecte ait conscience que "nulle oeuvre ne s'achève absolument, chaque création change, altère, éclaire, approfondit, exalte, recrée ou crée d'avance toutes les autres, si les créations ne sont pas un acquis, ce n'est pas seulement que comme toutes choses, elles passent, c'est aussi qu'elles ont presque toute leur vie devant elles"[222]. Et c'est sans doute cette conscience qui préserve la dimension inénarrable de l'esquisse.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

III - PROCESSUS DE FONCTIONNEMENT

 

 

 

 

Eu égard à la prégnance de l'indicible, nous nous attacherons à étudier minutieusement les témoignages, en ne dissimulant pas que "le propre du visible est d'avoir une doublure d'invisible au sens strict qu'il rend présent comme une certaine absence"[223].

 

Ainsi, cheminant à travers ces récits, rapportant ce qui a permis l'élaboration de l'esquisse, nous nous arrêterons tant sur la forme, que sur le fond - le processus à l'oeuvre - et sur la singularité de ces architectes et de leur fonctionnement à cette occasion. Nous pourrions circonscrire les préoccupations de ceux-ci par l'observation de l'un d'eux : "on se dit comment on va faire"[224] ; rappelant tout à la fois, la réflexion omniprésente       - (on se dit) - , les outils ou moyens à trouver et à mettre en place                     - (comment) - et enfin, la nécessaire confrontation à la matière, au réel en vue de la réalisation de l'esquisse - (on va faire) - .

 

 

1 - CONTENU DES TEMOIGNAGES

 

Avec le projet de découvrir ce que recèlent ces témoignages, "supposez qu'au lieu de vouloir nous élever au-dessus de notre perception des choses, nous nous enfoncions en elle pour la creuser et l'élargir. Supposez que nous y insérions notre volonté, et que cette volonté se dilatant, dilate notre vision des choses..."[225], voici ce que nous avons tenté de faire en nous référant principalement à l'ouvrage d'Antoine de La Garanderie : Comprendre et Imaginer. Il nous parut possible en effet, d'extraire cinq étapes, qualifiées par lui-même de "gestes mentaux", qui viennent conduire le projet de sens à son terme traversant respectivement : l'attention, la mémorisation, la compréhension, la réflexion et l'imagination créatrice. Ce parcours mental s'enracine, nous allons le voir, profondément dans l'introspection et requiert une observation intérieure. Il nous a semblé opportun de puiser à cette source, conscient du discours étroit qu'entretient l'architecte avec lui-même. "Croquis et esquisses apparaissent comme des objets morts, du fait de l'absence de dimensions vivantes de l'activité qui les sécrète"[226]. Nous allons tenter de montrer que l'esquisse se fait probablement l'écho visuel du silence nécessaire à l'inscription du trait, après un bouillonnement, une effervescence, un déferlement de questions, d'hypothèses et d'idées. Tentons désormais de décrypter ce long monologue, conduisant à une "coexistence entre le recueil de concepts et un dessin spécifique"[227].

 

 

- L'attention

 

  Projets de sens

 

A l'origine, nous pouvons dire qu'il n'y aurait aucune conception mentale sans projet de sens. Le projet, défini par Antoine de La Garanderie "est une structure implicite qui vise bien à évoquer le perçu pour lui assurer son statut mental"[228]. Nous saisissons que le coeur du projet, s'ancre dans la capacité à évoquer des perceptions avec l'ambition de constituer sa réalisation. Ici, tout individu ne fonctionnera pas de manière identique selon que sa structure de pensée le conduise à envisager l'une ou l'autre des attitudes qui suivent :

Comment réaliser ce projet ? avec une recherche des moyens en vue d'appliquer, ou pourquoi le réaliser ? avec un questionnement sur le sens en vue d'expliquer.

 

Ainsi, nous distinguerons deux types de projets de sens : L'application et l'explication, sachant que le sujet peut recourir pour partie ou alternativement à l'un ou à l'autre.

 

Dans tous les cas, "c'est très intéressant de faire de l'architecture, mais c'est très intéressant de vivre une vie d'architecte, parce qu'inconsciemment tout vous intrigue et tout vous fascine!". Il nous semble important de préciser que la question du projet implicite n'est pas exclusive au monde de l'architecture ; cela va de soi. Un architecte le découvre en ses termes : "Le rapport au projet, je pensais que c'était un travail, une question d'architecte, je ne m'étais pas posé la question plus largement. Je pensais que dans la pratique du projet, les questions que les architectes se posaient... ils étaient les seuls à se les poser. Et je me suis aperçu en fait que le problème n'était pas spécifique à l'architecture ; que c'était plutôt un problème de démarche et de critères et que j'avais par rapport à certains enseignants (peintre, designer,...) des critères qui étaient très proches... Finalement, à la réflexion, les points communs n'étaient pas dans la discipline, mais plus dans l'approche et dans les points de vue qu'on pouvait partager"[229].

 

Ceci étant précisé, revenons au projet de sens et rappelons qu'à l'origine, "il y a tout qui vient se bousculer dans la tête"[230], et que "c'est avant de voir, avant d'entendre, qu'il faut se donner mentalement le moyen de se représenter"[231]. Nous sommes au stade de l'attention. L'extrait qui suit illustre admirablement ce processus : "Si vous voulez faire ce métier, tout doit vous intéresser... vous voyez le reflet des lampes... de la lampe dans le verre... regardez comme c'est joli. Qu'est-ce que je vais en faire ? Cela... mais je n'en sais rien... mais vous mettez cela de côté et un jour, vous aurez une image précise qui vous viendra"[232]. Le projet de sens implicite peut s'exprimer de la sorte : cela pourra peut-être me resservir pour plus tard. "Oui, on ne se dit pas cela mais c'est exactement ce qui se passe"[233]. Ainsi, l'architecte choisit l'état d'éveil permanent propre à recueillir des informations, des bouts d'éléments, pour nourrir, construire, enrichir une mémoire active. Nous pressentons que "le dessin d'architecte est bien l'évocation projective d'un objet futur, donc absent... Il est aussi l'évocation d'objets passés, non actuellement présents..."[234]Il s'agit d'enregistrer les qualités de l'espace : les formes, la lumière, les textures... L'architecte essaie en quelque sorte" d'attraper au mieux, de conserver d'ailleurs la mémoire du terrain (et) une fois rentré au bureau, un peu bêtement... ayant besoin de repères... cherche à fixer"[235] ces données. Ce qui fait dire à cet architecte, "on met en mouvement un nombre de paramètres considérable, vous voyez... considérable" et ensuite "on se dit comment on va faire ?"[236].

 

Nous nous pressentons alors au seuil de l'application, c'est-à-dire : "savoir comment faire, pour appliquer", avec une recherche sous-jacente d'efficacité. Les témoignages nous exposent principalement une vision toute orientée sur le développement argumental, à savoir une réceptivité offerte à l'explication. A ce stade du projet, la recherche de moyens supposerait la poursuite de solutions immédiates alors que l'architecte préserve tout au plus une "image anticipatrice de résultats"[237]. Dès lors, il se sent "quelque part obligé de (se) mettre en retrait et puis d'essayer de mettre en place des choses, effectivement, une première intention brute"[238]. Ensuite, il n'aura de cesse de chasser cette première image pour laisser place aux développements rationnels, seuls capables de le rassurer sur le bien fondé de sa conception. "Je crois que dans cette phase de travail..., je suis certainement très expliquant... Mais après je ne me pose pas de question". La compréhension parait justifier l'engagement dans cette aventure : "J'essaie de comprendre. En fait c'est assez étrange parce que pour travailler sur l'espace, j'essaie avant tout de comprendre les êtres".[239]

 

Placé au coeur de la complexité, définie par Edgar Morin comme une "extrême quantité d'interactions et d'interférences entre un très grand nombre d'unités", l'architecte se confronte à ce qui la compose, à savoir, une somme "d'incertitudes, d'indéterminations, de phénomènes aléatoires"[240]. Mais par ailleurs, fruit de ce désir d'explication, "c'est le "flash"[241] souvent cité par les architectes, quand surgit brutalement à leur conscience l'image d'une façade, alors qu'ils n'ont même pas entamé leur recherche graphique de l'objet architectural". "C'est un élément à un moment donné qui va se détacher du reste de ces informations, qui va donner le premier jet"[242].

 

Cette image sera sans doute fruit de cette complexité dans le sens où celle-ci "a toujours à faire avec le hasard"[243] et qu'elle est la forme réconciliée de "ce qui est tissé ensemble". Néanmoins, ne nous y trompons pas, cette projection mentale est fugitive et ne saurait en aucune manière s'imposer sans avoir préalablement passé l'épreuve de l’évocation. Au cours de cette phase d'assimilation lente et méthodique, l'architecte procédera à une ré-expression mentale de l’information donnée par la perception ; il entamera une dialectique mentale permettant de puiser à la source de la mémoire, de rattacher à des acquis ces nouvelles données afin de leur conférer une dimension évocative. Nous constatons ici la nécessité de faire appel au geste de réflexion qui mobilise notre attention pour nourrir l'évocation du temps présent. Ainsi se constituent les acquis, d'une part : souvenirs de perception et d'autre part évocations antérieures.

 

Travaillant à la conception d'une tour de contrôle d'un petit aéroclub à Deauville, l'architecte illustre le processus ainsi : " Je voulais faire un objet un peu "chic"... au début, j'ai pensé au talon aiguille d'une chaussure", "je voulais quelque chose d'élancé. Deauville, c'était un peu en rapport à une femme. C'était un objet très fuselé en fait, un peu comme une fusée... avec un grand chapeau et je voyais un champ de courses, c'était un rapport à Deauville, champ de courses..." et aussi "une demoiselle sur les planches de Deauville". Dans la tour de contrôle, avions, transat, café, terrasse. "Il y avait un peu de Casablanca comme cela".[244] Nous le voyons, l'assimilation se fera croissante et acquerra suffisamment de puissance pour parvenir à projeter virtuellement, c'est-à-dire : à évoquer des "objets absents".

 

Cette nécessité est d'autant plus prégnante que "ce qui manque souvent dans le programme, c'est comprendre l'esprit dans lequel on peut travailler ; c'est à nous, je dirais de l'apporter, de le dimensionner, d'enrichir le programme"[245].

 

 

 

 

 

-  La compréhension

 

   L'assimilation

 

"Le fait de projeter sur l'orbite mental, le signifiant, ... ouvre la compréhension à un élargissement du sens de ce signifiant par une reviviscence d'autres acquis culturels, qui seraient en harmonie de sens avec lui"[246]. Nous le voyons, à ce niveau, il s'agit avec l'appui d’expressions mentales, d’images visuelles et verbales de constituer des liens, par analogie à des problèmes déjà résolus ou par inadéquation, afin d'apporter une dimension nouvelle et une coloration personnelle à ces données de base.

 

"De l'histoire de l'architecture, j'ai accumulé des bribes, sans forcément faire le lien ; il y a un moment de manière vraiment très simple, le lien entre toutes les parties, les pièces du puzzle stockées : tout s'est monté. Les images se sont formées, la compréhension de l'ensemble s'est forgée, les informations complémentaires sont venues renforcer cette sorte de structure qui s'est établie"[247].

Issues de cette structure, les expressions mentales peuvent s'inscrire dans la temporalité ou dans la globalité, sachant que l'une n'exclut pas l'autre. En effet, la temporalité conduit à procéder par bouts, par fragments pour constituer, pour construire. Alors que la globalité situe au-dessus de la chose. "Alors, ... nécessairement... en matière d'urbanisme, je fonctionne par fragments... parce que cette espèce de temporalité... n'exclut pas que vous ayez en filigrane la vision globale". En revanche, "si je pars de l'inverse, ce qu'on a fait pendant tout le XXe siècle, ... l'homme alors là, il n'existe plus"[248]. Inscrit dans la temporalité, il y a nécessité d'analyser une succession d'"éléments de manière méthodique, avec une forme de linéarité. Cependant, "il y a une limite à l'analyse... Si vous ne mettez pas quelque chose de plus... C'est-à-dire l'imaginaire qui assemble les choses... Cela ne marche pas... Quant à la globalité ... Je suis arrivé à des collages de bouts, sans que cela  produise de globalité. A ce moment là, il n'y a pas de projet"[249]

 

Parallèlement, "cela m'est arrivé de partir de la globalité... je me souviens, le stade de Trélazé... je n'ai jamais éloigné de ma pensée, la grandeur du terril ardoisier. Et c'est cela qui a fait la force de ce projet"1.

 

Le réalisme nous conduit à entendre cet architecte lorsqu'il rappelle la quantité d'informations traitées : "On ne peut pas analyser rigoureusement les choses comme cela, les unes après les autres. Ce n'est pas comme cela que cela se passe ; au contraire, il y a tellement de consignes que nous ne sommes pas un ordinateur"[250].

 

Ecartelé entre cette vision fragmentaire, séquentielle, constituant des liens au fur et à mesure du temps qui s'écoule et cette vision globale qui appelle l'ensemble des éléments constitutifs afin de penser les liens à mesure qu'ils se composent ; c'est sans doute, avec l'appui de cette vision syncrétique développée par Anton Ehrensweig et dans tous les cas, le discours permanent qu'entretient l'architecte avec lui-même, la projection des 'images virtuelles" dans lesquelles il circule et les images auditives auxquelles il fait appel, que la compréhension et la réconciliation s'opèrent... il y a donc de multiples supports évocatifs : le discours, l’image auditive et la projection mentale dans l'espace. Ce qui fait dire à cette architecte : "Si je pouvais filmer avec une caméra, ce qui est dans ma tête, ce serait absolument passionnant, parce que tout est là, parce que tout existe"[251]. Ces regards s'accompagnent de mots d'ordre qui sont donnés pour aller voir ailleurs, développant d'autres points de vue, ou de commentaires, de constatations sur ce qui est projeté.

 

"Oui, je pense à quelque chose là, je conçois... et donc en même temps, je commente à mesure que..."[252]. Ces encouragements, ces mises en garde, ces cheminements, représenteront autant de concertations intérieures menées en parallèle avec l'organigramme afin d'enregistrer des "espèces d'associations qui sont incontournables"[253]. Sur cette structure rationnelle se greffent toutes les évocations issues de ces rapprochements. Ecoutons ce qui suit : "Quand j'étais là, en train d'écouter ces gens, j'avais envie d'écouter le concerto n°1 de Chopin... ou alors, non vraiment, cela m'a renvoyé à des profondeurs et je ressentais Malher... Cela m'aspirait littéralement... et en pensant à Malher, à ce moment là, je me dis, je vois des murs d'une densité extrême presque avec une espèce d'humidité... tout cela, cela va être l'évocation... là, c'est une musique... je vais l'entendre... je vais me laisser porter... Là quand je repense à Malher, je me dis, je pense, ... j'entends aussi certains instruments et je vois mes crayons de couleurs et je me dis : "je vais prendre du brun, je vais prendre du noir et je ne vais pas du tout dessiner des choses éthérées, au contraire, je vais avoir l'impression de travailler en souterrain... je vais penser à Bachelard... je suis renvoyée aux profondeurs de la cave... je pense à un passage qu'il cite d'Henri Bosco... avec ses couloirs et ses labyrinthes, et bon, voilà... une image en amène une autre, donc l'image est à la fois musicale, à la fois littéraire, à la fois... teintée de couleur, de matière"[254].

 

Tous ces méandres accompagnés de consignes mentales pour atteindre à "cette abstraction, ce passage du désordre de la réalité dans l'ordre du tamis de la raison tendue vers un but, (qui) donne un produit concret, un "signifiant graphique" ou un dessin"[255]. Quelquefois, l'architecte cherche longtemps mais bien souvent, il nous le confie "ce que je crois le meilleur est quelque chose d'assez rapide mais ce ne sont pas des dessins sophistiqués, très compliqués. Ce sont souvent des choses assez rapides et j'aime bien avoir une image assez forte"[256].

 

Nous avons déjà entrouvert la porte de cette deuxième phase animée de ce mouvement dynamique entre subjectivité et objectivité. Mais à ce moment décisif, il s'agit de recueillir les fruits de ces évocations qui vont à leur tour générer une intuition de compréhension. Avec application vont se succéder autant d'essais : simulation, emboîtement, remplissage de zones, superpositions, jeu de correspondances "vides/pleins", complémentarités de négatifs et de positifs, restaurant une "auto-régulation" qui "permet au sujet de transformer sa pensée en objet par elle-même"[257]. Ces tests de cohérence interne vont guider l'architecte vers une compréhension accrue du contexte, des contraintes et du projet. Ils contribueront également à structurer sur un mode personnel, les évocations et les associations qui s'ensuivent.

 

Soutenu par l'idée que "la qualité des intuitions de l'aurore sera relative aux labeurs des jours"[258], l'architecte s'élancera vers ce travail de mise en relation, respectueux des compatibilités ou incompatibilités, des cohérences ou incohérences, de la simplicité ou de la complexité, trop conscient de leur infinie potentialité. Voici un exemple : "le terrain... domine le Layon d'assez haut, il y a le vieux pont qui franchit la rivière et dans le fond, on voit les coteaux des vignes, vous savez, avec les stries comme cela et la courbe comme cela... et là, voilà une idée ! On se dit... on dirait une toiture cela, voyez... si je fais, par exemple, la couverture en zinc avec le ressaut les tôles de zinc qu'on assemble qui donne des stries... Est-ce que cela ne renvoie pas au loin, si ma toiture est courbe comme cela, est-ce que cela ne renvoie pas à la vigne... Est-ce que je dois faire une couverture qui ressemble à un champ de vigne vu dans le lointain ?... Pourquoi pas ?..."[259].

 

Nous mesurons la puissance des collages, de ces regards qui se superposent. Parallèlement, il existe toute une recherche de déclinaison qui permet d'enrichir et d'affiner les images. Suivons ce cheminement : "On construisait... sur un site qui était marécageux, qui était inondable... ce qui nous avait touché, c'était un peu les bancs de sable sur la Loire et les stratifications que le fleuve amène et puis après ces lignes...Comment on appelle cela, des épis qui sont sur le fleuve... et donc dans le fond on travaillait par strates"... "On a créé une île par stratifications comme le fleuve qui dépose des limons"[260]. Guidé par ce parti architectural, l'architecte continue sa recherche : "C'était très facile de se dire "mais non si je mets cela, ce n'est pas compatible avec les épis de la Loire". "Cela n’est pas compatible avec l'envasement, cela n'est pas compatible avec un carrelet de pêche. Donc, c'est plus facile, vous voyez, de fonctionner par inadéquation"[261].

 

Au travers des deux exemples précédents, la forme même du récit indique que nous avons à faire ici à un mode d'évocation visualo-verbal.

En effet, un constat conduit une réflexion qui à son tour amène une question qui trouve réponse dans le cours du discours et ainsi de suite. Nous entrevoyons la trame des commentaires. Cet architecte en tissant des relations verbales vient enrichir les images visuelles par la recherche des similitudes.

 

Différent dans sa forme mais résultant du même processus à l'oeuvre,  un autre témoignage relate également un travail évocatif verbalo-visuel mais à l'inverse, l'image visuelle concrète génère le discours intérieur : "Je travaillais, un jour... sur un restaurant d'autoroute, ... on avait parcouru cette autoroute, on avait parcouru ce terrain... c'était aux abords du Mans, je me disais... "on peut peut-être essayer de fonctionner sur la notion de véhicule"... très rapidement, en fait, ce qui est venu par rapport au terrain, c'est un geste, un geste "... "probablement cela résultait de cette idée de vitesse... la vitesse a engendré peut-être la notion de mouvement et je me disais il faut qu'on retrouve spatialement quelque chose qui symbolise le mouvement"... "Mais je crois que ce raisonnement-là, je l'ai tenu après avoir fait le geste, pour essayer de me dire : "Pourquoi ce geste m'est-il arrivé ?"[262].

 

Ici, une autre dimension évocative est énoncée. Nous avons en effet, la présence originelle d'images visuelles concrètes (le contexte, l'environnement) qui génèrent un discours intérieur et développent l'idée de vitesse, la notion de mouvement, un certain questionnement ; mais ceci trouve son intégration dans l'évocation kinesthésique. Celle-ci serait en quelque sorte l'union de l'image visuelle et de la parole. Elle émettrait simultanément la sensation du mouvement et le geste même de la main pour venir alimenter le projet et générer l'esquisse.

L'esquisse représenterait alors la fusion des différents niveaux de perceptions et d'évocations , en une image unique.

 

A ces jeux de composition, les architectes semblent se prêter avec délice. Nous entrevoyons là, une analyse avec l'idée que développe Edgar Morin, sans laquelle aucune appropriation ne pourrait s'effectuer et donc aucune compréhension. Voici cette réflexion : le savant devient son objet "tout en étant le siège de la connaissance objective, puisqu'il est observateur (et) le savant lui-même". Son esprit est ainsi "réduit au thème de la conscience reflet" ; thème "beaucoup plus riche qu'il n'y paraît" puisqu'"il soulève le paradoxe du double miroir". A savoir que "le concept positiviste d'objet fait de la conscience à la fois une réalité (miroir) et une absence de réalité (reflet)"[263]. Mais aussi que la conscience du sujet reflète le monde et que le monde reflète le sujet. Il ajoute : "Ainsi l'objet peut être autant le miroir pour le sujet que le sujet pour l'objet."1 Ne pouvons-nous pas avancer alors qu'il en est de même pour l'architecte, conscience reflet du projet. Reprenons les termes mêmes d'Edgar Morin appliqués à l'architecte et à son projet : Ainsi le projet peut être autant le miroir de l'architecte que l'architecte pour le projet. Nous serions tentés de penser qu'à travers cette translation réciproque, se crée une ouverture entre sujet et objet, ouverture qui engendre probablement un dépassement des alternatives.

 

 

 

 

 -  La réflexion

    

   Travail d'hypothèses

 

Par la pratique de cette "conscience reflet", l'architecte engage un travail d'élaboration d'hypothèses fondé sur les deux phases précédentes. Il vise à "faire et refaire des allers-retours, perceptions-évocations avec une exigence critique particulière qu'illustre cette question : Suis-je ou ne suis-je pas affranchi de ma façon habituelle de comprendre cet objet de perception ?"[264]. Se met en place un mouvement de coordination entre les différents outils à disposition afin d'"inventer des stratégies pour sortir de la crise.Il y a une évaluation, par exemple "ce projet là, c'est un projet dur ou pas dur. Il est pour tel type de personnes ; je me dis, ce serait une ambiance un peu comme cela que j'aime ou comme un autre ou au contraire pas du tout comme celui-là... c'est à dire que ce n'est pas dans le vide, ce n'est pas dans le néant. C'est par rapport à des références : pour, contre mais je prends appui"[265]. Cela conduit à souvent abandonner les solutions qui remédiaient aux anciennes crises et élaborer des solutions nouvelles"[266].

 

Alors, l'esprit s'ouvre à toutes les hypothèses et tour à tour, il se sert de l'analogie ou de la convention pour écrémer, combiner, et recomposer. Le discours est plus que jamais formulé au conditionnel : "Si on essayait..., supposons que..., si je fais..., nous pourrions..., est-il possible de...?". En effet, "on n'a pas beaucoup de possibilités de mesurer dans la réalité les trois dimensions, les matières, l'échelle, la réalité de ce que l'on produit. Et quand on le fait, c'est trop tard... Quand on le sait, c'est construit; c'est trop,c'est pas assez... on ne peut pas gommer"[267]. Aussi, ce jeu mental permet à mesure des simulations, de tester le sens d'intelligibilité des propositions et de les connoter. Ces projections de "possibles" sont tout à la fois, verbales et graphiques. Un architecte nous en fait le récit : "Très vite, en plaçant les choses, on se rend compte des problèmes réels posés"[268]. Mais il est vrai, que le verbe pour moi, il  n’existe que lorsque cela ne marche pas, c'est drôle, non ! C'est un recours"[269]. Dans tous les cas, la projection mentale tente de toujours laisser la porte ouverte à d'autres orientations. Ainsi, "à mesure que je dessine, comme je raisonne, je ne suis déjà plus dans la logique et dans... l'atmosphère dans laquelle j'étais, en fait... dans le mouvement qui m'animait quand j'ai démarré l'esquisse"[270]. Nous le constatons, "l'architecte compare mentalement ses hypothèses à une multitude de possibilités qui ne s'extérioriseront jamais graphiquement, qu'on ne verra donc jamais. C'est à ce titre que le dessin réalise bien le fait, une fois qu'il est tracé, d'être en tant que perception visuelle, doublé par une représentation intérieure plus large et plus compliquée"[271]. En effet, le témoignage précédent se poursuivait ainsi : "C'est un processus..., c'est toujours engagé, c'est toujours en mouvement...". Le dessin peut apparaître dès lors, comme un "arrêt sur image" ou plutôt un "arrêt sur pensée" qui témoigne partiellement pour un moment donné, du jeu mental développé. En réalité, "c'est autour de cette idée-force, que les choses vont se composer"[272]. Mais que signifie composer ? "C'est assembler avec élégance, avec goût... avec cohérence. Ce n'est pas de la réflexion, c'est de la composition"[273] : terminologie qui induit indubitablement une notion de rythme, de phrasé, de mouvement toujours engagé.

 

En parallèle, nous pouvons dire que l'architecte a recours à sa pratique et son expérience des projets. Il fait alors appel à des bouts d'images repérées, connues, rassurantes.La réflexion "part de références, d'images... pas forcément une image définitive du projet. Mais par rapport à des objets, par rapport à des lieux, par rapport à des architectures. J'ai une référence, je vais vers une référence"[274]. Et cela peut être exprimé de manière plus concrète, plus pragmatique : "on avait très fortement acquis la manière de fonctionner, les circuits des personnes qui sont vraiment draconiens"[275]. C'est une structure sur laquelle l'architecte s'appuie parfois, qui lui donne plus encore la possibilité de vagabonder, d'emprunter des chemins inexplorés. "On puise dans sa culture propre, c'est l'expérience acquise sur le programme, sur un projet similaire... c'est vraiment culturel ce qui est derrière : c'est évident"[276]. Cet ancrage, fortement fondé sur la pratique, servira de tremplin et permettra de rebondir vers d'autres essais exploratoires qui à leur tour constitueront de nouvelles acquisitions.

 

Nous l'avons compris, "l'architecte exprime des hypothèses en partie d'édifice, d'un détail ou d'une forme globale, en dessin. Ces hypothèses, il va les déformer, les morceler, les associer, pour en dernier lieu, les valider ou les refuser. Quelquefois, il s'agit en effet de "montrer les problèmes qui paraissent heurter le projet"[277].Le matériau de la recherche bricoleuse et exploratoire, c'est ce dessin maquette déformable"[278]. Mais ceci ne se produira qu'avec l'appui de l'imagination.

 

Certains prétendront que l'aléa majeur est celui de la subjectivité et de ses fantaisies capricieuses. En réalité, "vous avez des données plus ou moins objectives et si vous n'en tenez pas compte, l'objet sera inadéquat"[279]. Pour notre part, nous rejoignons cet architecte, lorsque s'exprimant sur l'analyse, il déclare : "Une grande erreur pédagogique, c'est de faire croire que celui qui analyse bien, à la sortie, par le fait même, d'une manière rationnelle, impitoyable... j'allais dire..., il a le résultat... c'est absolument faux. Si vous ne mettez pas en oeuvre quelque chose de plus... c'est-à-dire l'imaginaire qui assemble les choses, voyez..., cela ne marche pas"[280]. Ainsi, la réflexion fait-elle appel à l'imagination créatrice en vue de coordonner les acquis et le probable, par le vecteur du dessin, support privilégié destiné à accueillir les errements de l'architecte. En miroir, nous retiendrons que "l'âme de l'imagination créatrice est sans doute la patience persévérante de l'effort"[281]qui s'exprime particulièrement dans cette phase laborieuse qui cristallise "le rapport hybride de l'architecture : le rapport social de ces créations qui ont un pied dans la création et un pied fortement dans les contingences sociales"[282].

 

Parvenir à réaliser cette esquisse requiert certes de l'effort et de l'imagination, mais enfin et surtout, il s'agit pour l'architecte de relever un défi, à savoir : proposer une représentation simple d'une réalité complexe, proposer une image "sensible" répondant à un programme rationnel et trouver entre ces alternatives suffisamment de liberté pour entrer dans une recherche ludique. Edgar Morin déclare : "les grandes découvertes sont le fruit d'erreurs dans le transfert des concepts d'un champ à un autre, opérées... par le chercheur de talent. Il faut du talent pour que l'erreur devienne féconde"[283].

 

Cette fécondité, issue du hasard, résulte en vérité d'un profond travail dans le creuset mouvant des désirs, de la culture, des idéologies et du métier. Elle s'exprime volontiers, à travers l'esquisse. Ce qui laisse à penser que "notre projet conscient est dépassé par le projet implicite"[284].Afin de se rassurer, l'architecte tente d'élaborer "un discours un peu construit, (il) essaie en fait de décomposer, de chercher les raisons, d'analyser et de donner les clés"[285]. Tout en sachant que celles-ci "ne sont pas exclusives"2. C'est cette dimension implicite qui nous permet de distinguer deux types d'attitude dans le processus de l'imagination créatrice : Celle du "découvreur" et celle de "l'inventeur". Ceux-ci nous allons le voir, n'entretiennent pas le même rapport à la réalité qui les environne et par voie de conséquence, n'extrait pas la même quintessence.

 

 

- L'imagination créatrice

 

  Inventeurs et Découvreurs

 

Comment distinguer ces deux approches?

Si nous nous référons à Antoine de La Garanderie, nous pouvons dire que "les Inventeurs s'intéressent aux objets fabriqués, ils ont la curiosité de leur mécanisme"[286] afin d'en comprendre le fonctionnement. L'oeil critique de l'inventeur décèle une différence ou un défaut qui peut être amélioré."Oui, c'est une réaction à un manque ou à une lacune, oui, on réagit à un document"[287]. "On ne peut pas ne pas réagir. C'est cela en fait. Il n'y a rien de plus difficile qu'avoir un terrain plat, un programme sec, un maître d'ouvrage qui n'a rien à dire, qui ne répond pas"[288]. Alors, à partir des éléments qu'il possède,  l'inventeur procède par induction et cherche avec un souci d'efficacité à trouver des réponses à la question du "comment", qui se pose à lui. Enfin, la réalité "contient les moyens cachés d'une absence"[289]"Quand je trouve en face de moi des choses contraires à l'enrichisssement du projet, j'essaie de me défendre le mieux que je peux pour m'en écarter. Que ce soit un réglement ou autre... je crois que c'est notre travail"[290]. La fécondité, c'est alors rebondir sur ce qui n'a pas été dit ou ce qui a été énoncé de façon inadéquate. Cette disposition d'esprit conduit bien souvent l'inventeur à produire quelque chose qui n'existait pas.

 

Les Découvreurs, en revanche, ne créent aucun objet. Pour eux, l'inédit existe et reste dans l'attente d'être dévoilé.Un architecte relate son plaisir de la découverte à l'occasion d'un voyage au Japon : "Ce qui m'a le plus intéressé, ce n'est pas ce que l'on me montrait, les bâtiments les plus up to date , ce n'était pas cela. C'était ce qu'il y avait à côté, c'était la vie, c'était plein d'autres choses qui expliquaient ou infirmaient d'ailleurs ce qui était montré"[291]. Ainsi, la recherche de l'inédit se cristallise sur des choses très implicites et la découverte est le plus souvent le fruit d'une situation comparative, d'un "rapprochement de choses... qui ne va pas de soi"[292]. Sensible à la similitude, le découvreur procède par déduction. Dans sa recherche du "pourquoi", il sera amené à "mettre à nu", à dévoiler le sens caché. C'est ainsi que pour lui, la réalité "contient les signes cachés d'une présence"[293]. L’attitude du découvreur est analogue au regard que porte Kandinsky sur l’artiste dont la mission "lui paraît être de dévoiler l'ordre des choses, de constituer le langage suprême, celui qui se substitue aux mots impuissants"[294]. Il développe en conséquence une "théorie du "voilé-dévoilé" qui veut qu'une oeuvre d'art ne soit lisible que par approfondissements successifs"[295].

 

Suivons pas à pas, ces analogies successives, au travers du témoignage d'un architecte : "La couleur était de couleur sable... Voyez, du gravier mêlé d'"ocre"... et je me suis dit, c'est cela qu'il faut faire. Cela  ressemble aux allées de jardin... en même temps, c'est lavable, c'est pas cher, c'est comme du goudron... je me dis, ... cela  c'est une bonne idée, ... même si immédiatement vous pouvez vous dire : ... "tu vois, J.P., tu n'inventes rien, quoi... mais il y des collages, qui se font comme cela"[296].

 

Ici, nous le voyons la découverte s'est fondée sur le rapprochement de matériau, de couleur ; mais ce fonctionnement possède son revers, un certain regret : "Si vous voulez, alors, je me méfie d'être un copiste inconscient"[297].Dans le même temps, un autre architecte déclare : "j'ai des gens qui ont des choses contradictoires à dire : au contraire, moi j'aime bien les choses impossibles par exemple, cela m'importe peu, cela me permet de comprendre"[298] et certainement d'avoir accès à des réponses novatrices.

 

Ces attitudes requièrent l'intervention de l'imagination créatrice, seule capable de produire l'image mentale qui fait sens. Dans les entretiens, nous avons constaté que ces architectes étaient plus sensibles à la similitude et que l'intuition déclenchée était le plus fréquemment le fruit de situations comparatives. Nous avons retrouvé une analogie avec la description faite par Antoine de la Garanderie à propos des découvreurs, "La dialectique mentale du découvreur s'active dans ce jeu de va et vient entre une réalité qui ne livre ses secrets qu'à ceux qui remettent en question les moyens grâce auxquels ils la comprennent"[299] ; ce qui permet d'expliquer la recherche incessante d'outils, la ténacité et l'ingéniosité déployées à élaborer l'esquisse dans sa flexibilité, son imprécision, sa complexité, sa diversité, afin de préserver cet outil, d'une rigueur obsédante et contraignante.

 

Nous vous invitons à lire cet extrait qui rappelle tout à la fois, le désir premier, le recours aux perceptions, à une certaine mémoire, le travail d'associations, la quête du sens et du "beau" et la recherche d'une composition architecturale harmonique par la réflexion :

 

"J'avais envie que le carrelage (de la piscine) soit de la couleur des yeux... j'ai une petite fille qui a un an et j'ai une amie qui a les mêmes yeux, une belle femme et donc... la superposition des deux comme cela. Je me dis le carrelage des piscines, c'est toujours blanc et là c'est des yeux gris-bleu, voyez... on est allé récemment à Bordeaux manger dans un restaurant qu'a fait Jean Nouvel... et alors la piscine, le carrelage est bleu-nuit dedans, ce qui fait que l'eau est noire et c'est fabuleux, cela... c'est vraiment étonnant... et alors, vous voyez les collages, il y avait les yeux de la gamine et de cette belle femme, il y avait le noir de Jean Nouvel et puis je me dis : "Si je veux que cela ait un sens, il faut que cela continue dehors. "Parce que... si je reste dans les bouts, je fais du collage, je ne fais pas de l'architecture. je ne constitue pas des totalités où les choses coulent comme l'eau qui coule... Réfléchis... comment cette trace bleu-gris va aller dehors ?"[300].

 

Cet enchainement de perceptions, d'images, d'évocations relate avec la légèreté requise la liberté de l'imaginaire et nous rappelle un témoignage relatant avec plus d'amertume "ce manque de liberté... extraordinaire... fabuleux"[301] : Après avoir "pris connaissance du programme, on s'en est écarté clairement et d'ailleurs j'en suis ravi; je crois qu'il ne faut pas s'arrêter au programme"[302].. Nous assistons ici à la recherche de l'inventeur : "Je ne comprends pas que l'on ne puisse pas s'échapper des règles, si le projet répond à une qualité qui ne va pas dénaturer l'environnement proche mais au contraire mieux le respecter"[303].

 

Ces témoignages rapprochés nous signifient à merveille la dimension personnelle à l'oeuvre dans cette démarche. Nous allons tenté à présent de déceler la part "singulière" inhérente à chacun des architectes.

 

 

 

 

2 - SINGULARITE DES ENTRETIENS

 

"Ce qui m'étonne toujours dans les résultats de concours à programme égal, vous avez autant de réponses que vous avez d'architectes ; alors, cela c'est un mystère... ce qui veut dire, si vous voulez, que personne ne fera jamais le même projet..."[304].

 

Nous réalisons ici, combien chaque proposition est une "réponse" partielle et ponctuelle, à un site donné, dans un moment donné, devant une situation technico-politique donnée pour une société donnée... élaborée par un architecte donné. C'est la raison pour laquelle il nous est apparu essentiel de mettre en lumière les singularités repérées lors de ces entretiens.

 

 

- Et parmi ceux-ci, un architecte nous a paru aborder le projet au fil du temps, c'est-à-dire, non seulement à travers l'histoire et sa temporalité, mais également, ancrer cette recherche sur un sédiment culturel que l'on pourrait qualifier "très schématiquement" selon ses propres termes "d'une espèce de champ référentiel, une espèce de grand ordinateur dans lequel on stocke... des bouts de connaissances philosophiques, historiques, scientifiques, je ne sais quoi, comme cela"[305] dans lequel l'architecte puise, s'inspire, expérimente, ou compare... une potentialité infinie qui représente paradoxalement "une chose qui m'encombre aussi... une bonne culture historique, ... une bonne connaissance de l'histoire de l'architecture et de l'urbanisme... et notamment ce point de départ des modernités d'aujourd'hui... ils avaient une santé d'enfer... cela m'intéresse beaucoup... alors je me méfie d'être un copiste inconscient"[306]. Soucieux de construire dans l'intérêt général, avec l'ambition d'apporter une "réponse" personnelle, reflet de l'époque traversée et de s'inscrire dans l'attente collective, nous entendons ici les craintes de cet architecte devant la prégnance de "cette culture, toute cette épaisseur des choses", que "vous ne pouvez pas ignorer"[307]. Epaisseur d'autant plus contraignante, qu'elle prend place dans l'espace social, fermement scellée dans la matière, destinée à assurer la pérennité de l'ouvrage. Ce qui lui fait dire que l'architecture "est quand même un art étrange, cela reste dans l'espace longtemps"[308]. Mais cette présence ne peut en aucune manière être appréhendée en tant que globalité mais plutôt comme "une somme de moments architecturaux"[309].

 

Par analogie, il nous vient à l'esprit que "l'histoire des arts est aussi l'histoire des variations de nos plaisirs"[310]. C'est en tout cas, le point de vue d'André Comte Sponville. Et ceci nous amène à nous attarder sur la sensibilité de ce même architecte - voire une sensibilité énoncée en filigrane  - outil de perception exprimé à des fins professionnelles, mais également reflet, expression première d'un désir. "Moi, je me suis assis sur la chair, la chair des architectures bien faites. Quand je vais dans certains châteaux Renaissance, je me dis, mon Dieu, c'est beau ce truc !... Quelle chair ! Mais vraiment... c'est vrai, c'est sensuel... quand j'étais petit, je touchais les murs du Palais des Papes, le soir, ... je mettais ma joue, parce qu'ils restituaient la chaleur, à onze heures ; et je "prenais un pied pas possible" à mettre ma joue contre le mur du Palais, la façade occidentale du Palais, en Avignon"[311].

 

Ce témoignage résonne de toute la subtilité de l'échange dans Eupalinos de Paul Valéry où Socrate rappelle l'effet si fascinant de la lumière sur les lieux ternes et indifférents en soi, "la lumière du soir mettait la couleur de chair sur les pierres de la voûte... En vérité, cher Phèdre, je n'eus jamais de prison que mon corps"[312].

 

Mais, ceci ne doit pas nous éloigner de l'intérêt que porte cet architecte à la chair qui selon lui "donne du sens" et revêt une autre dimension : "Si on me donne de la chair, c'est comme si vous voulez... parler d'une chose et puis... la faire ou la toucher ou la prendre"[313]. Nous évoquons alors le toucher, ce contact avec la matière élevé par Chaké Matossian au rang de "volupté du grattement"[314]. Il affirme que "transcrivant nerveusement sur le support le jaillissement d'une idée, en creusant cette dernière dans le travail du dessin ou de l'écriture, l'artiste et l'écrivain retrouvent le geste naturel où se mêlent plus qu'ailleurs volupté et souffrance"[315].

 

Besoin de chair, de toucher, de sentir les choses, de découvrir petit à petit, creusant l'idée ou creusant le bloc de pierres, nous pouvons introduire dès lors, l'analogie entre la pratique de cet architecte et le travail de découverte du sculpteur. Ainsi témoigne-t-il : "C'est à peu près la même chose parce que si vous voulez le projet est immanent au lieu... il est immanent... oui, il est contenu"[316], comme la statue est contenue dans le bloc de pierre.

 

Ainsi, l'architecte n'aura de cesse, tel le sculpteur, de tailler, d'affiner, de découvrir, de dévoiler l'objet de son désir. "La Mettrie compare... le désir au chatouillement de l'imagination"[317] et introduit par cette image légère, le rôle de l'imagination au sein de la volupté.

 

Animé par ce désir et restauré par l'imagination, "vous commencez à les assembler par bouts ; cela vous fabrique de la forme, mais cette forme lorsqu'elle commence à monter, elle interfère ce champs, elle appelle différents éléments ou elle rejette différents éléments... et plus elle monte, plus elle devient autonome et plus elle devient autonome, plus elle vous échappe ou plus elle vous contraint "[318]. C'est ainsi que cet architecte évoque ce que nous qualifierons, de sentiment "d'impuissance" du "créateur" devant son "oeuvre". Il nous le définit par ailleurs comme "un mouvement, un phénomène rémanent... les faits continuent. Ils vous entraînent plus loin. C'est une espèce de projet qui devient autonome"[319] et il ajoute "à un moment, je vais vous dire, on ne peut plus rien ajouter ou plus rien enlever"[320]. A travers ce parcours, nous assistons à l'histoire d'un désir initial ayant pris corps, qui non content de son accession à la matérialité, poursuivra sa quête jusqu'à l'ambition ultime : l'indépendance, l'autonomie, la liberté. Et pourtant, dès l'origine, "cette historicité de l'art exclut tout finalisme ; l'oeuvre ne saurait préexister à sa production. Ou plutôt, le finalisme est l'illusion à travers laquelle nous percevons... l'efficace de notre désir, lequel "est en réalité une cause efficiente" (Spinoza)[321]. Autrement dit, l'oeuvre est l'effet, non la cause du désir, et ce désir ne tend que vers sa propre effectuation".

 

L'architecte se trouve alors en face à face avec ce désir qui était sien et se voit contraint de reconnaître "une existence véritable de la forme en tant qu'entité elle-même inerte"[322]. Il entame dès lors, un travail de deuil... ce mystérieux moment où comblé par sa propre créativité, l'architecte après avoir matérialisé, donné naissance, ou dévoilé la forme, devra s'effacer afin d'assister à son envol.

 

 

- Le second témoignage trouve sans doute sa singularité dans cette attitude que nous qualifierons de "quasi-obsessionnelle", qui consiste à "ne pas vouloir figer les choses, comme cela en amont, derrière une idée qui serait préconçue, justement : pré-conçue"[323]. Nous avons repéré ce souci à travers trois objectifs distincts.

 

Le respect des usagers, constituera le premier d'entre-eux : "avant toute chose, c'est eux qui m'intéressent[324]. Ainsi, les prémices du travail s'élaboreront sur la mise en place d'une relation privilégiée. Cette phase est qualifiée de fondamentale. Elle permettra selon elle, de se laisser "pénétrer de ces sensations pour ne pas projeter des images ... qui soient presque "plaquées", gratuites, ... induites"[325]. Sur ce ferment constitué à partir de la vie quotidienne de ces êtres "va émerger un monde, une envie"[326]. Une envie que cette architecte s'empresse de préciser : "Une envie ... que je ne souhaite pas être seulement la mienne mais surtout peut-être le reflet... du désir des gens avec lesquels je suis entrée en communication"5. Le rôle de l'architecte apparaît ici comme celui d'un témoin chargé de se "placer en miroir" de l'usager, afin de transcrire avec respect, ce qui animent ces futurs habitants, de décrypter subtilement les éléments les plus signifiants en vue de la représentation et de l'élaboration du projet. Et pour peu que son discours prête à confusion, elle ajoute : "je ne suis pas là pour modifier le désir des gens, et je ne suis pas là pour transmettre un message... je suis là pour répondre à des attentes", c'est-à-dire "répondre de la façon... la plus fine, la plus subtile aux préoccupations, aux aspirations des gens pour lesquels je travaille"[327].

 

Cette position nous semble revêtir une forme d'ouverture à l'altérité nécessitant un retrait, une nécessaire distanciation permettant le traitement de ces informations. Ce regard extérieur ouvrira à une "objectivation" des faits, des données et préservera d'une proposition qui serait hâtive, partielle, et présentée comme une "réponse" alors qu'en tout état de cause, elle ne constitue qu'un "point de vue" offert avec humilité.

 

Ce premier point ne peut être considéré indépendamment du second. En effet, accepter de recueillir cette matière première, suppose la capacité à "accueillir", "tout ce dont on n'a pas conscience qui s'insinue et qui vient nourrir, enrichir"[328]. Un mot revient comme un leitmotiv et comme l'envers d'un décor profond et riche de potentialités : l'informel. Ce qui anime en effet toute chose avant qu'elle ne prenne forme, "c'est totalement informel à l'origine... mais de cet "espèce de magma"... va émerger un monde"[329]. "De prime abord, ... ce sont des sensations informelles. Qui dit: informel dit : "Il n’y a pas de forme, il n’y a  pas véritablement d'images... Ce sont des choses qui sont... presque indicibles, invisibles"[330]. Ce contexte est vécu avec un sentiment insécure, "c'est tellement informel que j'ai très très peur que cela.. s'évapore"[331]. Nous sentons alors cette architecte aux prises avec deux mouvements distincts et solidaires : "Je n'ai pas envie de tout maîtriser"[332], qui suppose de préserver une place importante à l'accueil du "laisser émerger tout ce qui vient" ou "laisser advenir" selon ses propres termes et parallèlement, le sentiment de traiter une information qui étourdit car susceptible de s'amincir, de s'éventer ou de disparaître.

 

Cette acceptation est sans doute la condition sine qua non à l'expression de la spontanéité. André Comte-Sponville nous parle de l'artiste spontané ainsi : "C'est que sa spontanéité n'est pas autre chose que de la passivité vis-à-vis de soi. Il est libre parce qu'il se soumet"[333]. Ainsi, cette architecte se soumet à l'idée que l'esquisse n'est pas une "fin" en soi. Dans la réalisation de celle-ci, elle affirme : "Il faut que ce soit un tremplin vers autre chose". Elle abandonne la pression mentale pour préférer, à une finalité anticipée et réductrice, une recherche qui soit "vraiment une quête d'harmonie, une quête du beau... une quête de.... l'essentiel"[334]. "Les plus profonds regards de l'homme sont pour le vide. Ils convergent au-delà du Tout"[335]. Ce discours de Socrate, nous conduit vers une quête d'absolu dans laquelle nous ne désirons pas enfermer l'architecture mais qui semble présente dans ce témoignage.

 

Le dernier souci qui anime cette architecte nous dispose à l'imaginer comme un être "ne cessant d'approfondir les parties inexplorées de son art, brisant les assemblages d'idées pétrifiées, reprenant les choses à leur source"[336].

 

La question de l'origine nous semble omniprésente. "J'essaie de retrouver vraiment l'origine, vraiment l'origine... Ce qui permettra au projet de pouvoir... éclore ou pas"[337]. Et "je ne sais pas comment cela part... C'est une envie de couleurs... et je fais des effets de matière, je ne sais pas... et je démarre comme cela et d'un seul coup, il y a des masses qui se dessinent, et il y a des choses qui s'entrecroisent .Il y a un bleu qui croise un jaune, qui crée un vert..."[338]. Evitant de s'enfermer, cette architecte restera attentive au moindre détail, soucieuse de conserver une attitude d'ouverture. Dans cette recherche, "on nous apprend l'ontologie du pressentiment. On nous tend vers la pré-audition. On nous demande de prendre conscience des plus faibles indices. Tout est indice avant d'être phénomène de ce cosmos des limites. Plus l'indice est faible, plus il a de sens puisqu'il indique une origine"[339]. Mais que trouve-t-on au départ :

"Une image globale... à peine visible... juste ébauchée[340]".

"Cela  peut être un mot. Cela peut être un mouvement".

"Ce qui est venu... c'est un geste".

"J'étais incapable de mettre des mots sur..."[341].

"Simplement par un petit détail... on n'est même pas capable d'identifier au départ ... mais on mesure que... le sens a été préservé"[342].

 

Et voici qu'apparaît la question du sens intimement liée à la question de l'origine. Comme si la première était l'ombre de la seconde.

 

"C'est absolument un non-sens "si "la technique et les moyens prévalent sur... l'idée..., sur le sens que l'on va donner aux choses, sur le fondement même du projet"[343], parce qu'à l'origine tout est là, tout existe et que l'attitude juste consiste à ménager "cette ouverture, cette disponibilité". Sans quoi "si on fige les choses, comment peut-on accueillir justement toute cette évocation"[344]. Nous reprendrons les termes de Jean Gasquet extrait de son ouvrage Cézanne et cité par Claude Lefort dans la préface de l'ouvrage de Merleau-Ponty : L'oeil et l'esprit, "ce que j'essaie de vous traduire est plus mystérieux, s'enchevêtre aux racines mêmes de l'être, à la source impalpable des sensations"[345]. Source intarissable, point de départ de l'intuition, profondément enracinée dans l'inconscient et seule capable de déclencher ou donner naissance à "la petite étincelle qui... permet de démarrer"[346], instant fugace, volatile, ... à saisir au seuil du dévoilement, de l'accomplissement.

 

Nous aimerions afin de clore cette analyse, rappeler le récit de François Jacob, qui nous semble "analogue" avec toute la relativité et les égards dûs à sa notoriété.

 

"J'ai accepté trop d'engagements pour l'été : un congrès de microbiologie à Stockholm ; un congrès de génétique à Montréal ; une "Harvey Lecture" à New York. Conférence très honorifique que je tiens à fignoler. Thème choisi : le déterminisme génétique des fonctions virales. Mais le coeur n'y est pas. Un jour sans goût de travailler. Sans envie d'écrire cette conférence. Je tourne en rond dans le bureau, à remâcher de vagues hypothèses, de possibles expériences. En fin d'après-midi, (ma femme et moi) lassés, fatigués, nous décidons d'aller au cinéma. Film sans grand intérêt. Affalé dans mon fauteuil, je perçois confusément en moi des associations qui continuent à se former, des idées à cheminer. Tout un remue-ménage qui se poursuit sourdement, dont je ne songe pas même à maîtriser le déroulement. Sur l'écran des ombres s'agitent. Je ferme les yeux, attentif à ce qui se passe d'extraordinaire en moi. Une brusque excitation mêlée d'un plaisir confus m'envahit. M'isole de la salle, de mes voisins les yeux rivés à l'écran. Et soudain, un éclair. L'éblouissement de l'évidence. Comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? L'expérience de conjugaison faite avec Elie sur le phage, l'induction érotique, et celle faite avec Pardee et Monod sur le système lactose, l'expérience pyjama, ce sont les mêmes. Même situation. Même résultat. Même conclusion.[347]"

 

Nous retrouvons ce "remue-ménage", ces perceptions confuses, ... informelles, dont il ne s'agit "même pas de maîtriser le déroulement", ... attentif et réceptif et enfin, un "éclair", "l'éblouissement de l'évidence", ... l'éclosion créatrice.

 

- En quête d’un certain regard sur le monde, c’est sans nul doute la curiosité qui anime cet autre architecte et le conduit à se définir lui-même comme "assez boulimique"[348]. Fuyant les "mondes clos sur eux-mêmes" et l'esprit de "chapelles", il intègre trois unités pédagogiques d'architecture successivement, suit les cours de Bernard Huet, ceux d'Henri Ciriani, puis les formations de Françoise Choay en urbanisme. Par ailleurs, "curieux, curieux tous "azimuts"[349], il se rappelle : "étudiant à Paris, je ne connaissais rien à l'art, j'allais à toutes les expositions. C'était tout "azimut""3 Avec le même désir d'ouverture au monde extérieur, le voyage lui paraît une nécessité indispensable qui contribue à percevoir la réalité et à dépasser la subjectivité des représentations. "J'aime pas mal voyager, bouger, voir les choses"[350]. L'architecture est une pratique qui s'exerce sur un sédiment très culturel et nécessite "d'avoir une vue large plutôt qu'un point de vue étroit"[351].

 

Mais ces parcours, ces itinéraires ont également pour vocation de se "rendre compte physiquement"[352]. Cet architecte ajoute "tant que je n'ai pas senti la réalité des choses, les lieux, les gens, ce qui fait le fond, j'ai beaucoup de mal"[353].

 

Ces mots mêmes nous signifient la conscience de la réalité au coeur de sa démarche architecturale. Néanmoins, Jean-Louis Le Moigne relativise et subjectivise son existence en ces termes : "Le concepteur, au lieu d'extraire le modèle du réel infère un réel qui n'existe pas encore, des traits du modèle qu'il imagine et qu'il invente"[354]. Cet architecte puise à la source de la réalité et réaffirme sa nécessité ainsi : "Pour moi, la réalité est excessivement importante"[355]. Cependant, il nous explique aussi  combien il est difficile "de faire prendre conscience que les dessins sont des moyens au service d'une finalité qui va être là plus tard et que ces dessins ont leur valeur en soi : ils vont référer de l'ordre de l'image et avoir leur autonomie. En revanche, ils ne sont pas une fin en soi. La fin en soi, c'est l'objet et l'objet réalisé avec en plus dans le cas d'un architecte, le fait que le contrôle ou les erreurs sont très difficiles à maîtriser[356].

 

Soucieux de cette "grande différence entre le dessin et la réalité"[357], nous sentons cette préoccupation et aussi cette difficulté à "figurer", terminologie que Philippe Boudon préfère à "représenter" dont il s'explique ainsi : "La représentation architecturale ne représente aucun objet réel, au sens où représenter signifie, rendre présent, à l'aide d'une figure, d'un symbole ou d'un signe, un référent absent... le terme de figuration nous semble plus adéquat que le terme de représentation"[358].

 

Il est vrai que la figuration architecturale est codée et que la visualisation de l'objet se fait alors au travers d'une reconstitution mentale. Cependant, il faut distinguer deux types de dessins : celui plus technique qui a une vocation instrumentale et les "tableaux d'architectes" tels que ceux de Maximiliano Fuksas ou de Rem Koolhas dont le plaisir subjectif sans fin se nourrit d'une absence de finalité, pour un temps ! Ainsi "l'image de l'architecte-peintre est pour certains architectes fondatrice du passage à l'acte architectural"[359]

 

Dans tous les cas, au-delà de ce clivage, l'objectif premier de cet architecte est de l'ordre de l'exigence : un souci constant de qualité architecturale. Ainsi, déclare-t-il : "Je suis dans une réalité sociale mais s'il y a des choses que je ne veux pas faire, je ne le fais pas"[360]. "J'essaie d'avoir une production qui soit la plus intéressante possible, dans la mesure des compétences, de ma structure, etc..."[361] Il s'agit d'assumer sa production : "Je n'ai pas envie de changer de trottoir par rapport à un bâtiment que j'ai fait"[362]. Nous le percevons, une des énergies motrices est son exigence qualitative :"Je suis mû par le hasard et aussi par une certaine volonté... et je pense que la recherche de qualité est partagée avec des intensités variables"[363].

 

Enseigner participe pour lui d'une même intention, à savoir : promouvoir une attitude, un regard qualitatif sur l'espace, mais aussi s'affranchir de la normalisation et permettre le respect et l'éclosion de la singularité. Cet architecte se remémore. "Initialement quand je suis rentré en tant qu'enseignant (aux Beaux-Arts), je m'étais donné trois chevaux de bataille. Je me suis dit, je ferais de l'histoire en rapport avec la culture générale, enfin, culture dans le domaine de l'architecture; je ferais du "projet" et puis j'essayerais d'aborder le problème du point de vue un petit peu théorique en décortiquant un peu les choses; le problème du sens, le problème de la représentation, le problème du signifiant... tout cela"[364]. Et en définitif, à travers le récit qui suit, nous nous demandons, si la première attitude à préserver dans le cadre de l'enseignement n'est pas le respect de la singularité, face à une normalisation dessèchée et laminante. Suivons ce témoignage. "C'était à l'occasion d'un recrutement national. L'épreuve d'histoire de l'art était établie sur un modèle universitaire qui ne correspond pas aux écoles d'art, qui ne correspond pas du tout au profil du praticien... si cela devait se faire, se poursuivre, cela évacue... cela normalise totalement, cela évacue toute la singularité et la plupart des gens qui n'ont pas suivi un itinéraire normalisé... c'est complètement fou"[365].

 

- Ce témoignage s'appuie essentiellement sur une pratique des concours avec la recherche constante d'une qualité architecturale. Tout au long de son récit, cet architecte évoque d'une part, la nécessité de "coller au terrain" pour développer un regard sensible et d'autre part, analyser le programme qui parait être une préoccupation majeure bien que "ce qu'il y a de terrible dans les programmes, c'est que l'on ne parle pas d'architecture. C'est sec!"[366].

Ainsi, le programme n'est pas ressenti comme un outil de réflexion. En effet, "si on s'arrête strictement à l'analyse du programme, cela ne marche pas"[367]. En revanche, "le programme est très déterminant"[368], qualifié de très, très important. Il ne se passe rien de particulier à la lecture, il représente juste une prise de connaissance dont les deux tiers sont à extraire par leur manque d'intérêt et le tiers restant traite d'un "semblant de composition architecturale". L'élaboration du programme réclame par souci de rigueur, de ne pas induire quoi que ce soit. "Un programme devrait-être nourri de qualités d'espace, en mots. Justement un programme, il faut que cela reste des mots. Ce ne sont surtout pas des schémas, même pas des flèches et encore moins des esquisses"[369]. "Il ne faut pas que cela soit transposé spatialement"[370].

La plus grande difficulté ressentie est sans doute le manque de latitude, de "marge de manoeuvre" face aux règlements d'urbanisme, règlementations incendie, handicapés, règles d'hygiène et de sécurité, etc ... "on n'a tellement pas de liberté . Il y a des règles générales et je le comprends... mais je ne comprends pas que l'on ne puisse pas s'échapper des règles si le projet répond à une qualité qui ne va pas du tout dénaturer l'environnement proche mais au contraire, mieux le respecter"[371].

Aussi, nous le sentons au travers de son  discours, cet architecte "essaie de savoir ce qui est mauvais dans la constitution du programme"[372] ou se "réjouit" lorsqu'il se rappelle : "Plus il y a de pauvreté dans le programme, plus j'ai tendance à sortir du programme"[373]. Il ajoute : "Quand je trouve en face de moi des choses qui sont contraires à l'enrichissement, à l'élargissement du projet, j'essaie de me défendre au mieux pour m'en écarter. Je crois que c'est notre travail"[374]. Nous entrevoyons le rôle essentiel de l'architecte : donner l'esprit au projet n'incombe pas aux programmateurs ; c'est dans tous les cas, "l'architecte qui l'imprime". Il conclue ainsi : "Souvent, un projet naît de ces espaces intermédiaires où d'emblée je suis obligé de m'écarter du programme"[375].

Nous avions le sentiment, en écoutant cet architecte, qu'aborder le programme avec les contraintes énoncées, était pour lui quelque chose de fécond, un tremplin qui permettait de rebondir sur ce qui peut -être n'avait pas été dit ou n'était pas juste. Il acquiessait vigoureusement : "absolument ! absolument... souvent je crois que c'est bien de le faire et je continuerai à le faire"[376].

 

Enfin, il est capital de souligner que ce qui va permettre "d'imprimer un esprit au projet", est sans doute d'amasser un maximum d'informations. Et là, nous nous situons dans l'analyse sensible qui puise à la source : le maître d'ouvrage ou les usagers et le terrain. Lors de la rencontre sur le lieu même "le stade des questions est très important, car c'est là que l'on peut rattraper le programme[377]". Et parallèlement, sur place, le terrain nous permet "d'enregistrer la qualité de l'espace"[378]. Cet architecte tente de capturer ce qui "passe rarement par des mots. Je ne me sens pas littéraire. Je prends tous les moyens possibles autres que les mots, il me semble.Il me reste... la sensation physique"[379].

Placé au coeur de ces deux approches : analytique et sensible, bien qu'animé du "besoin de résumer sur une seule page pour voir tous les besoins, pour visuellement prendre tout d'un seul coup"[380], cet architecte déclare : "Dans un premier temps, il ne faut pas être pressé et se mettre en retrait par rapport au traitement de l'information"[381]. En effet, celui-ci cherche dans un premier temps, ce qu'il nomme une "force", "un élément qui va se détacher du reste de l'information et qui  va donner le premier jet"[382]. Cette distanciation lui paraît essentielle ; elle permet d'éviter d'être trop sage, d'apporter une réponse un peu cartésienne, un peu analytique. Car "au départ, on analyse trop, on intellectualise trop les choses et on n'a pas trouvé la force, la colonne vertébrale qui fait que les choses tiennent la route[383]".Aussi, il le rappelle à maintes reprises : "Il ne faut pas être pressé"[384]. "Il ne faut pas être trop rapide à dessiner"[385].

Dés lors, que la force surgit "le projet se dessine en deux secondes, très vite, en un clin d'oeil, je sais ce qu'il faut faire, et c'est vraiment solide"[386]. Ce dessin peut permettre de s'orienter, de s'appuyer, de s'insérer , de se greffer. Bref, "la première esquisse est la réponse du tout"[387]. Prendre le temps, c'est probablement la contre partie nécessaire pour trouver l'essentiel, retirer l'essence, faire ce travail d'unification.

Cet architecte qualifie le travail de concepteur, de "travail de compositeur, je n'aime pas le mot de création parce que c'est trop fort... Composer, je sais ce que cela représente ; on est plus ou moins habile, on s'éduque, on se cultive... Mais composer, c'est notre spécificité"[388]. Mais, que signifie composer ? "Composer ?... cela veut dire assembler avec goût, avec élégance, avec cohérence. Ce n'est pas de la réflexion. L'art de composer, c'est un travail du tout"[389]. Ainsi, il réaffirme ce qu'il considère comme la "spécialité première" de l'architecte : "Rechercher une composition spatiale, personne d'autre ne peut le faire ; ni les entreprises, ni le maître d'ouvrage, ni les ingénieurs..."[390]. Il s'empresse d'ajouter : "Il est très essentiel de faire comprendre que si on touche quelque chose, on bouge tout"[391], et que "si on vient bousculer les trois quarts d'un bâtiment, c'est un viol"[392]. C'est ce qui confère également au travail de l'architecte, une absence de liberté extra-ordinaire à savoir, cette liberté de modifier l'oeuvre architecturale pour tout un chacun détenant un pouvoir politique ou financier. Pourrait-on imaginer qu'un chef d'orchestre s'octroye la liberté de modifier une composition musicale, de supprimer un violon pour des raisons financières, ou d'extraire quelques accords ou quelques notes ? Cela semble tout simplement inimaginable.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IV - L'ETHIQUE DU PEDAGOGUE

 

 

 

 

"Il n'y a plus de traités d'architecture affirmant péremptoirement ce qu'est la ville, ce qu'est l'espace, ce qu'est la construction. Cette absence de théorie universelle semble renvoyer même à l'érosion des conditions nécessaires à son élaboration. Mais l'impossibilité d'un consensus permet l'émergence d'une multiplicité de démarches particulières qui n'en demeurent pas moins de véritables machines à penser l'architecture"[393]. C'est ainsi que Richard Scoffier introduit ces "Entretiens avec Portzamparc, Hauvette, Tschumi". Le déconstructivisme a souhaité s'affranchir plus ouvertement des règles. Ce courant n'a-t-il pas édicté d'autres lois ? Dans tous les cas, il a probablement contribué à amorcer une petite mort des idéologies.

 

De quoi s'agit-il ? D'une absence de théorie universelle et simultanément d'une multiplicité de démarches particulières. La pédagogie a-t-elle d'autres ambitions que : voir se révéler autant d'attitudes créatives, de regards singuliers, voir s'exprimer et s'épanouir autant d'êtres.

 

Pourquoi une éthique ?

Parce que l'éthique se place du côté de la question ; donner des règles, imposer des interdits ne s'inscrit pas dans sa logique. En effet, la logique de l'éthique est interrogative. C'est la pratique ou l'action qui engendre et nourrit la réflexion éthique.

Elle soutend la notion d'engagement avec ses fondements : questions, doutes, inadéquations, errances... Il y a sans doute la recherche d'une ouverture à la multivocité du sens qui suppose de : s'extraire de l'urgence, compter sur la patience du sens et renoncer à la rage de conclure à toute forme de vérité.

 

 

 

Pédagogie vient du grec paidagôgia qui signifiait : "direction, éducation des enfants". Au début du XVIIe siècle, la pédagogie est définie comme "science de l'éducation des jeunes"[394]. Antoine de La Garanderie la présente aujourd'hui comme "science des projets" et bien au-delà il rappelle à tout pédagogue la nécessité de repérer ses propres attitudes afin de ne pas les induire, ne pas les projeter sur les élèves. Il semble capital de prendre conscience du rôle d'accompagnateur du pédagogue dont l'enseignement ne constitue qu'un regard proposé, offert.

Conduire pour un temps, tel est le rôle du pédagogue sans omettre que "nombres de recherches et de réalisations les plus nobles de l'esprit sont étroitement liées à l'aptitude que possède l'homme de faire l'expérience du paradoxe et c'est pourquoi dans son dernier livre, (Bateson) considère que le jeu et la création doivent être envisagés comme un seul phénomène".[395]

 

La fantaisie semble présentée ordinairement comme une voie privilégiée pour accéder à la poésie, non à la connaissance. Cependant, la fantaisie semble posséder  une vertu : nous chuchoter la nécessité de ne pas supposer le sens acquis  et ainsi de nous aventurer sur le chemin du sens afin de rechercher comment l'intuitionner.

 

La pédagogie peut-elle nourir une plus belle ambition que redonner à l'enfant ce qu'Antoine de La Garanderie nomme : le "feu du sens" ?

 

Nous sentons dès lors que présentée seule comme science, réduit la dimension de la pédagogie, son ambition et les moyens auxquels recourir. En effet, si l'imagination nous parait indispensable dans tout apprentissage, il lui revient une place de choix dans le travail de conception de l'architecture. Outre des qualités intellectuelles nécessaires telles que : l'anticipation, l'habitude de conduire des stratégies à long terme et un sens de la déduction, l'architecte s'appuiera solidement sur un univers onirique qu'il nourrit et habite, afin de conduire insensiblement son imaginaire vers sa mise en forme.

 

Ces dimensions oniriques et imaginaires ne pourront s'explorer, s'élaborer et se dilater qu'à l'occasion d'un dialogue dont la forme sera avant tout incitative et non dogmatique. Seul un climat d'empathie, de congruence et de respect permettra à l'individu en apprentissage de mettre au jour, de "mettre à nu", ce qui l'anime dans les profondeurs.

 

Nous désirons rechercher un "outil" qui ne serait ni une "technique", ni une "méthode", ni un "système" et encore moins une "théorie", peut-être une expérimentation qui s'appuyant sur l'expression intuitive, permettrait la verbalisation et l'élaboration d'une communication spontannée entre élèves et pédagogues, dans un apprentissage toujours renouvelé. En suivant l'étymologie de "pédagogue", il nous semble pouvoir éclairer la position du pédagogue par rapport à l'élève. En effet, issu du grec, paidagôgos, le pédagogue était "l'esclave chargé de conduire les enfants à l'école"[396]. La conduite de cette relation, nous le percevons, s'apparente à celle du guide qui ambitionne l'autonomie de l'enfant et suppose en conséquence de penser l'effacement. Effacement qui ouvrira une lattitude nécessaire à l'émergence d'esprits novateurs.

 

Ainsi, sera-t-il permis au pédagogue de vérifier ce qu'énonçait Pascal dans ses Pensées : "A mesure qu'on a plus d'esprit, on s'aperçoit qu'il y a plus d'hommes originaux"[397].

 

Dans ces intentions, nous ne mentionnerons pas l'apport culturel. Ce n'est évidemment pas par désintérêt, bien au contraire. L'une des missions du pédagogue doit permettre l'accès à la culture ; mais pas de manière forcenée. Il nous semble capital, pour qu'une assimilation de l'apport culturel puisse s'opérer, que l'individu en apprentissage ait pu faire l'expérience du sens en amont, ayant redécouvert la confiance en lui-même.

 

Mais, ce qui vient d'être énoncé, nous parait relever du consensus. Afin d'y répondre, nous avons élaborer des propositions pédagogiques qui répondent à cinq temps dans l'espace de la découverte.

 

1 - Kaïros - le moment opportun        : Laisser du temps au temps

2 - La dimension poétique                   : Nourrir l'évocation

3 - La recherche du sens                      : Développer la verbalisation - la                                          visualisation

4 - La valeur du geste                           : Incarner la pensée

5 - L'ouverture à l'imaginaire              : Susciter un éveil critique

 

Pour illustrer cet enseignement, nous désirons nous appuyer sur une expérience récente vécue avec une quinzaine de jeunes âgés de 16 à 19 ans, préparant un BEP de collaborateur d’architecte. Nous engagions l’année par un travail destiné à réveiller leurs aptitudes évocatives. Par ailleurs, nous relaterons des expériences vécues à l'école des Beaux-Arts en section "architecture intérieure" où nous enseignions aux troisième et quatrième années.

 

Ainsi, après avoir décrit la pratique de l'architecte et procéder à une analyse de leur fonctionnement permettant l'élaboration de l'esquisse, nous tenterons à partir des connaissances engrangées, de nous engager sur des propositions pédagogiques. Par la même, nous témoignerons de nos expériences d'enseignement et du passage à l'acte pédagogique ; avec l'ambition première d'accompagner les élèves ou étudiants vers la découverte de leur être, de leur créativité et de leur singularité.

 

 

 

 

 

1 - KAIROS - LE MOMENT OPPORTUN

 

"Laisser du temps au temps"

 

Les grecs "élevaient le moment qui fait sens au rang des organisateurs de l'être"[398]. Auprès de Chronos qui engendre et dévore (symboliquement sans doute ce que nous sommes en train de vivre en cette fin du XXeme siècle) se tenait dans l'ombre Kaïros, dieu du Moment opportun. Pour Elie G.Humbert "Le moment est un temps défini par la qualité et non pas la durée. Sa nature temporelle est constituée par l'effet de sens"[399].

 

Ceci nous semble fondamental. En effet, si nous voulons que le sens émerge et qu'il soit un produit né de la conscience, il ne s'agit pas de vouloir décider du sens à la place de l'élève, mais d'entrer en communication par une écoute attentive, une observation discrète. Conduire l'élève à "reprendre contact avec le champ perceptif où vivent à l'état "latent" les sens"[400]. Ce parcours réclame de la part de l'élève de retrouver le chemin de sa propre écoute, de reconnaître son intériorité. Il peut remonter vers ces perceptions premières, mémorisées et inscrites dans le corps.

 

Merleau-Ponty nous parle de la double rencontre du monde et du corps, à la source de tout savoir, en ces termes : "Un corps humain est là, quand entre voyant et visible, entre touchant et touché, entre un oeil et l'autre, entre la main et la main se fait une sorte de recroisement, quand s'allume l'étincelle du sentant sensible..."[401].

 

En recul, attentif et ouvert, l'élève découvrira que "le présent où se vit l'expérience du centre est fait à la fois d'une tension entre l'anticipation et l'actualité et d'une disponibilité à l'inconscient"[402]. Animé par le désir d'introspection, il se gardera de toute agitation et cherchera le silence.

 

Cette attention, cette disponibilité intérieure n'excluera pas le projet de sens latent : elles contribueront à créer cette vacuité, ce temps de recul nécessaire afin de s'extraire des sollicitations extérieures. Il s'agira sans doute pour le pédagogue d'aider l'élève à trouver le chemin de l'anticipation. Temps ou espace, où ce dernier se parlera ou se visualisera avec une conscience intérieure sans interférences extérieures.

 

Pour le pédagogue, l' attitude sera empreinte d'effacement. Il conduira chaque geste, à travers un temps qui sera nourri par un espace de silence. Seule cette "vacuité" satisfera à ce "besoin d'un temps de neutralisation du monde"[403], propice à créer une détente mentale, une latence interne active née de la rupture de rythme. "On ne peut étudier que ce que l'on a d'abord rêvé. La science se forme plutôt sur une rêverie que sur une expérience et il faut bien des expériences pour effacer les brumes du songe"[404]. C'est ainsi que Bachelard nous invite à rêver : moment essentiel durant lequel s'élabore le projet de sens ; temps béni pour sortir de la crispation et éviter l'enfermement dans l'impératif de la consigne. Il s'agit d'un temps suspendu, un temps d'expansion de la dimension onirique, une incitation à la flânerie...

 

Respect de l'enseigné,

Respect du moment,

Respect du silence.

 

"Le présent n'est qu'un passage fugace entre le passé et le futur. Il est la seule existence. Le temps qui s'écoule... est un présent qui se développe. Un présent qui tâtonne, cherche son chemin, se reprend, invente"[405].

 

Nous arrivons sur les rives d'un fleuve impétueux qui porte vers de vastes étendues : l'imagination avec sa fantaisie, sa spontanéité, sa liberté temporelle. L'éducateur se présentera comme un passeur soucieux "d'ouvrir sa pensée interrogative afin que l'enfant puisse faire jouer les harmoniques de son imagination"[406].

 

Une présentation de la réflexion théorique de Kandinsky sur le point, la ligne et le plan nous permettait d'introduire les principaux éléments de représentation en architecture dans l'élaboration des plans. Suivie d'une projection de diapositives sur divers travaux plastiques contemporains : dessin, peinture, sculpture, nous avons proposé aux élèves d'inventer et de rédiger : "l'histoire de la rencontre d'un point avec une ligne", texte qui servait de "tremplin" à la réalisation d'une représentation graphique de l'histoire en deux ou trois dimensions.

 

A l'occasion de ce travail proposé dans un cursus d'apprentissage, il nous a été donné de mesurer combien de difficultés surgissent ; l'un d'entre eux dont l'histoire écrite nous semblait structurée, claire, riche de nombreuses images, se trouvait dans l'incapacité de passer à la représentation. L'énoncé oral posait problème et témoignait presque d'un refus de livrer le potentiel évocatif contenu dans le récit même. Une forme de pudeur nous était opposée sous forme du refus de communiquer, de se dire. Cette attitude empreinte de peurs indicibles : peur de se dévoiler, peur de se surprendre, peur de se laisser aller à la découverte, nous intimait le respect. Ainsi, l'élève avait besoin alors d'anticiper de l'intérieur la communication ultérieure vers l'extérieur. Nous le voyions "se redire dans sa tête", nourrir ce dialogue intérieur avec lui-même pour lui permettre de dépasser sa peur de la rencontre avec autrui. Il rejoua le texte autant de fois indispensables pour enfin extérioriser ce qui s'exprimait si spontanément à l'écrit.

 

A force de patience, d'écoute des murmures, des silences et des soupirs, à force d'accompagnement, de cheminements conjoints, cet élève découvrait la richesse de l'énoncé, le charme des évocations et le plaisir du partage avec soi et de la rencontre avec autrui.

 

Dans ce même contexte d'apprentissage, nous avions introduit une recherche sur l'évocation et sur l'espace de la maison individuelle par les travaux de Gaston Bachelard et notamment le chapitre sur la maison : "de la cave au grenier"[407]. Après avoir énoncé la symbolique contenue dans chaque espace et leurs puissances évocatives, nous avions conduit les élèves à rechercher le potentiel évocatif qui les habitait.

 

A l'origine, déconcertés, leur vie ne semblait pas contenir de souvenirs "dignes du moindre intérêt " ; l'un d'entre eux, déclarait même avec véhémence qu'il n'avait connu aucun lieu  où il lui avait été donné de vivre des événements capables de teinter ou d'imprimer une coloration particulière à son vécu présent. Certains d'entre eux commençaient à se prêter au jeu, lorsque avec un élan étonnant, sortant de son attitude de fermeture, du blocage quasi- "affectif" qui l'opressait, Jérôme exultait : "je me souviens, j'allais chez ma tante à Rennes, qui habitait une très grande demeure, avec un grenier immense, une très vieille charpente et un monceau de vieilleries... quand j'allais là-bas, je jouais toute la journée dans ce lieu". Dans le cas présent, il semble que la communication établie librement entre les individus ait suscité chez lui le désir de ne pas se sentir isolé,  réveillé les plaisirs passés, les ait ravivé pour les partager et se les donner à "vivre de nouveau". Ici, l'attitude du pédagogue est déterminante. En effet, c'est l'absence de pression, de contrainte qui crée les conditions d'expression spontanée. Le détachement authentique de l'enseignant, consentant même à ne recueillir aucun témoignage, ouvre la voie à la libre expression.

 

Nous voudrions enfin rapporter l'expérience de Simon qui semble ne pouvoir trouver une issue qu'avec l'appui du temps :

Concevoir un escalier destiné à mettre en relation  un espace de vie dont la fonction était à déterminer et un espace capable d'abriter les rêves ; tel était le sujet proposé aux élèves de première année de BEP dessinateur en architecture. L'un d'eux proposait de relier une cabane de pêcheur sur une plage en contrebas à une sorte d'observatoire implanté en haut d'une falaise. L'escalier envisagé prenait naissance à la base de la falaise, de façon souterraine, de sorte qu'il était nécessaire d'extraire la roche pour créer ce passage. Avant d'arriver à l'observatoire, il émergeait aérien à la lumière, à mi-chemin pour arpenter librement les derniers mètres. Soucieux de travailler cette articulation de l'escalier, cette zone franche entre espace intérieur et espace extérieur, l'élève se voyait "bloqué", conscient selon ses propres termes, "de se livrer", de "se mettre à nu".

La dimension symbolique exprimée dans la mise en images lui semblait relever de l'impudeur et lui porter atteinte.

Désireux de proposer une recherche spatiale accompagnée d'un "rendu" graphique, nous ne pensions pas nous confronter à de telles difficultés. Simon nous expliquait comment, en raison d'une situation familiale difficile, il avait été amené à dessiner et à voir ses dessins analysés par les psychologues, de sorte que chaque expression, chaque trait, chaque geste, chaque mot dévoilaient plus sur lui-même qu'il n'aurait jamais désiré confier.

Dès lors, nous mesurions que toute expression le trahissait au-delà de son désir. Nous nous rappelions néanmoins qu'à l'occasion d'un autre sujet, il avait préféré la mise en oeuvre d'une maquette en trois dimensions à la figuration par l'image demandée.

Aussi, nous lui proposions de travailler les matières en trois dimensions jusqu'à élaboration d'une mise en espace,  d'une maquette.

 

Dans le cas présent, ex-primer, sortir de soi représente un dévoilement. L'expression réfère à la mémoire d'une situation de crise, à une histoire. Il s'agit de révéler les aptitudes présentes par l'écoute attentive et le respect de ce qui est énoncé sans jugement. Il importe de conduire cet élève vers la réconciliation, la reconnaissance de lui-même, valoriser ses points forts par l'ouverture à un autre outil : vecteur momentanné, ceci avec l'appui du temps et animé d'une sincère et profonde empathie.

 

L'acte de créer est un geste si simple et si difficile à la fois. Il soutend la faculté de laisser place au vide en nous, de laisser émerger librement ce qui nous habite secrètement et d'accepter l'éclosion de ce que nous pressentions, mais n'imaginions pas. "L'objet est d'apprendre, non comment trouver son chemin, mais comment le perdre"[408]. Le temps est suspendu, le moment opportun est là. Entre le temps cyclique qui anticipe, dans une certaine mesure, les développements inconscients et le temps linéaire qui permet la projection, le moment opportun empreint de sérénité ouvre à cet éveil, cette intuition du sens qui surgira soudainement avec la puissance de l'éclair.

 

 

2 - LA DIMENSION POETIQUE

 

" Nourrir l'évocation"

 

"Un univers fait d'imagination sans limite et de critique sans fin, où le jeu consistait à inventer sans cesse un monde possible... faire des expériences c'était donner libre cours à toutes les idées qui me traversaient la tête. C'était fabriquer sans cesse de nouvelles "petites lumières""[409]. C'est en ces termes que François Jacob parle de son entrée au laboratoire d'André Lwoff à l'institut Pasteur :

petites lumières,

éclair,

étincelle,                                                                                            autant de mots, autant de signes, autant de témoins d'une activité évocative qui puise aux sources de la mémoire avec l'appui des sens. Et cette mémoire, "quel sac à malice que la mémoire ! Quel piège à images ! Ce qu'on y cherche on ne le trouve pas. Mais on y trouve ce qu'on ne cherche pas[410]": l'inédit. L'inédit ne réside-t-il pas dans l'assemblage, la connection, le lien, l'union, la liaison d'éléments antagonistes ? Nous aimerions faire l'éloge de l'aléatoire ou de ce qui semble l'être. Prendre le risque du hasard ou de l'incertitude et jouer. Et voici sans doute une clé, la clé de voûte de la recherche poétique.

 

Mais tout ceci peut paraître confus et pourtant nous distinguons un fil conducteur entre ce jeu d'allers-retours, entre perceptions et évocations et cette accession à l'image évocative ou image poétique. Bachelard l'affirme : "L'image est avant la pensée"[411]. Il ajoute qu'elle "émerge dans la conscience comme un produit direct du coeur, de l'âme, de l'être de l'homme saisi dans son actualité"[412].

 

Il s'agit bien d'une passerelle entre perceptions et mémoire vive qui compose dans l'instant ces évocations. L'écho d'un passé qui trouvant sa résonnance permettra à son tour l'émergence d'un langage à travers l'image poétique. "Enrichir pour moi", nous dit Peter Eisenman dans son entretien avec Charles Jencks, "ce n'est pas donner à quelque chose une valeur nouvelle, c'est dévoiler ce qui a été dissimulé par de vieilles valeurs"[413].

 

Nous le pressentons, cette ouverture aux évocations qui émaneront de l'individu lui-même, ouvre à la découverte d'un nouveau regard, à la reconnaissance d'une vision singulière. Nous rejoignons Antoine de La Garanderie lorsqu'il définit le devoir de l'éducateur comme une ouverture "à la perspective de l'oeuvre personnelle"[414] et invite "à favoriser le passage de l'image passive à l'image active de soi"[415].

 

Favoriser l'investissement personnel de l'élève conduit ce dernier à s'éveiller, à ne pas être dépendant d'une imprégnation culturelle et à échapper à un déterminisme. Il s'agit sans doute de permettre l'accès à l'être dans ses profondeurs afin de "forger des regards qui ne soient pas ceux d'une contemplation consommatrice d'images verbeuses et impuissantes à produire la transformation des choses"[416]. Ne pas être dépendant du perçu, ne pas être prisonnier des concepts, afin de laisser éclore cette image née du retentissement intérieur.

 

L'expérience de Karen est à ce titre exemplaire.

A l'issue de sa quatrième année d'études en architecture intérieure aux Beaux-Arts, Karen décidait de concevoir la mise en espace de chacun de nos cinq sens dans cinq volumes cubiques de dimension identique, de cinq mètres de côté. Après avoir réalisé un travail créatif de grande qualité, à la veille de sa soutenance, elle nous téléphonait affolée ; en effet, tentant de répéter sa présentation orale, elle ne trouvait plus ses mots. L'ensemble de ses motivations originelles s'étaient évanouies, son parcours conceptuel même s'était éffacé. Elle n'avait plus accès à ses capacités d'expression, de communication, en vue de transmettre son projet.

 

Karen se trouvait en réalité, en situation de blocage. Elle ne s'estimait pas "à la hauteur" face au formalisme de l'épreuve orale. Aussi, chaque tentative énoncée était ressentie comme miséreuse, laborieuse et en définitif inadéquate. La richesse de ses évocations visuelles qui était le moyen privilégié pour construire son travail, se heurtait à sa maladresse verbale.

 

Consciente que sa conception était intimement liée avec la pratique corporelle de l'espace, nous lui proposions de bien vouloir fermer les yeux et de reparcourir mentalement l'espace, de retouver les sensations projetées spacialement afin d'éveiller le corps. Ainsi, à mesure que l'espace était ré-évoquer en pensée, les mots surgissaient à nouveau, justes, percutants et évocateurs. Traversant ce volume conçu sur le "toucher", sentant cette forêt de tiges souples et flexibles effleurer ses hanches, elle avançait dans l'obscurité, les mains en éveil, en aveugle soucieuse de capter autant d'indices pour se frayer un chemin, une voie d'accès à la mise en mots, au verbe.

Nous saisissons immédiatement la nécessité impérative de l'évocation. Ici, ré-évoquer permet de ré-incarner pour retrouver le sens. Karen, pour accèder aux mots, doit passer par l'évocation visuelle. Ainsi, fermant les yeux, l'image visuelle reconnecte au fil conducteur du sens et lève le blocage de l'expression mentale. L'image visuelle agit comme un déclencheur du mot, ouvre l'accès au verbe.

 

Ceci préfigure une situation, mais nous le savons, dans cette élaboration, chaque relation, chaque expérience pédagogique requiert écoute et créativité. En effet, il y a autant de contextes que d'individus, de démarches que de moments. Il n'y a aucune "recette", tout juste le désir ultime de trouver l'outil qui permettra de rejouer l'expérience de manière positive. Aussi, nourrir l'évocation réside sans doute dans la capacité du pédagogue à ouvrir très largement ses références, à ne pas induire de schèmes réducteurs, à ne pas court-circuiter l'éveil qu'il suscite afin que l'enseigné puisse accueillir ce "soudain relief du psychisme"[417] qui donnera naissance à l'image qui "a touché les profondeurs avant d'émouvoir la surface"[418].

 

Marcel Jousse nous renvoie à l'essence de la mémoire en ces termes : "mes Mémoires constituent mon oeuvre écrite. Mais le volume primordial, inépuisable, il est en vous, dans la prise de conscience de votre être profond"[419].

 

Comment éveiller l'être, comment accompagner l'individu vers cette dimension primordiale qui l'habite.

 

"A ma grande surprise, ceux qui atteignaient l'inattendu et inventaient le possible, ce n'était pas simplement des hommes de savoir et de méthode, c'était surtout des esprits insolites, des amateurs de difficulté, des êtres à vision saugrenue. Chez ceux qui occupaient le devant de la scène venaient souvent se déployer d'étranges mélanges d'indifférence et de passion, de rigueur et de bizarrerie, de volonté de puissance et de naïveté. C'était le triomphe de la singularité"[420].

 

A l'occasion du sujet proposé à des élèves dans le cadre d'un cursus d'apprentissage : "Récit de la rencontre d'un point et d'une ligne", voici l'un des textes recueillis :

 

"Dans un lointain pays inconnu vivait une tribu appelée : les points. Ils vivaient heureux et en parfaite harmonie avec la nature. Mais un jour des hommes appelés : lignes, découvrirent ce pays et l'envahirent. Ils enfermèrent tous les points dans des prisons.

Un jour, une jeune ligne et un jeune point tombèrent amoureux. Malheureusement ce dernier était esclave du grand chef point, le père de la jeune ligne. Un jour, il apprit que les deux jeunes gens s'aimaient. Il entra dans une terrible colère et interdit à la jeune ligne de revoir le jeune point. En effet, les lignes ne devaient absolument pas côtoyer la tribu des points parce qu'ils étaient tout simplement différents.

Les deux amoureux s'enfuirent sur une île déserte où là, ils eurent plein de petits enfants qu'ils prénommèrent tous : Note de musique".

 

Ce récit ne fût pas représenté par un dessin. En effet, l'élève n'arrivait pas à dessiner. Il se trouvait en situation de blocage, persuadé de "ne pas savoir dessiner". Nous lui demandions après avoir longuement discuté de passer outre ses difficultés, à la représentation graphique. Les images visuelles concrètes étaient bien présentes dans sa tête. Le médiateur privilégié pour se "dire" était l'écrit. L'usage même du crayon ou de tout outil destiné à dessiner, engendrait une paralysie. En effet, la confrontation à une expression graphique supposée a priori  maladroite, avait réduit l'élève au mutisme. La découverte d'un nouvel outil d'expression comme le collage paraissait inespéré et réouvrait la voie possible d'une mise en image. Il s'agissait de composer le sens de l'histoire, par l'assemblage de fragments existants, non connotés, sans expression personnelle, sans risque de trahir sa sensibilité. Ces parties d'un tout, extraites et recomposées en vue d'une illustration distanciée et surtout désaffectivée. Ainsi, il choisit de recourir aux collages d'éléments découpés dans des revues afin de reconstituer le contexte et le déroulement du récit au travers d'une image visuelle graphique.

 

Ici, Antoine vit difficilement son absence de maîtrise du dessin qui trahit l'image concrète mentale présente. Aussi son insatisfaction le conduit à se déconnecter. Il lui faut trouver le moyen de passer d'un espace mental à un espace graphique. Le médiateur pour lui est le mot. Ainsi, en écrivant il se parle ses images concrètes et construit temporellement l'histoire. Il est impératif de lui trouver un outil qui lui serve de lien temporel dans la représentation graphique. Le collage, en ce sens, lui permet de recomposer l'histoire linéairement et de se parler les relations qu'il figure sur le collage par des flèches.

 

Entre ce travail nourricier et ce travail d'éveil, le pédagogue devra être relié à sa propre dimension poétique et imaginaire, afin de suivre pas à pas, le rythme de l'inspiration de l'élève, ses chemins inexplorés, ses voies sans issue, souvent accompagnées de découragement ; il insufflera à nouveau curiosité, ouverture, passion, pour permettre à l'élève de "rebondir" et de retrouver par sa propre motivation un nouvel élan ; il poursuivra avec respect ses renoncements, ses inquiétudes afin de les dissiper. Il escortera enfin ses aspirations, ses enthousiasmes, voire ses délires, avec l'ambition d'aider l'élève à constituer ses propres outils de réalisation.

 

Mais avant de parvenir à celle-ci le pédagogue a mission de délivrer le sens contenu dans chaque chose. Avec l'aide de l'élève, sans induire un sens qui lui serait étranger, l'enseignant ouvrira à l'univers de la compréhension.

 

 

 

 

3 - LA RECHERCHE DU SENS

 

Développer la verbalisation - la visualisation

 

"Mais d'où viennent les embryons qui concrétisent un début de pensée ?"[421]

L'interrogation ainsi posée par Christian Portzamparc lors de son entretien avec Richard Scoffier, illustre cette nécessaire quête du sens qui soutend chaque projet. Nous l'avons expliqué, le processus de conception est une médiation et force est de constater "l'impossibilité d'arrêter une pensée qui change toujours et se nourrit de ses constants recommencements"[422]. Mais par ailleurs, cette impossibilité suppose le recours à un outil de représentation accueillant et témoignant de ce processus toujours en marche. L'alternance entre verbalisation et visualisation de l'objet projeté concoure à lui donner forme.

 

Nous étions restés à la constitution des évocations, formidable creuset dans lequel nous puisons ; une sorte de vieille malle abandonnée dans un grenier, que nous aurions choisie et restaurée pour accueillir nos souvenirs, nos désirs, engrangeant nos intérêts récents, nos constatations, nos interrogations, enfin toutes ces choses, reflets ou échos de notre rapport à nous-mêmes et au monde.

 

Voici le temps de s'ouvrir à la compréhension, au sens.

 

Parfois cette recherche se heurte à un blocage. Comment avoir accès au sens ?

De quelle matière première disposons-nous ?

 

Selon les individus, parfois d'images mentales verbales ou visuelles, autrement dit de mots ou de représentations graphiques et parfois de combinaisons mixtes. Ces images sont autant de "tableaux", riches d'intentions dont la multitude d'indices nous éveille au sens. Il s'agit de les déceler, de les assimiler afin qu'ils nous délivrent le sens contenu. L'image est en quelque sorte la restitution mentale de ce qui a été évoqué. Cette visualisation mentale est essentielle et néanmoins elle n'exclut pas un recours à la verbalisation capital, notamment lors de la conception avant l'acte de construire. Un discours certes, qui n'a pas pour ambition de définir des concepts, mais qui permet l'accès à une appropriation du sens. Un discours qui analyse, un discours qui mesure, un discours critique qui engage, un discours intérieur qui enracine. Une sorte d'alchimie qui s'opère et transmue les évocations originelles en propositions sensées.

 

Retraçons le cheminement emprunté par Jérôme à l’occasion du sujet proposé : relier un espace de vie en rez-de-chaussée à un espace de rêves dans les hauteurs par un escalier, un élève en première année de BEP dessinateur en architecture animé du désir de contourner ou de détourner les sujets, s’empressa d’argumenter que seuls les rêves permettaient de construire la réalité. Ces rêves dans lesquels on puise pour construire sa vie. Hergé ne déclarait-il pas : "A force de croire en ses rêves, on en fait une réalité". Aussi, nous relevions la "contre-proposition" en demandant le récit d’un rêve prenant corps dans la réalité. Jusque-là, Jérôme était cantonné dans l’image d’une salle à manger parallépipédique connectée par un escalier sans qualité à une chambre digne d’une conception pavillonaire.

A compter du moment où nous autorisions, alertée par la "provocation", un moyen de se ré-approprier le sujet, il parvint à dépasser la difficulté de se positionner et d’affirmer son intention. En effet, avec le recul, il nous semble que cet élève avait des difficultés à se situer à la troisième personne et redéfinir le sujet selon ses propres termes à la première personne, lui permettait d’accepter et d’accéder au message. Le sujet énoncé par nos soins était en effet perçu par Jérôme en troisième personne. Cela suppose en conséquence pour l'élève d'évoquer en troisième personne, à savoir évoquer des éléments qui sont extérieurs à lui, de les intégrer pour évoquer en première personne. Ici, Jérôme a du mal à accepter les références d'autrui et n'arrive pas à évoquer un sujet qui ne vient pas de lui. Il a besoin de se commenter personnellement, afin de s'approprier le sujet. Le réénonçant en première personne, il perçoit ses propres références et accède ainsi à l'évocation. La reformulation par le verbe actif en première personne le conduisait à s’approprier le sens, à repasser les éléments par son propre jeu et à se situer plus aisément. Ainsi, il conçut un balcon, origine d’un escalier hélicoïdal descendant tel une spirale vers les profondeurs sous-marine, dans un espace digne de Jules Verne creusé dans la roche, avec un regard béant sur la mer. Pour la première fois, nous échappions sans doute, aux images-clichés projetées.

 

Quel est le travail du pédagogue ?

 

Sans doute engager à émettre des hypothèses toujours nouvelles, inciter à repérer les similitudes, élaborer une réflexion sur l'analogie, inviter à déceler les différences ; mais surtout assister l'élève dans sa difficile assimilation de la complexité, dans la découverte des divers niveaux de lectures qui se superposent ; le soutenir dans ses réflexions ardentes en canalisant l'élan vers une clarification du sens. Tempérer ou activer selon le cas les motivations de l'élève afin que ces efforts de verbalisation et de visualisation puissent prendre corps, forme, matière et couleur ; qu'une acuité plus fine et plus subtile pare d'un sens inédit et profond ses désirs originaux.

 

Voici le récit d'une expérience vécue dans le cadre du BEP dessinateur en architecture, sur le même sujet.

 

Déterminée à relier par l'escalier, son espace de vie, un petit salon d'été avec terrasse à un balcon suspendu dominant le paysage alentour pour abriter ses rêves, Fatima projetait aisément ce trajet dans sa tête. Après avoir réalisé quelques organigrammes, elle se trouvait dans l'impasse, se voyait dans l'incapacité de représenter en plans, ses aspirations. Elle cherchait dès lors auprès des autres élèves, informations ou modèles pour pouvoir calquer ou copier ce qui l'entourait.

 

Nous lui demandions de tenter une représentation personnelle. Elle avouait ses difficultés et désirait que nous prenions le crayon à sa place. Nous refusions et lui conseillions de "se lancer". Elle se mit à pleurer et nous confiait qu'elle se sentait "paralysée". Il nous semblait depuis le début de l'année que cette élève ne se faisait pas confiance. Aussi, nous décidions de la guider pour mettre en oeuvre les plans. Consciente que la globalité l'empêchait de passer à l'action, il nous apparût nécessaire pour faire face à cette complexité, de suivre un cheminement temporel. Aussi , nous l'engagions à décomposer ces évocations originelles afin de recomposer l'espace à partir de la linéarité. Nous lui recommandions de "se" parler le parcours et d'accompagner chaque mot, d'un trait symbolisant ce qui était énoncé. Mot après mot, trait après trait, les espaces se formaient, le plan se composait. Ainsi, construisant au fil du temps, Fatima appréhendait l'espace et levait le voile sur le fil du sens. Quelle satisfaction avons-nous pu lire sur ce visage ayant dépassé le renoncement et surmonté l'échec.

 

"L'architecture imaginaire déconnectée de l'ambition du réel peut vite tourner en rond. Au contraire, l'épreuve du réel revigore sans cesse la pensée. C'est la grandeur et la misère de l'architecture face aux arts plus libres... L'architecture n'est pas un langage, et ne se structure pas comme un langage. Au contraire, d'une certaine façon, elle nous en délivre. Elle établit un autre type de relation au monde, plus archaïque sûrement, mais peut-être aussi plus dense, plus fondamental"[423]. Laissons nous conduire dès à présent vers cette voie "archaïque" telle que la définie Christian de Portzamparc, vers cette appréhension ou cette compréhension du monde déployée dans le geste.

 

 

 

 

 

4 - LA VALEUR DU GESTE

 

Incarner la pensée

 

De même qu'il n'y a pas de concept en architecture sans percept, pas d'idée sans matière et sans espace, cela sous peine d'évincer le corps, il n'y a pas de pensée architecturale isolée du geste graphique.

 

Alain Badiou déclare : "L'art n'est pas une pensée. Il est tout entier dans son acte"[424]. Appréhender l'acte d'architecture en tant que pensée unique serait réducteur. En effet, le geste développe cette pensée comme prolongement d'elle-même et réaffirme le désir initial. Plus avant encore, ses gestes que l'homme conserve en lui comme autant d'expériences, constituent un outil de compréhension, de mémorisation et un moyen critique direct qui permet une projection future rénovée.

 

Pour le pédagogue, en relation avec l'élève, une vivante compréhension "aurait le singulier avantage de nous ouvrir à la richesse de leur expression gestuelle et de leurs langues concrètes qui... nous apporterait, ... de quoi rénover nos pédagogies... devenues exsangues à force d'intellectualisme desséchant et algébrosé"[425].

 

Nous évoquions dans la phase précédente la nécessité de la verbalisation et de la visualisation. Tout pédagogue a un jour pris conscience de son impuissance, à faire s'exprimer un élève sur un sujet donné. Nous connaissons les bienfaits de l'expression, sa nécessité mais nous ignorons parfois la puissance de la matière. Matière qui induit, matière qui enseigne, matière qui guide, vers cette confrontation impérieuse à nous-mêmes et libère dans un élan inhabituel l'objet de notre désir, mis à nu au-delà de ce que nous pressentions. Derrière cette crainte de l'impudeur, "au fond immémorial du visible quelque chose a bougé, s'est allumé, qui a envahi son corps, et tout ce qu'il peint est une réponse à cette suscitation, sa main "rien que l'instrument d'une lointaine volonté""[426].

 

Entre matière et volonté, la main, outil inouï de complexité et de sensibilité, s'ingéniera à poser sur la feuille, sans appréciation qualitative, sans jugement, ce qui l'anime tout simplement. Ces gestes répétés incarneront les élans et indécisions de l'esprit, les hypothèses et les doutes induiront des choix et isoleront des propositions. A mesure de leur expression, ils se chargeront d'un sens, du sens le plus juste avec l'enjeu, la matière et les individus concernés.

 

Avant même de percevoir, l'homme doit être en situation de projet, "pour à l'avance "jeter devant soi" ce qu'on vise à capter pour soi": c'est à dire l'homme dans ses possibilités d'être s'éprouve comme transcendance originaire, comme au-delà de lui-même ; il est le mode du devancement, il est ex-centré, il ek-siste"[427]. Tel l'enfant qui jette devant lui pour s'appréhender lui-même dans sa relation au monde, l'architecte entreprend cette découverte en projetant ses images mentales dans le geste libéré et voit s'inscrire ses intuitions de sens,  des êtres et des choses.

 

Ce recours au geste peut sembler nécessaire et ses vertus indiscutables, il reste que son apprentissage requiert une réconciliation intérieure : dépasser en quelque sorte la crainte de ne pas voir s'élaborer harmonieusement nos désirs intimes.

 

Dans Esthétique, l'homme est présenté par Hegel comme se constituant "pour soi par son activité pratique, parce qu'il est poussé à se trouver lui-même, à se reconnaître lui-même..., dans ce qui s'offre à lui extérieurement. Il y parvient en changeant les choses extérieures, qu'il marque du sceau de son intériorité et dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations". Ce face-à-face est parfois douloureux, souvent vécu comme imparfait ou inabouti. En revanche, si la réalisation tend vers l'objet recherché, l'émotion est à son comble.

 

Si "tout ce qui est fini, parfait, excite l'étonnement, tout ce qui est en train de se faire est déprécié. Or personne ne peut voir dans l'oeuvre de l'artiste comment elle s'est faite ; c'est son avantage, car partout où l'on peut assister à la formation, on est un peu refroidi"[428]. Ainsi Nietzsche démystifie-t-il la création de l'oeuvre. Et dans les faits, nous reconnaissons la dimension laborieuse de ce "face à face" à soi-même avant la libération du geste.

 

Alors, comment permettre aux élèves d'accéder à cette pratique ? "Toute théorie artistique authentique..., reste dépendante d'une pratique créatrice, donc d'une application de la méthode, pratique à laquelle son destin est lié, pratique dont elle est presque obligatoirement issue"[429]. En effet, le langage des gestes est à l'origine de l'expression humaine. Il s'agit donc de se connecter à nos élans primordiaux afin  de reconquérir ce que l'être reçoit. Marcel Jousse dans L'Anthropologie du geste décrit ses acquis archaïques présents chez chacun d'entre nous : "Cette réceptivité accumule en lui (anthropos) les "Mimèmes" des choses, c'est-à-dire le rejeu du geste infligé par l'objet. De ces Mimèmes, l'homme prend conscience et c'est cela la pensée. Tout ce qu'on appelle les opérations de l'esprit : mémoire, imagination, raisonnement, etc... ne sont que des rejeux de Mimèmes conscients ou inconscients, spontanés ou dirigés, exacts ou combinés ou transposés et sublimés. Le rejeu est microscopique dans la pensée et le rêve. Il est macroscopique dans l'action"[430].

 

Il semble que la voie d'apprentissage nous soit indiquée. En effet, l'action contient ce processus de rejeu. Aussi, ne s'agit-il pas pour le pédagogue de construire des situations actives au sein desquelles l'élève sera amené à intégrer une gestuelle corporelle inscrite dans l'espace où dans un premier temps, le jeu seul constituera le moteur ? Instituer en quelque sorte un mimodrame où désirs et gestes s'accompagnent jusqu'à conduire à l'essence de l'être. "Le jeu est la meilleure voie, voire la seule voie de l'initiation au plaisir esthétique, ... et à la mise en cause des opinions et des idées toutes faites"[431]. Martine Maninas Bousquet introduit par ces termes la nécessité impérative de constituer des espaces d'apprentissage ludique et critique en vue de développer l'imaginaire et d'ouvrir largement la porte à la créativité.

 

Animée de cette ambition, nous avons proposé le travail qui suit, en troisième année à l'école régionale des Beaux-Arts, en section architecture intérieure. Nous désirions développer la pratique du geste créatif des étudiants. Pour ce faire, nous leur demandions de choisir un air de musique et transcrire tempo, rythmes et sonorités en matières, couleurs et lumière dans un objet en trois dimensions.

L'un des étudiants, choisi la bande originale du film : "Délivrance". La mélodie d'un banjo introduisait le thème. Un banjo lui répondait sur une autre tonalité et ainsi de suite, la conversation s'établissait alternativement et réciproquement jusqu'au subtil accompagnement.

Stéphanie entreprit de réaliser deux socles. Sur chacun d'eux s'ancrait un fil de métal : l'un d'eux était d'acier, froid et rigide, l'autre était de laiton, chaud, souple et lumineux. Elle projetait de les élever dans l'air, isolément, chacun à leur tour. Ils dansaient, aériens, chantants, ils virevoltaient. A la rencontre de ces deux voix, ces fils or et argent, élancés, entreprirent une ronde de voluptes. Affranchis de la pesanteur, ils entamèrent une valse à deux temps, une valse à mille temps...

 

Ce sujet, nous permit de faire travailler l'évocation visuelle à partir de perceptions auditives. La musique révélait à mesure de son déroulement des images visuelles de mouvements aériens, à n'en pas douter et le geste incarnait dans la matière cette danse. la représentation du mouvement inscrite dans cette sculpture délivrait et transcrivait plus subtilement que des mots, les perceptions auditives originelles.

 

Ainsi, le choix du sujet même, conduisait à explorer l'éveil du sens auditif en vue de nourrir l'évocation qui selon les étudiants pouvait être verbale, visuelle, visualo-verbale, ou verbalo-visuelle. Mais l'évocation servait de tremplin à la réalisation d'un objet fait de matière et modelé par les mains. Nous tentions d'approcher l'expérience de l'artiste que Kandinsky énonce en ces termes : "L'artiste est la main qui, par l'usage convenable de telle ou telle touche, met l'âme humaine en vibration"[432].

 

Parfois, notre regard frémissait au plaisir de la découverte.

 

 

 

 

 

5 - L'OUVERTURE A L'IMAGINAIRE

 

     Susciter un éveil critique

 

"Je suis la source absolue"[433]. Voici ce qu'énonçait Merleau-Ponty. Parallèlement, Antoine de La Garanderie constatait que "la très grande soumission au modèle rend difficile l'incarnation"[434].

 

Nous l'avons vu précédemment, tout être engrange, se construit, se structure, sur ses perceptions mais aussi sur l'élaboration lente, riche et infinie de ses évocations :

écouter sans induire,

accompagner sans réduire l'espace, accélérer ou freiner le rythme,

suggérer sans imposer,

nourrir sans submerger,

autant d'attitudes difficiles, si ce n'est présomptueuses, afin de permettre la mise en mouvement d'une dialectique mentale entre imagination reproductrice (s'élaborant sur les acquis) et imagination créatrice (émergence de l'individu dans sa singularité). Gilbert Durand observe l'artiste du XXe siècle et le dépeint ainsi : "L'artiste désespérément cherche à ancrer son évocation par-delà le désert scientiste de notre pédagogie culturelle"[435]. Aussi s'attache-t-il à reconsidérer l'imagination symbolique en développant son caractère poétique et transcendant, son rôle moteur dans l'éveil de l'esprit et sa liberté créatrice de sens.

 

Afin de faire prendre conscience de la relation entre la forme et le sens et notamment le sens véhiculé par la forme, nous proposions dans le cadre du BEP de dessinateur en architecture, de concevoir un objet qui permettrait d'appréhender cinq sensations comme : le froid, le piquant, la souplesse,... ou autres et parallèlement de transcrire visuellement ces mêmes sensations. Nous désirons relater le travail de Cyrille qui s'appliquait à traiter la profondeur. Concevant un cube dont l'un des côtés était ouvert, il plaçait un miroir sur la base intérieure du cube. Ainsi, le miroir réfléchissait la hauteur du cube. Le volume était posé sur la table. L'idée, bien qu'assez simple, était intéressante et  nous semblait être un bon support de découverte. En effet, la forme ainsi construite ne servait que partiellement l'idée. Pour que la sensation de profondeur puisse revêtir un quelconque réalisme, il eût fallu que nous pussions l'appréhender visuellement. Mais comment conduire cet élève vers la découverte du sens implicite présent. Son cube était initialement posé sur un socle plus large et légèrement surélevé. Nous invitions donc l'élève à exprimer quelle intention était contenue dans l'évocation visuelle esquissée. Cyrille ne développait pas de discours verbal. En effet, il fonctionnait dans l'espace et associait visuellement les différents éléments. A mesure que les images se constituaient dans sa tête, il assemblait manuellement les éléments matériels. Sa composition témoignait d'une logique d'application et d'un intérêt pour la question du "comment". Ainsi, nous lui posions la question du "pourquoi". L'inviter à se questionner sur le sens, transformait l'image visuelle et révélait la nature des liens entre les éléments. Dès lors, le blocage se levait. De fil en aiguille relatant l'intention et la notion de profondeur, il parvint à concevoir en trompe-l'oeil cette profondeur à l'extérieur du volume, en sous-face du miroir, lui conférant une crédibilité. Le sens contenu, à l'origine à l'état embryonnaire, trouvait dès lors sa matérialité dans la forme et dans son amplitude. La volumétrie ainsi travaillée servait de support visuel à l'évocation de la profondeur.

 

Mais quelles sont les conduites pédagogiques propres à déclencher l'imagination ? Sommes-nous susceptibles de "produire" de l'inédit ? En effet, la particularité de l'inédit réside souvent dans son hétérogénéité. "On ne fait pas de poésie au sein d'une unité : l'unique n'a pas de propriété poétique... on peut se servir de la dialectique comme d'un fracas qui réveille les résonnances endormies"[436]. Dans les faits, l'inédit est parfois le fruit d'un rapprochement accidentel, d'une association d'idées fugace, d'un constat étonnant éveillant la curiosité. Autant de processus mentaux qui résultent ou alimentent une dialectique qui nous fait traverser d'un champ à un autre, mettre en résonance des éléments divers sur la base d'un dénominateur commun ou jouer sur le simple plaisir des mots... Enfin, tout un jeu actif de découvertes combinées, destiné à attiser les sens et l'esprit jusqu'à enflammer l'imaginaire.

 

Nous pourrions proposer de revivifier cet accès à l'imaginaire, par la redécouverte des contes, des légendes, des mythes. Leurs empreintes poétiques, oniriques et symboliques conduiraient l'être à une profondeur du sens, animeraient la fonction fabulatrice et dynamiseraient une nouvelle dialectique. Enfin, cette découverte créerait un lien entre la représentation concrète et le sens à jamais abstrait. Nous aimerions relater la recherche laborieuse et tenace de Miguel. Sur tous ses travaux, nous nous confrontions à cette même difficulté, arriver à réduire cette distance entre le travail créatif alimenté par un imaginaire puissant, révélant d'étonnantes formes et suggestions et l'approche concrète, plus structurée, matérielle en prise avec la réalité des surfaces, la résistance des matériaux, les contraintes de structure qui enfermaient immanquablement la production dans une expression figée, sèche et stéréotypée. L'enjeu, au plan pédagogique, était de parvenir à traiter cet "entre-deux", cette frontière entre imaginaire et réalisme, entre créativité et technicité.

Nous appuyant sur les plans et organigrammes élaborés, nous invitions à l'observation des zones franches, non traitées, tout juste juxtaposées, voire distantes de sorte qu'il résultait une sensation de vacuité, de béance et dans tous les cas d'indéterminations. Conduisant l'élève à s'interroger sur les lieux possibles, sur le sens souhaité ou à développer, nous cheminions vers une conscientisation. Les différentes composantes du plan étaient posées sans se soucier du tout, sans penser la relation entre elles ; il résultait de ces rapprochements aléatoires, l'image d'un tissu à larges mailles dont certaines semblaient absentes et d'autres éxécutées de manière aléatoire ou érronée.

Dès lors, nous avons reparcouru verbalement au travers du récit de l'élève, ces différents plans afin de rescenser les intentions désirées, parfois antinomiques en apparence et néanmoins présentes.

L'élève lui-même constata les analogies et rapprochements que nous pourrions conduire entre certaines données, ou les différences invitant à distancier d'autres éléments.

Nous décidions de nous attarder sur les différences, comme si l'hétérogénéité était porteur de sens. Faire valoir, oppositions , contrastes, ce "milieu" ambiant où il se mouvait avec aisance. Nous avons pu constater que la constitution des liens se pensait en effet sur les différences et donnait naissance à une forme plus créative et réconciliée.

Ainsi, il pût traduire par un nouvel "organigramme" la structure relationnelle sous-jacente de son programme en respectant ses intentions originelles. Ainsi, transcrites en termes d'oppositions, il pût paradoxalement observer la cohabitation et la combinaison de ses désirs imaginaires et des contraintes techniques, son regard poétique et les impératifs de surfaces, ainsi de suite jusqu'à l'harmonisation de l'ensemble.

 

Cet équilibre retrouvé, nous sommes en mesure de relier le signe au signifié de manière homogène, accédant ainsi au sens dans sa dimension la plus cohérente, la plus fine, la plus subtile et enfin la plus enracinée. Il nous est donné de "contrebalancer notre pensée critique, notre imagination démystifiée, par l'inaliénable "pensée sauvage" qui tend la main fraternelle de l'espèce à notre déréliction orgueilleuse de civilisé"[437].

 

En effet, nous assistons aujourd'hui en architecture, au recours à des symboles désinvestis, déspiritualisés, qui lui confèrent une esthétique de signalétique. Il ne faut pas s'y tromper, ne croyons pas que "l'architecture a retrouvé l'harmonie perdue entre la forme et le sens parce qu'elle invente des formes-sens"[438]. Le fonctionnalisme s'ancrait sur la nécessité de la fonction. Le déconstructivisme des années 80 remettait en question les principes fondamentaux d'équilibre, d'unité, de fonction dans l'art de construire. Aujourd'hui, nous traversons le néo-conceptualisme où l'idée est arbitraire et nous leurre.

 

Dans ce contexte, en préservant une nécessaire réceptivité au monde extérieur et aux êtres,  l'enseignement de l'architecture exige, en particulier, "un antidogmatisme forcené fondé sur le relativisme des thèses et antithèses et non pas des modes"[439]. Développer des regards critiques, des esprits clairvoyants, et ne pas s'enfermer dans une attitude recherchée "objective". Réintégrons notre subjectivité, elle nous préserve de la modélisation, des projets étriqués.

 

Ouvrir à cet espace de liberté "surveillée" vers la quête de ce que nous ne connaissons pas, tel un funambule dans l'espace ; sortir du plan, de la limite, de la frontière, vers un ailleurs... découvrir un point de vue subtil, suspendu, inspiré d'un air nouveau, telle est notre ambition.

 

Revivifions notre imaginaire par le développement d'un sens ludique et critique pour enfin transmettre avec générosité les trésors singuliers dont nous sommes porteurs.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CONCLUSION

 

 

 

 

L’acte architectural s’inscrit à mi-chemin entre la réflexion du philosophe et la fulgurance du geste de l’artiste. Patrice Loraux situe ces deux attitudes ainsi :

"Osons parodier Rimbaud : un premier essai, par son bondissement, a pris les devants. Les autres tentent de suivre. Les choses se sont ainsi disposées d'elles-mêmes. Mais, au seuil de s'élancer, ne faudrait-il pas rassembler ses forces, les évaluer, procéder au calcul des possibilités, retarder, encore retarder pour mieux concentrer l'énergie ? Voilà ce qu'on appellera incuber, une méditation, une concentration méditante exagérément prolongée avant le passage à la formulation. Mais c'est une maladie aussi bien qui incube : on le voit clairement dans le dernier essai, qui identifie le retard dans le passage à l'oeuvre avec la sensation même de créer.

Mais, juste après l'essai sur Rimbaud, il y a comme un affaissement.

Rimbaud a distancé la philosophie.

Il a le premier atteint l'essentiel. Assez loin derrière, la philosophie s'active. Mais qu'est-ce que l'essentiel ? Affronter l'autre côté, quand toutes les ratiocinations sont enfin derrière, que la pensée en a enfin fini avec ses précautions, ses prudences, son verbalisme aussi, sa croyance que le langage fera tout et son art de susciter toujours d'autres résistances ou d'inventer de nouvelles garanties nécessaires. Rimbaud étant passé, il y a donc un affaissement. Une passerelle était offerte par l'autre côté, c'est au premier qui l'empruntera ; juste après, elle s'effondre. Une passerelle qui ne donne le passage qu'une seule fois était lancée par-dessus la question du possible, et donnait directement accès à l'inconnu. Après, il faudra négocier le passage..."

"Juste derrière le premier essai, sans doute à la suite de l'éblouissement-Rimbaud, parce qu'il a, par sa vitesse, tout ébranlé et aussi tout laissé intouché par sa célérité même, derrière Rimbaud qui ne s'est pas laissé le temps de ratiociner sur le praticable, toutes les résistances à une effectuation normalement possible sont concentrées, intactes. Normalement, c'est-à-dire sans amplification pathétique. Tous les problèmes de la forme "suis-je capable de poursuivre ? " reprennent l'offensive"[440].

 

Voici exprimé longuement certes, mais avec tant de réalisme, la problématique à laquelle l'architecte se confronte. Il devra puiser en lui, un second souffle qui le mènera au-delà des doutes et des hypothèses pour arriver à "accoucher" avec célérité, tel Rimbaud, de son geste d'esquisse. Mais, dans ces questionnements incessants, peut-être s'agit-il pour lui, de raviver le plaisir de dilater le temps, afin de reparcourir maintes fois l'espace récité, relier avec plus de justesse sensations et discours, spatialité et temporalité, réalités pratiques et intentions.

 

Philippe Boudon dans L'architecte et le philosophe dénonce un défaut de communication entre architecture et philosophie. Il situe "d'un côté un champ, celui de la philosophie (qui) accorde au logos, à la parole, au discours, à la langue une importance première ; tandis que de l'autre l'architecture, (où) il semble que l'on ne s'embarrasse pas beaucoup du verbe, sans doute pour la simple raison que l'objet est ailleurs : il est dans le bâti"[441]. Ainsi l'objet de la philosophie est-il de connaître et celui de l'architecture de construire. Devons-nous renoncer à ce que la philosophie vienne enrichir l'architecture et réciproquement. Certes non, mais comment susciter cette rencontre.

 

Si à l’occasion de ce travail, nous avions réussi à relier : philosophie et architecture, il nous semble que la passerelle se situerait sur le terrain de la pédagogie, avec comme souci premier de voir se réaliser l’être. Marcel Jousse ne déclarait-il pas dans Anthropologie du geste : "Le vrai laboratoire est donc le laboratoire de soi-même : S'INSTRUIRE C'EST SE BATIR"[442].

 

Construire notre être et penser notre espace,

penser notre être et construire notre espace.

 

Pour ce faire, en pédagogie, théorie et pratique nous semblent indissociables. Nous rejoignons Kandinsky lorsqu'il considère que "toute théorie artistique authentique..., reste dépendante d'une pratique créatrice, donc d'une application de la méthode, pratique à laquelle son destin est lié, pratique dont elle est presque obligatoirement issue"[443]. Et l'architecture nous paraît être un terrain d'application particulièrement adapté aujourd'hui aux préoccupations théoriques philosophiques. Nous serions tentée de penser que l'architecture a beaucoup à gagner. En effet, la plupart du temps, l'architecte entretient un discours social sur l'architecture et produit des "objets urbains" où l'usager ne trouve pas sa place. Le discours social ne contribue pas à faire la part belle à l'individu, qui ne se retrouve pas, une fois encore, dans cet amalgame.

 

Edgar Morin nous situe "toujours dans l'ère barbare des idées", qu'il développe ainsi : "La pathologie de l'idée est dans l'idéalisme, où l'idée occulte la réalité qu'elle a mission de traduire et se prend pour seule réelle. La maladie de la théorie est dans le doctrinarisme et le dogmatisme qui renferment la théorie sur elle-même et la pétrifient. La pathologie de la raison est la rationalisation qui enferme le réel dans un système d'idées cohérent mais partiel et unilatéral, et qui ne sait, ni qu'une partie du réel est irrationalisable, ni que la rationalité a pour mission de dialoguer avec l'irrationalisable"[444].

Comment dépasser l'idéalisme ?

Comment s'affranchir du dogmatisme ?

Comment sortir de la raison raisonnante ?

 

 

Ne s'agit-il pas pour le pédagogue de faire prendre conscience à tout individu de la complexité qu'il aura à traiter et de lui proposer divers outils, à savoir :

 

Aider celui-ci à nourrir trois attitudes indispensables : disposer d'une conscience personnelle, s'associer une forme de relativité et même de subjectivité et développer un regard critique.

 

Examinons ces trois attitudes.

 

La conscience,

"Paul Ricoeur est l'héritier d'une tradition philosophique qui envisage le sujet comme un être conscient, porteur d'une volonté, de projet et doué d'une conscience de soi. La connaissance de soi procède d'un travail réflexif d'auto-élucidation. Telle est la tâche la plus haute de la philosophie"[445], selon lui.  Il n'est pas isolé. Il rejoint par ces termes, Antoine de La Garanderie qui présente la conscience comme le moyen des moyens en pédagogie. Cette position nous conduit à une exigence : posé un regard juste afin de trouver l'essence de chaque chose, à commencer par nous-mêmes. Il est vrai que c'est un dur labeur que d'apprendre à se voir. De cette observation de nous-mêmes, nous sommes seuls à pouvoir examiner notre subjectivité, combien nécessaire et subtile. Elle ouvre la voie à la relativité.

 

La relativité,

"Chaque forme est aussi sensible qu'un petit nuage de fumée : le déplacement le plus imperceptible de l'une de ses parties la modifie d'une façon importante"[446] Cette illustration traite du mouvement insensible et non moins déterminant, présent dans toute composition. C'est ce mouvement qui permet de multiplier les points de vue et de développer autant de regards que nous le souhaitons. La reconnaissance de cette partie subjective, le double de notre être, assure le respect de l'individu dans ce qu'il a d'unique et surtout dans son intégrité ; autorisant, la différence de rythme, le choix des outils et le point de vue à l'origine du projet, engendrant la découverte de multiples approches, ... combien nuancées, selon les personnalités. Paraphrasant Bachelard, nous pourrions dire qu'un pédagogue enseignant à "l'homme réel, ne rencontre qu'un être découronné"[447]. Pour rencontrer l'être conscient dans sa  singularité, il reste à lui ouvrir la voie du sens critique.

 

 

Le sens critique,

 

"Combien d'éponges nous avons connues, collées à jamais sous un portique d'Athènes, absorbant et restituant sans effort toutes les opinions fluctuantes autour d'elles; éponges et paroles baignées, imbues indifféremment de Socrate, d'Anaxagore, de Melittos, du dernier qui a parlé ! les éponges et les sots ont ceci de commun, qu'ils adhèrent, ô Socrate !"[448].

 

Une telle constatation suffirait à plonger dans le plus grand désarroi, tout pédagogue soucieux de sa mission. En effet, ne s'agit-il pas de permettre à tout individu de se situer et de porter un regard distancié.

Si l'idée nous semble nécessaire en architecture, il nous parait essentiel au-delà de ce contexte spécifique, d'emprunter ce chemin au sein de toute démarche pédagogique. Mais pour ce faire, "prendra-t-on des documents chez ceux qui n'imaginent pas, qui se défendent d'imaginer, qui "réduisent" les images foisonnantes à une idée stable, chez ceux plus subtils négateurs de l'imagination qui "interprètent" les images"[449], ou entrerons-nous dans la région d'une poétique du sensible, où "un phénomène d'être se lève sous nos yeux, à fond de rêverie"[450].

 

Ces trois attitudes intégrées contribuent à accéder à l'analyse d'une tresse complexe, ayant pris la mesure de l'imbrication d'éléments extraordinairement fins et précis, mais pas à la synthèse du projet. Nous avons parcouru "tout le trajet allant de la norme à la décision singulière, par l'intermédiaire de la délibération"[451].

 

 Il est question alors "d'user d'une délibération régie par une logique du probable et non par une logique de la preuve pour aboutir à une décision concrète"[452] et inédite.

 

Mais, ces trois étapes ne sauraient suffire à l'appréhension du projet pédagogique. En effet, il est fondamental que tout pédagogue fasse prendre conscience à l'individu qu'en complément de cette intégration mentale, se présente une assimilation corporelle. En effet, "l'homme pense avec son corps"[453]. Aussi, s'agit-il de libérer le geste pour atteindre à l'extériorisation de l'être dans l'oeuvre. Le geste nous paraît se situer à l’origine même de tout apprentissage. Par lui, tel l’enfant jetant devant lui, l’être se présentifie, découverte de lui-même, du monde, de ses actes et de ses pensées.

 

 

Pourquoi ne pas reprendre pied avec la pratique ?

Il nous faut admettre que l'Anthropos n'est "essentiellement qu'un complexus de gestes"[454] comme le définit Marcel Jousse. Aussi, il nous faut faire face à la complexité et peut-être redécouvrir le geste, tel l'outil capable de nous initier. Le langage des gestes n'est-il pas à l'origine de l'expression humaine ?

 

En effet, actuellement, nous assistons à un déplacement des modes d'apprentissage. L'usage de l'informatique avec ses données, ses entrées et ses productions ampute partiellement le processus de réflexion individuelle pour induire un fonctionnement conformiste. Des schèmes répétitifs, intégrés, binaires, ... constituent un mode rationnel de saisies des informations et de traitement. Peut-être est-ce un signe des temps ? Il reste néanmoins que le dernier salon "Constructique 96" a invité une dizaine d'architectes à venir débattre de l'influence de l'imagerie numérique et de cette nouvelle culture, sur la conception et la représentation du projet, ainsi que sur la manière d'aborder la formation des jeunes architectes.

A cela Jean-Charles Lebahar répond : "Il est plus souhaitable de permettre aux étudiants en architecture de devenir des poètes, que de devenir les simples militants d'un modèle quelconque"[455].

 

"Il importe, avant tout, sous prétexte de progrès, de ne pas sacrifier l'homme"[456].

 

L'analogie entre cet outil et tout être humain réside dans le fait que les données informatiques correspondent à nos perceptions, leur entrée s'effectue chez l'individu par le biais des évocations et la production s'élabore en lui dans le projet.

 

Ainsi la conscience de rationalité de l'ordinateur fait place à une conscience sensible de l'être infiniment plus subtile et riche de sens. David Lodge, écrivain, témoigne ainsi de son rapport à la main et à l'informatique : "J'écris des brouillons au stylo. Il y a une connexion directe entre le cerveau, l'intime, le moi vital et la main, l'outil charnel. Ainsi, je me sens libre d'écrire, de raturer, de couper. Mon travail demeure vivant car toutes mes corrections restent visibles, alors que la machine efface tout. Ensuite, je tape la mouture finale. Là, je deviens lecteur de mon propre texte. L'ordinateur met une distance entre les mots et leur sens".[457]

 

Mais revenons au corps, au geste, combinaison magique de la main et du mouvement. Kandinsky déclarait : "L'artiste est la main qui, par l'usage convenable de telle ou telle touche, met l'âme humaine en vibration"[458].

 

Il nous semble que l'architecte, confronté dès l'origine du projet au problème de la complexité, avec son lot de contraintes, son flot d'indices sensibles, son entendement et sa nécessaire participation à la mise en forme de la matière, ait trouvé dans l'esquisse, un outil généreux, ludique et souple capable de dépasser la contradiction sans la nier. Un outil intégrant l'imperfection puisque la démarche même comporte l'incertitude et la reconnaissance de l'irréductible ; mais surtout un outil fonctionnant comme un "régulateur" préservant de tous les excès de l'esprit humain : idéalisme, dogmatisme ou rationalité...

En conséquence, nous sommes tentés d'établir une correspondance entre l'esquisse et le symbole. En effet, outre leur rôle commun de régulateur d'équilibre entre des forces antagonistes, nous avons recensé différentes fonctions semblables à savoir un principe de multivalence qui confère à l'un et à l'autre la capacité à exprimer une pluralité de sens, à la fois dans une dimension consciente et inconsciente. Une nature "flexible" qui prête à l'esquisse et au symbole, un usage exploratoire. A la fois, "union de signe et de signifié", l'esquisse comme le symbole "gagne en profondeur, ce qu'elle perd en précision"[459]. Jean-Charles Lebahar le rappelle l'esquisse contient "une provision d'imprécision qui assure une certitude provisoire"[460]. Ils constituent enfin, un processus de connaissance, dans leur aptitude à "transcender les contraires"[461] ou comme l'énonce Gilbert Durand dans L'imagination symbolique à remplir le rôle "d'unificateur de paires d'opposés..."

 

Si le symbole tient sa valeur à sa partie manquante et invisible au plan de l'étymologie, il semble placé aux portes du psychisme. A ce titre, nous nous référerons à Hegel lorsqu'il présente le symbole comme un "langage qui tout muet qu'il est, parle à l'esprit"[462], pour évoquer l'étendue de l'esquisse : Un infini dans le fini.

 

Le geste subtil inscrira par la main, la trace finie d'une quête insatiable de l'être, comme le témoin d'un instant sur fond d'éternité.

 

Nous ne travaillons que pour un but qui fuit toujours...

En architecture sans doute, en philosophie également et en pédagogie certainement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

 

 

 

 

ARCHITECTURE

 

 

- ATTALI (Jean), "Les expressions mouvantes du travail de conception", p.135-146 in : Concevoir/sous la dir. de Jacques Sautereau-France Quercy : Parenthèses, (N°34), 4e Trim 1993. - 218 p.

 

- CELESTE (Patrick), "Dessins d'architecture et techniques de reproduction", p 116-118 in : Images et imaginaires d'architectures, Paris : Centre Georges Pompidou, 1984. - 438 p.

 

- EISENMAN (Peter), "Un projet architectural", p 133-147, in : L'architecte et le philosophe/sous la dir. de Antonia Soulez. - Liège : Mardaga, 1988. - 170 p.

 

- GUILLERME (Jacques), "Les charmes de l'inclassable", p 70-73, in : Images et imaginaires d'architectures, Paris : Centre Georges Pompidou, 1984. - 438 p.

 

- JOUVEN (Georges), la forme initiale, Symbolisme de l’architecture traditionnelle, Paris : Dervy, 1985. - 426 p.

 

- LE BAHAR (Jean-Charles), Le dessin d'architecture, Simulation graphique et réduction d'incertitude, Roquevaire : Parenthèses, 1983. - 138 p.

 

- LEMOIGNE (Jean-Louis), "La complexité de la correspondance du modèle au réel : l'échelle, cette correction capitale", in De l'architecture à l'épistémologie/sous la dir. de Philippe Boudon, Paris : PUF, 1991, 420   p.

 

- MARC (Olivier), Psychanalyse de la maison, Paris : Seuil, 1972. - 162p.

 

- NORBERG-SCHULZ (Christian), La signification dans l'architecture occidentale, (6e éd.) . - Liège :  Mardaga, 1991. - 450 p.

 

- POUSSIN (Frédérique), "La Représentation : Virtualité de la figure architecturale", p 118-146 in :De l'architecture à l'épistémologie/ sous la dir. de Philippe Boudon, Paris : PUF, 1991. - 420 p.

 

- SARFATI (Alain), "Mort du dessin et naissance d'un code", p 45-48, in : Images et imaginaires d'architectures, Paris : Centre Georges Pompidou, 1984. - 438 p.

 

- SAVIGNAT (Jean-Michel), " Architecture, Art du dessin", p 21-26, in : Images et imaginaires d'architectures, Paris : Centre Georges Pompidou, 1984. - 438 p.

 

- SCOFFIER ( Richard), "Entretiens avec Portzamparc, Hauvette, Tschumi", p 175-198, in : Concevoir/sous la dir. de Jacques Sautereau, France Quercy : Parenthèses, (n°34), 4è Trim. 1993. -  218 p.

 

 

 

 

PHILOSOPHIE

 

 

- BACHELARD (Gaston), La poétique de l'espace, (5ème éd).- Paris : PUF, Jan.1992. - 222 p.

 

- BACHELARD (Gaston), La poétique de la rêverie, (4ème éd).- Paris : PUF, Oct.1993. - 190 p.

 

- BACHELARD (Gaston), La psychanalyse du feu, Paris : Gallimard, Juillet 1992. - 194 p.

 

- BADIOU (Alain), "Art et philosophie", p 155-170. in : Artistes et philosophes : éducateurs /sous la dir. de Christian Descamps-Paris : Centre Pompidou, 1994. -178 p.

 

- BREHIER (Emile), Histoire de la philosophie, la philosophie de l’esprit, p 664-687 ( 4 ème éd.) - Paris : PUF, Mai 1989. - 1080 p.

 

- COMTE-SPONVILLE (André), Le mythe d'Icare, Traité du désespoir et de la béatitude, (10ème éd.). - Paris : PUF, Déc 1994 - 322 p.

 

- DASTUR (Françoise), "Husserl ou la neutralité de l'art", p 19-29. in : La part de l'oeil :Art et phénoménologie, (n°7 ), Bruxelles : Presses de l'Académie des Beaux Arts de Bruxelles, 1991. -205 p .

 

- DELEUZE (Gilles), GUATTARI (Félix), Qu’est-ce que la philosophie ? Paris : Minuit, 1991. - 210 p.

 

- DUGUE (Jean), "Phénoménologie", p 1933-1934. in : Encyclopédie philosophique universelle/sous la dir. de André Jacob - Paris : PUF, Août 1990. -     3310 p.

 

- DURAND (Gilbert), L'imagination symbolique, (3ème ed.). - Paris : PUF, Février 1993. - 138 p.

 

- ELIADE ( Mircea), Images et Symbôles, Paris : Gallimard, 1952. - 238 p.

 

- ESCOUBAS (Eliane), "La main heureuse : Kandinsky et la composition", p 52-65, in : La part de l'oeil : le dessin, (n°6), Bruxelles : Presses de l'Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 1990. - 210 p.

 

- GAILLARD (Françoise), "Symbôle, sens et architecture", p 109-122 in : Le Beau aujourd'hui/sous la dir. de Christian Descamps.-Paris : Centre Georges Pompidou, 1993. - 178 p.

 

- HEGEL (Georg Wilhelm Friedrich), Esthétique, Textes choisis, (14e éd.) Paris : PUF, Déc 1992. - 234 p.

 

- HEIDDEGER (Martin), Lettre sur l'humanisme ; traduit de l'allemand par Roger Munier - Paris : Aubier-Montaigne, 2ème trim.1957. - 192 p.

 

- JOUSSE (Marcel), Anthropologie du geste, Mayenne : Gallimard, 1991. - 418 p.

 

- LALANDE (André), "Phénoménologie, p 768-770. in : Vocabulaire technique et critique de la philosophie, (15e éd.). - Paris : PUF, Octobre 1985. - 1232 p.

 

- LE BOT (Marc), Pensée artistique et expérience de l'altérité, p 123-133. Esprit, (n°7-8), Juillet-Août 1991.

 

- LECOMTE (Jacques) "Rencontre avec Paul Ricoeur : Connaissance de soi et éthique de l'action", p 34-38, in Sciences Humaines (n°63), Juillet 1996.

 

- LORAUX (Patrice), Le tempo de la pensée, Paris : Seuil, 1993. - 466 p.

 

- MATOSSIAN (Chaké), "Du grattage ou les démangeaisons de l'artiste", p 93 - 101, in : La part de l'oeil : le dessin, (n°6) Bruxelles : Presses de l'Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 1990. - 210 p.

 

- MERLEAU-PONTY (Maurice), L'oeil et l'esprit, Paris : Gallimard, Mars 1995. - 104 p.

 

- MERLEAU-PONTY (Maurice), Le visible et l'invisible, Paris : Gallimard, 15 Juin 1988. - 368 p.

 

- MERLEAU-PONTY (Maurice), La phénoménologie de la perception, (17e éd.) Paris : Gallimard, 1957. - 544 p.

 

- MERLEAU-PONTY (Maurice), Le primat de la perception, et ses conséquences philosophiques, Vendôme : Verdier, 1996 . - 114 p.

 

- MORIN (Edgar), "Vers un nouveau paradigme", p 20-23, in Sciences Humaines (n°47), Février 1995.

 

- MORIN (Edgar), Introduction à la pensée complexe, (4ème éd.). - Paris : ESF, Mars 1992. - 162 p.

 

- PASSERON (René), Pour une philosophie de la création, Klincksieck, 1990.

 

- RICHIR (Marc), " Phénoménologie et architecture ", p 43-60, in Le philosophe chez l’architecte/sous la dir. de Chris Younès et Michel Mangematin, Paris : Descartes et compagnie, 1996 .- 194 p.

 

 

 

PEDAGOGIE

 

 

- ARTUR (Thierry), "La pédagogie du vide de Hervé Boillot et Michel Le Du", p 179-194, in Gestion mentale (n°7), Paris : Bayard, 1995.

 

- ARTUR (Thierry), "Pour une phénoménologie du projet", p 15-37, in Gestion mentale (n°4), Paris : Bayard, 1992 .

 

- ARTUR (Thierry), "Le sens phénoménologique de l’image mentale" , p 139-148 - in la gestion mentale en questions, Toulouse : Erès, 1995, 412 p

 

- ARTUR (Thierry), "Rencontre et médiation", p 13-43, in Gestion mentale (n°7), Paris, : Bayard, 1995.

 

- GIROUL-CHEVASSUS (Michèle), " Envol de notes et prise de notes ", p 121-126, in Gestion mentale (n°5), Paris : Bayard, 1993.

 

- Journal des psychologues, "L'enfant dessine, se développe...", (n°108), Juin 1993, p 33-58.

 

- LA GARANDERIE (Antoine de), Défense et illustration de l’introspection : Au service de la gestion mentale, Paris : Centurion, 1989. - 186 p.

 

- LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris : Centurion, 1987. - 202 p.

 

- LA GARANDERIE (Antoine de), L'intuition : de la perception au concept, Paris : Bayard, 1995. - 110 p.

 

- LECOMTE (Jacques), "Le cerveau créateur d'images", p 19-21, in Sciences Humaines (n°27), Avril 1993.

 

- MANINAS - BOUSQUET (Martine), "Un appétit de vivre". - Le courrier de l'Unesco, Mai 1991, p 12-17.

 

- MORIN (Edgar), "Vivre et penser au quotidien", p 32-34, in Sciences Humaines (n°62), Juin 1996.

 

- MOYNE-LARPIN (Yolande), "Raisonnement et imagination", p 117-125 in Gestion mentale (n°2), Paris : Bayard, 1990.

 

- OBERLE (Dominique), créativité et jeu dramatique, Paris : Méridiens Klincksieck, 1992.

 

 

 

PSYCHOLOGIE

 

 

- EHRENZWEIG (Anton), L'ordre caché de l'art, Essai sur la psychologie de l'imagination artistique ; traduit de l'anglais par Francine Lacoue-Labarthe et Claire Nancy - Paris : Gallimard, 5 Avril 1994. - 378 p.

 

- HUMBERT (Elie G), L'homme aux prises avec l'inconscient, Paris : Retz, Mars 1992. - 162 p.

 

- JACOB (Pierre), "Le mystère de l'intentionalité", p 28-30, in Sciences Humaines (n°62), Juin 1996.

 

- JUNG (Carl Gustav), L’homme et ses symboles, Paris : Laffont, 1964 . - 324 p.

 

- JUNG (Carl Gustav), Ma vie, souvenirs, rêves et pensées : recueillis et publiés par Aniela Jaffé (éd.aug.), Paris : Gallimard, 1973. -542 p.

 

 

 

CULTURE GENERALE

 

 

- BARTHES (Roland), L'empire des signes, Paris : Flammarion, 1970. - 154 p.

 

- BERTEAUX (Raoul), La voie symbolique, Paris : Edimaf, 1984. - 265 p.

 

- BOUTINET (Jean-Pierre), Anthropologie du projet, (2e éd. aug.), Paris : PUF, 1992. - 301 p.

 

- CHANGEUX (Jean-Pierre), "Le cerveau et la complexité", p 24-26, in Sciences Humaines (n° 47), Février 1995.

 

- CHEVALIER (Jean), GHEERBRANT (Alain), Dictionnaire des symboles : Mythes, Rêves, Coutumes, Gestes, Formes, Figures, Couleurs, Nombres/sous la dir. de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, (éd. rev
et ang.) - Paris : Laffont, 1982. - 1064 p.

 

- DAVY (Maire-Madeleine), Initiation à la symbolique romane, Saint-Amand Montrond : Flammarion, 1990. - 320 p.

 

- DELEVOY ( Robert et L ), Le journal du symbolisme, Paris : Skira, 1977. - 246 p.

 

 

- JACOB (François), La Statue intérieure, Paris : Seuil, Janvier 1987. - 370 p.

 

- KANDINSKY (Wassily), Du spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier ; traduit de l'allemand par Nicole Debraud, Traduit du Russe par Bernadette du Crest - Paris : Folio, 1994. - 218 p.

 

- LAVAL (Martine), "Rire ou dépérir" - Télérama, (n° 2403), 31 Janvier 1996, 168 p. 

 

- LEREDE (Jean), Les troupeaux de l’aurore : Mythes, Suggestion créatrice, et éveil surconscient, (2e éd. ang.), Ottowa : Mortagne, 1980. - 290 p.

 

- LEVY (Jacques), "Du monde à l'individu", p 27-30, in Sciences Humaines (n°47), Février 1995.

 

- MALDINEY (Henry), Regard, Parole, Espace, Lausanne : L'âge d'Homme, 1973. - 330 p.

 

- MISSA (Jean-Noël), "De l'esprit au cerveau", p 20-23, in Sciences Humaines (n° 62), Juin 1996.

 

- TRESMONTANT (Claude),  L’histoire de l’univers et le sens de la création, Paris : Oeil, 1985 . - 242 p.

 

- REY (Alain), Dictionnaire Historique de la langue française/sous la dir. de Alain Rey, Montréal : Robert, Oct 1992, 2398 p.

 

- VALERY (Paul), La jeune Parque, L'ange, Agathe, Histoires brisées, Paris : Gallimard, Mai 1995. - 194 p.

 

- VALERY (Paul), Eupalinos ou l'architecte, Paris : Gallimard, Février 1995. - 194 p.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNEXE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]DASTUR (Française), "Husserl ou la neutralité de l’art", in La part de l’oeil : Art et Phénoménologie (n°7), Bruxelles, Presses de l’académie des Beaux-Arts de Bruxelles, 1991, p 20.

[2]MERLEAU-PONTY (Maurice), L’oeil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1995, p 93.

[3]ibid., p 60.

[4]GAILLARD (Françoise), "Symbole, sens et architecture", in Le beau aujourd'hui, Paris, Centre Pompidou, 1993, p 110.

[5]ibid., p 110.

[6]GROPIUS (Walter), The New Architecture and the Bauhaus (Londres, 1935), p 21-32, in La signification dans l'architecture occidentale de Christian Norberg-Schulz, Liège, Mardaga, 1991, p 358.

[7]ibid., p 359.

[8]DURAND (Gilbert), L'imagination symbolique, Paris, PUF, 1993, p 126.

[9]MERLEAU-PONTY (Maurice), L'oeil et l'esprit, Paris, Gallimard, 1995, p 2.

[10]BACHELARD (Gaston), La poétique de l'espace, Paris, PUF, 1992, p 4.

[11]Paris, Gallimard, 1952, p 210.

[12]ibid., p 2.

[13]SERS (Philippe), "Préface - Kandinsky philosophe", Du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier de Wassily Kandinsky, Paris, Folio 1994, p 14.

[14]KANDINSKY (Wassily), Du spirituel dans l'art et la peinture en particulier, Paris, Folio, 1994, p 58.

[15]MARC (Olivier), Psychanalyse de la maison, Paris, Seuil, 1972, p 105.

[16]Paris, Centurion, 1989, p 14.

[17]La jeune Parque, Paris, Gallimard, 1974, p 11-12 .

[18]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Robert, 1992, p 728.

[19]Le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 6.

[20]ibid., p 13.

[21]POUSSIN (Frédérique),"La représentation : Virtualité de la figure architecturale", De l’architecture à l’épistémologie, Paris, PUF, 1991, p 131.

[22]" Les charmes de l'inclassable", in Images et imaginaires d'architectures, Paris, Centre Georges Pompidou, 1984, p 70.

[23]Husserl ou la neurtralité de l'art", in "La part de l'oeil : Art et phénoménologie (n°7), Bruxelles, Presses de l'académie des Beaux Arts de Bruxelles, 1991, p 19.

[24]BACHELARD (Gaston), La poétique de l'espace, Paris, PUF, 1992, p 8.

[25]Paris, Centre Georges Pompidou, 1984, p 153.

[26]Dans le texte, nous retrouverons ses 4 personnes respectivement sous les initiales : OR, JPBF, SG, RK.

[27]DURAND (Gilbert), l'imagination symbolique, Paris, PUF, 1968, p 38. Cite Pierre Emmanuel, Considération de l'extase

[28]JPBF, p 9.

[29]op. cit., p 91.

[30]OR, p 51.

[31]Exposition Centre Georges Pompidou, Juillet 1993.

[32]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987.

[33]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal, Robert, 1992, p 887.

[34]ibid., p 887.

[35]COMTE-SPONVILLE(André), Le mythe d'Icare, traité du désespoir et de la béatitude, Paris, PUF, 1994, p 196.

[36]MERLEAU-PONTY (Maurice), Le primat de la perception, Vendôme : Verdier, 1996, p 59.

[37]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 1645.

[38]CELESTE Patrick, Images et Imaginaires d'Architectures, "Vocabulaire traditionnel des dessins d'architecture", Paris : Centre Georges Pompidou, 1984, p 156.

[39]Comprendre et imaginer, Paris : Centurion, 1987, p 171.

[40]ARTUR (Thierry), "Pour une phénoménologie du projet", in Gestion mentale (n°4), Bayard, Paris, 1992, p 27.

[41]ibid., p 28.

[42]op. cit. p 33.

[43]op. cit. p 33.

[44]op. cit. p 37.

[45]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 1919.

[46]La phénoménologie de la perception, Paris : Gallimard, 1995, p 9.

[47]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 1474 - 1475.

[48]MERLEAU-PONTY (Maurice), Phénoménologie de la perception, Paris : Gallimard, 1995, p V.

[49]ibid., p XII.

[50]MERLEAU - PONTY (Maurice), Le Primat de la perception, Vendôme : Verdier, 1996, p 47.

[51]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 752.

[52]Comprendre et imaginer, Paris : Centurion, 1987, p 169.

[53]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 1220.

[54] LA GARANDERIE (Antoine de), comprendre et imaginer, Paris : Centurion, 1987, p 170.

[55] LA GARANDERIE (Antoine de), Défense et illustration de l'introspection, Paris : Centurion, 1989, p 12.

[56]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 461.

[57]ibid., p 169.

[58]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 1743.

[59]ibid., p 1743.

[60]ibid., p 1743.

[61]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 997.

[62]ibid.,p 997.

[63]Comprendre et imaginer, Paris : Centurion, 1987, p 170.

[64]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 1047.

[65]ibid., p 1047.

[66]ibid., p 1047.

[67]ibid., P 1047.

[68]ARTUR (Thierry), "Le sens phénoménologique de l'image mentale", in La Gestion mentale en questions, Toulouse, Erès, 1995, p 147.

[69]ARTUR (Thierry), "La pédagogie du vide de Hervé Boillot et Michel Le Du", in Gestion mentale, (n°7), Bayard, 1995, p 190.

[70]op. cit. p 191.

[71]op. cit. p 192.

[72]MERLEAU- PONTY (Maurice), Phénoménologie de la perception, Paris: Gallimard, 1995, p XI.

[73]RK, p 26.

[74]RK, p 26.

[75]RK, p 18.

[76]RK, p 19.

[77]SG, p 5.

[78]SG, p 8.

[79]op. cit., p 15.

[80]OR, p 1.

[81]SG, p 4.

[82]SG, p 1.

[83]SG, p 6.

[84]JPBF, p 2.

[85]RK, p 30.

[86]JPBF,p 1.

[87]OR, p 2.

[88]RK, p 26.

[89]RK, p 26.

[90]RK, p 16.

[91]JPBF,p 1.

[92]OR, p 1.

[93]JPBF, p 1.

[94]OR, p 2.

[95]SG, p 5.

[96]SG, p 6.

[97]RK, p 22.

[98]POUSSIN (Frédérique), De l’architecture à l’épistémologie, Paris, PUF, 1991, p 141.

[99]SG, p 4.

[100]JPBF, p 19.

[101]JPBF, p 16-17.

[102]RK, p 17.

[103]OR, p 4.

[104]RK, p 18.

[105]RK, p 15.

[106]OR, p 28.

[107]JPBF, p 17.

[108]OR, p 33.

[109]JPBF, p 11.

[110]OR, p 31.

[111]Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 90.

[112]OR, p 7.

[113]op. cit. , p 90.

[114]LE BOT (Marc) Pensée artistique et expérience de l’altérité, Paris, Esprit, p 138. cite Hölderlin, Remarques sur Oedipe.

[115]RK, p 25.

[116]RK, p 31.

[117]RK, p 31.

[118]RK, p 32.

[119]RK, p 33.

[120]RK, p 33

[121]RK, p 34.

[122]SG, p 1.

[123]SG, p 2.

[124]JPBF, p 7.

[125]OR, p 12.

[126]OR, p 44.

[127]RK, p 40.

[128]RK, p 41.

[129]RK, p 41.

[130]OR,p 16-17.

[131]SG, p 7.

[132]JPBF, p 25.

[133]JPBF, p 28.

[134]JPBF, p 27.

[135]JPBF, p 20.

[136]JPBF, p 4-7-10.

[137]OR, p 36.

[138]JPBF, p 4-7-10.

[139]RK, p 25.

[140]MARC (Olivier), Psychanalyse de la maison, Seuil, Paris, 1972, p 47.

[141]JPBF, p 13.

[142]JPBF, p 35.

[143]JPBF, p 14.

[144]SG, p 7.

[145]SG, p 3.

[146]SG, p 3.

[147]POUSSIN (Frédérique), De l’architecture à l’épistémologie, Paris, PUF, 1991, p 131.

[148]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et Imaginer, Paris, Centurion, 1987,p  89. cite Teilhard de Chardin, le phénomène humain, p 116.

[149]SG, p 9.

[150]SG, p 8.

[151]Paris, PUF, 1992, p 111.

[152]RK, p 37.

[153]VALERY (Paul), Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, Paris, Gallimard, 1995, p 41

[154]OR, p 22.

[155]JPBF, p 20-28.

[156]SG, p 20.

[157]OR, p 30.

[158]OR, p 31.

[159]OR, p 32.

[160]JPBF, p 13.

[161]OR ,p 16.

[162]RK, p 24.

[163]TA,p 16.

[164]Paris, Aubier-Montaigne, 1957, p 109.

[165]op. cit., p 167.

[166]Paris, Folio, 1992, p 186.

[167]OR, p 35-36.

[168]SG, p 26.

[169]POUSSIN (Frédérique), De l’architecture à l’épistémologie, Paris, PUF, 1991, p 131.

[170]SG, p 26.

[171]RK, p 46.

[172]OR, p 51.

[173]Le Mythe d’Icare - Traité du désespoir et de la béatitude, Paris, PUF, 1984, p 265.

[174]RK, p 46.

[175]RK, p 46.

[176]La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1992, p 142.

[177]JPBF, p 40.

[178]JPBF, p 2.

[179]SG, p 2.

[180]BACHELARD (Gaston), la poétique de l’espace, Paris, PUF, 1992, p 143.

[181]OR, p 51.

[182]RK, p 46.

[183]Paris, Gallimard, 1952, p 17.

[184]SG, p 23.

[185]SG, p 16.

[186]Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 96.

[187]SG, p 1.

[188]OR, p 38.

[189]RK, p 46.

[190]Paris, ESF, 1990, p 140.

[191]OR, p 31.

[192]OR, p 32.

[193]OR, p 39.

[194]SG, p 12.

[195]La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1992, p 89.

[196]OR, p 37.

[197]OR, p 30.

[198]JPBF, p 20.

[199]Le mythe d’Icare, Paris, PUF, 1984, p 220.

[200]OR, p 37.

[201]OR, p 33-34.

[202]COMTE-SPONVILLE (André) Le mythe d’Icare, Paris, PUF, 1984, p 45 , cité Claude Levi-Strauss.

[203]OR, p 34.

[204]JPBF, p 35.

[205]DURAND (Gilbert), L’imagination symbolique, Paris, PUF, 1968, p 70.

[206]SG, p 25.

[207]JPBF, p 24 .

[208]OR, p 38 .

[209]MERLEAU-PONTY (Maurice), L’oeil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1995, p 68 . cite Georg Schmitt, Les aquarelles de Cézanne, p 21.

[210]Lausanne, L’âge d’homme, 1973, p IX .

[211]OR, p 44.

[212]SG, p 26.

[213]SG, p 24.

[214]OR, p 51.

[215]MATOSSIAN (Chaké), La part de l’oeil - Du grattage ou les démangeaisons de l’artiste, Bruxelles, Presses de l’Académie Royale des Beaux Arts de Bruxelles, 1990, p 93.

[216]ibid., p 97.

[217]SG, p 12.

[218]COMTE-SPONVILLE (André), Le mythe d’Icare, Paris, PUF, 1984, p 197.

[219]MORIN (Edgar), Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990, p 127.

[220]SG, p 26.

[221]JPBF, p 37-38.

[222]MERLEAU-PONTY (Maurice), L’oeil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1995, p 92-93.

[223]MERLEAU-PONTY (Maurice), L’oeil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1995, p 85.

[224]JPBF, p 5.

[225]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 155. cite Bergson, La  pensée et le mouvant, p 169.

[226]LE BAHAR (Jean-Charles), le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 6.

[227]ibid, p 19.

[228]op. cit., p 23.

[229]RK, p 13.

[230]JPBF, p 1.

[231]op. cit., p 21.

[232]JPBF, p 16-17.

[233]JPBF, p 17.

[234]LE BAHAR (Jean-Charles), Le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 23.

[235]SG, p 7.

[236]JPBF, p 5-7.

[237]ibid., p 50.

[238]SG, p 11.

[239]OR, p 7.

[240]Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990, p 49.

[241]LE BAHAR (Jean-Charles), le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 26.

[242]SG, p 11.

[243]MORIN (Edgar), Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990, p 49.

[244]RK, p 31-38.

[245]SG, p 5.

[246]LEBAHAR (Jean Charles), le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 57.

[247]RK, p 17.

[248]JPBF, p 21-22.

[249]JPBF, p 22.

[250]SG, p 11.

[251]OR, p 18 .

[252]OR, p 20.

[253]OR, p 23.

[254]OR, p 40-41-42.

[255]LEBAHAR (Jean-Charles), le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 24.

[256]RK, p 45.

[257]ibid, p 70.

[258]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 90.

[259]JPBF. p 2.

[260]JPBF, p 26.

[261]JPBF, p 27-28.

[262]OR, p 33-34.

[263]Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990, p 57-58.

[264]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987,p 154-155 .

[265]RK, p 47.

[266]MORIN (Edgar), Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990, p 110.

[267]RK, p 53.

[268]SG, p 11.

[269]SG, p 27.

[270]OR, p 51.

[271]LE BAHAR (JeanCharles), Le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 24.

[272]SG, p 12.

[273]SG, p 30.

[274]RK, p 47.

[275]JPBF, p 7.

[276]SG, p 6.

[277]SG, p 9.

[278]op. cit., p 23.

[279]RK, p 45.

[280]JPBF, p 23.

[281]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 89.

[282]RK, p 45.

[283]op. cit., p 154.

[284]ibid., p 160.

[285]RK, p 44.

[286]op. cit. , p 124.

[287]SG, p 13.

[288]SG, p 13.

[289]op. cit., p 124.

[290]SG, p 22.

[291]RK, p 19.

[292]OR, p 47.

[293]op. cit., p 124.

[294]KANDINSKY (Wassily), Du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier, Paris, Folio, 1994, p 14.

[295]op. cit., p 16.

[296]JPBF, p 6.

[297]JPBF, p 18.

[298]SG, p 13.

[299]op. cit.p 128.

[300]JPBF,p 12-13.

[301]SG, p 20.

[302]SG, p 13.

[303]SG, p 20.

[304]JPBF, p 16.

[305]JPBF, p 18.

[306]JPBF, p 18.

[307]JPBF, p 31.

[308]JPBF, p 33.

[309]JPBF, p 36.

[310]Le mythe d’Icare, Paris, PUF, 1984, p 216.

[311]JPBF, p 32.

[312]Paris, Gallimard, 1945, p 31.

[313]JPBF, p 24.

[314]MATOSSIAN (Chaké), La part de l’oeil, Du grattage ou les démangeaisons de l’artiste, Bruxelles, Presses de l’Académie Royale des Beaux Arts de Bruxelles, 1990, p 94.

[315]JPBF, p 35.

[316]JPBF, p 35.

[317]op., cit. p 95.

[318]JPBF, p 20-21.

[319]JPBF, p 14.

[320]JPBF, p 5.

[321]COMTE-SPONVILLE (André), Le mythe d’Icare, Paris, PUF, 1984, p 216-217.

[322]JPBF, p 21.

[323]OR, p 36.

[324]OR, p 7.

[325]OR, p 2.

[326]OR, p 3.

[327]OR, p 13-14.

[328]OR, p 16.

[329]OR, p 3.

[330]OR, p 2.

[331]OR, p 4.

[332]OR, p 16.

[333]Le mythe d’Icare, Paris, PUF, 1984, p 275.

[334]OR, p 51.

[335]VALERY (Paul), Eupalinos, Paris, Gallimard, 1995, p 96.

[336]ibid., p 90.

[337]OR, p 2.

[338]OR, p 35.

[339]BACHELARD (Gaston), La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1992, p 162.

[340]OR, p 22.

[341]OR, p 34.

[342]OR, p 31.

[343]OR, p 17.

[344]OR, p 37.

[345]Paris, Gallimard, 1995, pVIII.

[346]OR, p 51.

[347]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 156. François JACOB, La statue intérieure, p 156.

[348]RK, p 10.

[349]RK, p 22.

[350]RK, p 17.

[351]RK, p 8.

[352]RK, p 18.

[353]RK, p 48.

[354]De l'architecture à l'épistémologie, "La complexité de la correspondance du modèle au réel : l'échelle, cette correction capitale", PUF, Paris, 1991, p 230.

[355]RK, p 26.

[356]RK, p 53.

[357]RK, p 53.

[358]POUSSIN (Frédéric), "De l'architecture à l'épistémologie","La représentation : Virtualité de la figure architecturale", PUF, Paris, 1991, p 130.

[359]POUSSIN (Frédéric), De l'architecture à l'épistémologie, "La représentation : Virtualité de la figure architecturale", cite Bruno Foucart (Images et imaginaires d'architectures : Le combat en trois dimensions  : Les peintures devant l'architecture au XIX et XXe siècles", centre Georges Pompidou, Paris, 1984), PUF, Paris, 1991, p 123.

[360]RK, p 51.

[361]RK, p 3.

[362]RK, p 3.

[363]RK, p 52.

[364]RK, p 52.

[365]RK, 42-43.

[366]SG, p 15.

[367]SG, p 5.

[368]SG, p 3.

[369]SG, p 16.

[370]SG, p 16.

[371]SG, p 25.

[372]SG, p 2.

[373]SG, p 24.

[374]SG, p 28.

[375]SG, p 2.

[376]SG, p 26.

[377]SG, p 8.

[378]SG, p 6.

[379]SG, p 7.

[380]SG, p 4-5.

[381]SG, p 9.

[382]SG, p 10.

[383]SG, p 29.

[384]SG, p 8.

[385]SG, p 3.

[386]SG, p 12.

[387]SG, p 12.

[388]SG, p 29.

[389]SG, p 42.

[390]SG, p 29.

[391]SG, p 41.

[392]SG, p 40.

[393]Concevoir, France Quercy, Parenthèses, 1993, p 175.

[394]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Robert 1992, p 1461.

[395]OBERLE (Dominique), Créativité et jeu dramatique, Paris, Klincksieck, 1992 , p 94-95.

[396]REY (Alain) Dictionnaire historique de la langue française, Montréal, Robert, 1992, p 1461.

[397]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 87.

[398]HUMBERT (Elie), L’homme aux prises avec son inconscient, Paris, Retz , p 81.

[399]op. cit. , p 85.

[400]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 136.

[401]L’oeil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1995, p 21.

[402]HUMBERT (Elie), L’homme aux prises avec l’inconscient, Paris, Retz, p 88.

[403]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 159.

[404]La psychanalyse du feu, Paris, Gallimard, 1992, p 48.

[405]HUMBERT (Elie) L’homme aux prises avec l’inconscient, Paris, Retz, p 87.

[406]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 136.

[407]La Poétique de l'espace, Paris, PUF, 1992

[408]SALAT (Serge) , LABBE (Françoise), Les créateurs du Japon, cite Walter  Benjamin Paris, Hermann, p 15.

[409]La statue intérieure, Paris, Seuil, 1987, p 12-13.

[410]op. cit., p 13.

[411]BACHELARD (Gaston), La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1992, p 4.

[412]ibid., p 2.

[413]L’architecte et le philosophe, Liège, Mardaga, 1988, p 144.

[414]op. cit., p 888.

[415]op. cit., p 92.

[416]LE BAHAR (Jean Charles), le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 129.

[417]BACHELARD (Gaston), La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1992, p 1.

[418]op. cit. , p 7.

[419]JOUSSE (Marcel), Anthropologie du geste, Mayenne, Gallimard, 1991, p 15.

[420]JACOB (François), La statue intérieure, Paris, Seuil, 1987, p 12.

[421]"Entretiens avec Portzamparc",  Hauvette, Tschumi in Concevoir, France Quercy, Parenthèses, 1993, p 182.

[422]ATTALI (Jean), "Les expressions mouvantes du travail de conception", in Concevoir, France Quercy, Parenthèses, 1993, p 136.

[423].SCOFFIER (Richard), "Entretiens avec Portzamparc, Hauvette, Tschumi", in Concevoir, France Quercy, Parenthèses, 1993, p 184.

[424]Artistes et philosophes : Educateurs ? : Art et philosophie, Paris, Centre Georges Pompidou, 1994, p 159.

[425]JOUSSE (Marcel), Anthropologie du geste, Mayenne, Gallimard, 1991, p 21.

[426]MERLEAU-PONTY (Maurice), L’oeil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1995, p 86.

[427]ARTUR (Thierry), "la pédagogie du vide de Hervé Boillot et Michel Le Du", in Gestion mentale, (n°7), Paris, Bayard, 1995, p 183.

[428]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 77 , cite Friedrich Nietzsche.

[429]SERS (Philippe), "Préface Kandinsky Philosophe", Du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier, Paris, Folio, 1994, p 18.

[430]op. cit. , p 16.

[431]Le courrier de l’Unesco, un appétit de vivre, Mai 1991, p 16.

[432]Du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier, Paris, Folio, 1994, p 112.

[433]Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1957, p III.

[434] LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 100.

[435]L’imagination symbolique, Paris, PUF, 1968, p 24.

[436]BACHELARD (Gaston), La psychanalyse du feu, Paris, Folio, 1992 , p 186.

[437]DURAND (Gilbert), L'imagination symbolique, Paris, PUF, 1968, p 122.

[438]GAILLARD (Françoise), le Beau aujourd’hui, Paris, Centre Georges Pompidou, 1993, p 117.

[439]LE BAHAR (Jean Charles), le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 129.

[440]LORAUX (Patrice), Le tempo de la pensée, Paris, Seuil, 1993, p 16-17.

[441]Conception et projet, Liège, 1993, p 47.

[442]Mayenne, Gallimard, 1991, p 35.

[443]Du spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier, Paris, Folio, 1994, p 18.

[444]Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990, p 23-24.

[445]LECOMTE (Jacques), "Rencontre avec Paul Ricoeur : Connaissance de soi et éthique de l'action", in Sciences Humaines (n°63), Juillet 1996, p 36.

[446]op. cit., p 128.

[447]BACHELARD( Gaston), La poétique de la rêverie, Paris, PUF, 1992, p 69.

[448]VALERY (Paul), Eupalinos, Paris, Gallimard, 1995, p 89.

[449]L'architecte et le philosophe, Liège, Mardaga, 1993, p 138-139.

[450]op. cit., p 29.

[451]LECOMTE (Jacques), " Rencontre avec Paul Ricoeur : connaissance de soi et éthique de l’action", in Sciences Humaines (n°63), Juillet 1996, p 36.

[452]ibid., p 36.

[453]op. cit., p 30.

[454]op. cit., p 33.

[455]LE BAHAR (Jean Charles), Le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 129.

[456]JOUSSE (Marcel), Anthropologie du geste, Mayenne, Gallimard, 1991, p 20.

[457]LAVAL (Martine), Télérama 2403, p 41.

[458]op. cit., p 112.

[459]BERTEAUX (Raoul), La voie symbolique, Paris, Edimaf, 1984, p 49.

[460]Le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 58.

[461]ELIADE (Mircea), Images et symboles, Paris, Gallimard, 1952, op. cit., p 64.

[462]HEGEL (Georg Wilheim Friedrich), Esthétique : Textes choisis, Paris, PUF, 1992, p 26.