UNIVERSITE LUMIERE DE LYON II ISPEF Département des Pratiques Educatives et Sociales |
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Collège Coopératif Rhône-Alpes C.C.R.A. |
L’ESQUISSE
ARCHITECTURALE :
Pour une pédagogie du geste.
MEMOIRE
PRESENTE
EN VUE DE
L’OBTENTION DU DIPLOME
DES HAUTES
ETUDES DES PRATIQUES SOCIALES
( D.H.E.P.S.)
Directeur de
Recherche Thierry ARTUR |
|
Présenté par MINIER Pascale |
LYON 1996
Je désire remercier :
. Monsieur Bertrand Bergier
pour la confiance et les encouragements qu’il
a su me prodiguer
. Les architectes qui ont
accepté de se "livrer"
. Les étudiants des Beaux-
Arts d’Angers
. Les élèves du BEP
Dessinateur en Architecture
. Monsieur Jean-Pierre Bastide
Fouque pour la constante estime qu'il
sait me témoigner.
Et tout
particulièrement :
. Monsieur Thierry Artur,
directeur de ce mémoire qui m’a enseignée
et accompagnée avec respect,
conviction et créativité.
MAGIE DU GESTE
Esquisse...
A l'origine enracinée autant que possible dans
"l'intuition pure"[1],
il s'agit d'un langage, d'une "pensée muette"[2]
en marche... car "les créations ne sont pas un acquis", tout juste un
élan.
Eclosion de sensibilité, Merleau-Ponty nous invite.
"Cette philosophie qui est à faire, c'est celle
qui anime le peintre non quand il exprime des opinions sur le monde mais à
l'instant où sa vision se fait geste".[3]
Nous voudrions faire l'éloge de ce geste qui répond
à l'inclination intérieure, déploiement du retentissement de l'être.
Nous désirons énoncer les vertus de la trace,
expression subtile du dessein riche d'innombrables potentialités, témoignage
d'un instant fugace inscrit dans une unité symbolique.
Avec sans doute pour ambition, de voir ces
"flambées de l'être dans l'imagination" s'accomplir et faire
"oeuvre d'architecture".
SOMMAIRE
- INTRODUCTION p 6
I-
DEFINITION DU CHAMP REFERENTIEL p 19
1 Le projet
et le projet de sens p 20
2 La
sensation p 22
3 La
perception p 23
4
L’évocation p 24
5 La
mémorisation p 25
6 La
compréhension p 26
7 La
réflexion p 27
8
L’imagination p 28
9
L’introspection p 29
II- PRATIQUE
DE L’ARCHITECTE p 31
1
L’observation p 32
2 L’élaboration p 42
3 La
réalisation de l’esquisse p 52
III- PROCESSUS DE FONCTIONNEMENT p 62
1 Contenu
des témoignages p 63
2
Singularité des entretiens p 84
IV-
L’ETHIQUE DU PEDAGOGUE p
101
1 Kaïros - le moment opportun p 106
2 La
dimension poétique p
112
3 La
recherche du sens p
118
4 La valeur
du geste p
123
5
L’ouverture à l’imaginaire p
128
- CONCLUSION p
134
- BIBLIOGRAPHIE p 144
- ANNEXE p
152
INTRODUCTION
1
- ORIGINE DE LA RECHERCHE
Cette
recherche s’origine dans la nécessité de modifier notre regard sur le travail
de l’architecte et d’enrichir une pratique avant qu’elle ne s’enlise dans les
clichés et les habitudes. Un constat nous a conduit à opérer une double mise à
distance de la pratique de l’architecture sur le terrain libéral et de
l’enseignement.
Ce
constat s’est porté sur ce qu’il est convenu d’appeler la "production
contemporaine d’architecture" où "produit pour le seul coup d’oeil,
le sens se confond avec l’effet"[4].
Ainsi, l’architecte capture un "objet" lourdement chargé de sens, qui
sert de sédiment à tout un processus intellectuel. A mesure que celui-ci
progresse, de la saveur originelle il ne reste que la lie, le référent
s'estompe, l'objet sort de son contexte. De ce détournement du sens initial, il
ne restera qu'une image évidée, exsangue. Françoise Gaillard illustre ce
phénomène notamment par la crêche de Christian Hauvette réalisée à Paris rue
Saint-Maur. Le bâtiment est élaboré sur l'image d'une silhouette de femme aperçue
sur une publicité. Ainsi l'architecture se résume ici dans la constitution de
l'image d'une image. Nous assistons à "cette remontée du concept vers
l'image qui est le plus sûr moyen de neutralisation de toute réalité
référentielle. Le référent s'épuise, s'exténue et finit par s'abolir dans
l'image qui l'a vampirisé. Le sens y perd du coup son fondement[5].
L’architecture
contemporaine s’est peu à peu éloignée
de cette ambition architecturale qui consistait à ancrer dans la matière,
l'accomplissement d'un sens, au fil du travail harmonique et symbolique. De ces
accomplissements qui comptent avec l'appui du temps pour concevoir et
engendrer, l’architecture s’est détournée.
Bon
nombre d’architectes lui préfère la "production" afin de répondre à
des exigences commerciales. Aussi, ils se confondent dans une imagerie destinée
à satisfaire une netteté d'exécution, une précision des formes, une performance
technique, la perfection et le rendement de l'ensemble par nécessité
communicationnelle. Le mot "fonctionnalisme" dénote ses buts et ses
intentions. A ce moment, ce mouvement était profondément préoccupé par la
condition humaine. Animé par la conviction que la nouvelle architecture devait
être "l'inévitable produit logique des conditions intellectuelles et
techniques de (son) époque"[6],
ce courant avait l'ambition de définir des normes qui pourraient garantir une
"société polie et bien ordonnée"[7].
Aujourd'hui,
l’architecte est passé de la valeur d'usage à la valeur image.
Philippe
Stark arrive même à "vendre" une cafetière géante au Japon, pour
abriter, bureaux et surfaces commerciales. L'usage excessif de l'informatique
s'est rendu complice de cette attitude, au profit d'une production d'objets
architecturaux. A l'origine, l'informatique visait à répondre à cette double
attente du Maître de l'Ouvrage (client) et de l'entreprise, ainsi nommée :
Exigencielle/Performancielle. La notion de rendement nous a conduit par son
usage à une simplification et une normalisation du processus conceptuel, vers
une linéarisation de la pensée et un fonctionnement binaire qui ne sied
nullement à ce travail à la fois si poétique et si complexe, compromis de
concrétisation et d'abstraction, entre souci de compétence technique et désir
de jouissance esthétique. Peu à peu l’usager a été écarté et l’architecture a
omis de faire valoir la valeur primordiale du travail de l'architecte :
l'intentionalité . L’architecture contemporaine s’est réfugiée dans la
schématisation des logiciels, omettant que le fondement même de toute
élaboration créative est l'intentionalité. Celle-ci réclame le respect d'une
démarche itérative où d'impressions en sur-impressions, les traces de la main
viennent charger le calque du poids de nos désirs pour tenter de réduire
"l'irrémédiable déchirure entre la fugacité de l'image et la pérénnité du
sens"[8].
En
vue de dépasser une insatisfaction réactive et un sentiment d'impuissance face
à cette évolution, nous entrions dans l'action. Nous engagions une recherche
permettant de théoriser une pratique professionnelle et d'extraire une
compréhension avec l'objectif de reconsidérer l'enseignement de l'architecture.
A
l'origine, nous avons emprunté le chemin de la recherche par "intuition
pure". Depuis lors, nous avons constaté une étrange analogie entre la
conception architecturale et la démarche de recherche. En effet, dans sa forme,
cette dernière constitue un terrain familier où "il n'y a pas de
"problèmes" séparés, ni de chemins vraiment opposés, ni de
"solutions" partielles, ni de progrès par accumulations, ni d'options
sans retour"[9].
L'écoute
et le respect de ces errances, de cette "genèse secrète et fièvreuse"
de l'intérêt de toute chose, du sens et des vertus de l'inapparent, nous ont
engagé sur le champ philosophique. Espace si étranger et si familier dès lors
que les mots de Bachelard ou de Merleau-Ponty venaient se faire l'écho de nos
perceptions informelles. Nous laissant guider insensiblement vers la
phénoménologie, nous nous orientions vers une approche de l'acte architectural
et notamment "dans cette union de l'image d'une subjectivité pure mais
éphémère et d'une réalité qui ne va pas nécessairement jusqu'à sa complète
constitution"[10];
à savoir : l'esquisse.
L'objet
de la recherche s'établissait non pas sur la production architecturale mais sur
l'élaboration de l'esquisse, en tant que témoignage d'un accomplissement.
Mircéa Eliade le souligne dans Images et
Symboles : "L'image attend l'accomplissement de son sens"[11].
Aucun acte ne saurait se faire l'écho plus nuancé de cette pensée, que ce geste
d'architecte provisoire esquissant à grands traits l'esprit des potentialités à
venir. Ainsi, nous choisissions de porter toute notre attention sur ce
témoignage de l'homme, miroir du monde, sur cette "image (qui) émerge de
la conscience comme un produit direct du coeur, de l'âme, de l'être de l'homme
saisi dans son actualité"[12].
Avec
le désir secret de "restituer à la création artistique sa mission
fondamentale qui (nous) parait être de dévoiler l'ordre des choses, de
constituer le langage suprême, celui qui se substitue aux mots
impuissants"[13],
nous voudrions voir éclore un mouvement fécond, doué d'une mystérieuse
puissance de vision. Un "art qui ne renferme en soi-même aucun potentiel
d'avenir et n'est ainsi que l'enfant de son époque, n'engendrera jamais le
futur : c'est un art castré"[14].
Nous
nous interrogions sur le moyen de parvenir à cette "renaissance". Il
nous fallait forger de nouveaux outils et reconnecter l'homme à son aventure
intérieure. "Pouvons-nous croire que cessera demain la course à la
découverte scientifique pour une découverte intérieure ? Il ne semble pas que
la conscience humaine ait encore atteint un degré de maturité suffisant pour
admettre dans sa croissance le rythme des saisons de l'âme humaine. Et
pourtant..."[15]
Ne s'agit-il pas de permettre à l'homme de recontacter son être en vue d'un
élargissement de conscience.
Il
nous sembait désormais que ce défi pourrait être relevé par les générations
futures. Antoine de La Garanderie, dans
Défense et illustration de
l'introspection nous ouvre cet horizon temporel : " Il est à mon avis
malheureux que la psychologie ait vu son domaine se partager entre deux types
d'héritiers : les enfants du comportement et ceux de la psychanalyse... mais je
crois qu'il y aurait place pour un troisième type d'héritiers : les enfants de
la conscience auxquels auraient été dévolu le soin d'aiguiser son propre
instrument d'investigation"[16].
Dès
lors, des questions surgissaient :
Comment
accompagner les élèves vers la découverte de leur créativité ? Comment les
conduire à élaborer une expression singulière en prise avec les profondeurs de
leur être ? Et finalement expression spontanée de la pensée imaginante,
l'esquisse peut-elle être enseignée ?
2
- QUESTION DE RECHERCHE
"La
question, Valéry souhaitait la poser au début de toute philosophie".
"Qu'est-ce
qu'une interrogation ?" se demande-t-il : C'est faire dépendre la
proposition (...) d'une opération ultérieure - C'est introduire
l'inachevé"[17].
C'est
ce que nous nous proposons de faire.
L'esquisse
architecturale peut-elle être enseignée ?
Au
XVe siècle, Esquiche[18]
signifie au plan étymologique, "ébauche", "dessin
provisoire", de l'italien schizzo
et schizzare : "jaillir",
"tâche que fait un liquide qui gicle". Cette image confère un
caractère spontané et dynamique, un acte à peine "maîtrisé". Par
extension, "esquisse" s'emploie aujourd'hui au sens de :
"première forme d'un dessin" et "esquisser" au sens de :
"fixer les grands traits d'une oeuvre".
Dès
lors qu'elle est qualifiée d'"architecturale", l'esquisse prend une
coloration toute spécifique voire singulière ; perçue comme un outil privilégié
en architecture, l'esquisse place l'architecte devant un acte, un apprentissage, une pratique du métier.
Jean-Charles Lebahar met en relief son aspect dynamique et signifiant :
"Le dessin d'architecte ne doit pas se contempler comme un fossile de
projet mais plutôt comme un regard, c'est-à-dire comme l'expression visible
d'une intelligence au moment où elle se confronte à des problèmes."[19]
Il présente cette capacité à "savoir-dessiner" comme le symptôme de
"savoir-concevoir". Par ailleurs, il se réfère à Jean Piaget qui
définit cette "conduite" comme un "acte déployé à l'extérieur ou
intériorisé en pensée"[20],
pour chercher la nature du rapport
entre ce qui se passe dans la tête de l'architecte et ce qui s'inscrit dans son
esquisse.
Frédérique
Poussin décrit l'esquisse "comme une somme d'indéterminations, ... sous
forme de tremblement, ou à l'inverse, de surcharges. La figure apparaît à la
fois précise et imprécise, elle ne semble pas se réduire à ce qui est figuré.
Ici la capacité du dessin à servir la pensée ainsi que son ambiguïté
constituent un paradoxe moteur pour la réflexion. Les traces graphiques portent
en elles une force allusive"[21]. Ce dernier qualificatif
nous paraît essentiel. Il évoque la richesse des potentialités contenues. Sous
le charme de cette architecture de papiers, Jacques Guillerme perçoit également
l’esquisse comme "un ensemble d’intentions condensées dans l’image"[22].
Il rejoint Françoise Dastur qui déclare en se référant à Husserl,
"l'oeuvre d'art ne lui sert pas seulement d'exemple pour une
"phénomènologie des présentifications intuitives"... mais elle
constitue un modèle essentiel de l'analyse intentionnelle en tant que
telle"[23]. Cette
réflexion philosophique sur les lois de la connaissance et plus spécifiquement
l'accès à la créativité puise ses racines dans les profondeurs du désir et du
sens. Nous percevons alors une corrélation avec le "projet de sens"
ainsi nommé par Antoine de La Garanderie, à l'origine de tout acte et de tout
apprentissage."En limitant de cette manière notre enquête à l'image
poétique dans son origine à partir de l'imagination pure, nous laissons de côté
la composition du poème comme groupement d'images multiples"[24]
; nous nous appuyerons sur ce choix de Gaston Bachelard, en limitant notre
étude à l'esquisse spontanée, laissant de côté la composition du projet. Aussi,
nous retiendrons comme définition l'énoncé de Patrick Céleste dans Images et imaginaires d'architectures :
"Première opération consistant à faire jaillir les grands traits du projet
pour la mise en place du programme et du parti"[25].
Pour
approcher le travail de l'architecte, nous nous appuierons sur quatre
entretiens de quatre vingt dix minutes.
Les architectes choisis exercent une activité libérale, trois d’entre
eux ont enseigné ou enseignent l'architecture. Il s'agit d'une part, d'une
femme de 36 ans, travaillant seule et intervenant sur la commande privée, d'un
homme de 57 ans, ayant une agence de 5 personnes et répondant aux commandes
publiques et privées, d’autre part, d’un homme de 34 ans installé
individuellement et s’associant fréquemment avec un autre architecte pour
répondre à la commande publique, enfin, un homme de 40 ans exerçant en
association au sein d’une agence de quatre personnes, répondant à la commande
publique et privée[26].
"Analyser
un symbole, c'est peler un oignon pour trouver l'oignon
intellectuellement"[27].
Pour cette même raison, nous ne nous sommes pas attachés à analyser les documents d'esquisse qui se seraient vidés
de leur sens à mesure de notre progression. Nous avons préféré prêter une
oreille vive et respectueuse aux récits des architectes. Ainsi, nous ne
réaliserons pas une approche sémiologique, mais tentons d'apporter un éclairage
sur l'élaboration de l'esquisse de l'architecte.
Soucieuse
d'offrir une écoute attentive et de nous positionner comme observateur, nous
n'avons pas choisi de "mener" ces échanges seule et avons souhaité
nous associer le regard du philosophe lors de la conduite des entretiens.
Ceux-ci
se sont déroulés sous forme de dialogue, rappelant en quelque sorte le libre
échange entre l'architecte et son client, sans prétendre à l'exhaustivité. Ils
ont permis de mettre à jour des préoccupations singulières et notamment une
réflexion sur l'origine de ces esquisses :
"Vous
dire comment le collage s'est fait ? J'en suis bien incapable, bien
incapable... D'ailleurs, la discussion n'aurait pas lieu si je le savais, si je
savais exactement comment cela s'est passé... et je ne dirai pas comme on pouvait
dire, si vous voulez, il y a 200 ans : "c'est le mystère divin !".
Hum... Bon... Je ne crois pas à cela... Enfin !... Je me méfie en tous les cas
de cela"[28]. Avec sa
part d'énigme, elle nous rappelle ce que Merleau Ponty nommait "Pensée
muette"[29] en évoquant
la peinture.
"C'est
une espèce de grand silence... je ne trouve pas d'autre mot"[30].
Espace au seuil duquel tout s'origine, ce silence se pare d'une forme indicible
et résonne de la profondeur de son énigme.
Il
nous plaît à percevoir l'oeuvre d'architecture comme lien entre le ciel et la
terre. Brancusi déclarait : "peut-être s'agit-il de doter l'oeuvre d'une
véritable intériorité. Or l'art primitif... incarne, l'esprit intercesseur avec
le divin"[31]. Il se
plaisait à étirer ces oiseaux vers le ciel de manière inouïe et les dotaient
parallèlement de socles si lourds qu'ils semblaient immuables. Nous suivrons ce
chemin, après avoir tenté une réflexion philosophique nous reprendrons pied sur
le terrain pour envisager des propositions pédagogiques.
3
- PLAN DE MEMOIRE
L'esquisse
architecturale peut-elle être enseignée ?
A
l'écoute de cet énoncé et à l'analyse minutieuse des entretiens, sans prendre
en compte l'héritage doctrinaire et culturel qu'ont pu intérioriser les
différents architectes, nous avons dégagé quatre temps :
- Le premier temps propose de situer le
champ sémantique dans lequel nous nous inscrivons. Nous définissons les
différents gestes mentaux : du projet de sens à l'imagination créatrice.
- Le deuxième temps s'applique à décrire la
pratique de l'architecte. C'est une prise de contact avec son discours : Quelle
est sa matière première ? Comment la traite-t-il ? Pourquoi produit-il une
esquisse ? A l'intérieur même de cette approche, nous découvrons trois
phases :
1 - L'observation, qui
permet un repérage du contexte spécifique et une appropriation des éléments qui
le constitue.
2 - L'élaboration, qui
constitue un travail d'hypothèses, d'essais mentaux, de questionnements ;
3 - La réalisation de l'esquisse qui matérialise des choix et
représente un "objet" à communiquer.
- Dans un troisième temps, nous analysons
les processus selon lesquels fonctionne l'architecte. A l'examen de quatre
échanges, nous avons choisi de porter deux regards :
1 - Le contenu des témoignages en vue d'expliciter ce qui a permis
l'élaboration de l'esquisse.
2 - La singularité de ces entretiens afin de se préserver de toute
attitude dogmatique.
Dans
ces deuxième et troisième parties, nous illustrerons par les mots même de ces
architectes le développement que nous venons d'ébaucher, pour tenter d'établir
une correspondance claire et pragmatique avec la matière que nous avons traitée
et ne pas nous éloigner du terrain qui constitue la réalité de cette pratique.
- Le quatrième temps, enfin, tente
d'élaborer des propositions pédagogiques, à partir de la compréhension du
processus du travail de l'architecte et d'une expérience personnelle
d'enseignement du dessin d'architecture, dans un lycée professionnel et dans
une école régionale des Beaux-Arts.
Nous
distinguons cinq étapes fondamentales :
1
- le respect du temps nécessaire : "Laissez du temps au temps".
2
- la découverte des potentialités de l'évocation.
3 - l'élaboration d'une "mise en mots " ou ré-expression tant sur
les aptitudes que
les difficultés.
4
- l'apprentissage du geste qui constitue l'ancrage dans la matière d'un acte conscientisé.
5
- le développement d'un regard critique.
Cet
ensemble, en vue d'une redécouverte du "sens" contenu dans toute
chose.
Cette
quatrième partie puisera dans l'expression des étudiants ou des apprentis afin
d'effectuer un repérage de leurs errances et de leurs potentialités et de
mesurer la nécessité de ces cinq propositions pour conduire l'être en
apprentissage vers une reconnaissance personnelle de ces aptitudes et une
conscience de lui-même en face du monde extérieur.
La
rencontre avec soi-même est origine et destin de toute aventure créative.
Consciente que "l'éducation de l'imagination est à la source de tout
développement mental de l'individu"[32],
nous tenterons de conduire l'être en apprentissage vers cette alternance
paradoxale d'implication et de neutralité, mouvements successifs, flux et
reflux qui viendront tour à tour révéler : la dimension ludique, créative,
poétique, symbolique, voie initiatique de cet accomplissement par lequel
l'individu acquiert sa capacité à créer et devient "acteur" de son
avenir.
Nous
pressentons les vertus du geste.
Le
geste, qu'il soit physique ou mental nous invite au mouvement. Par son
étymologie, gestus signifie en effet
: "attitude, mouvement du corps"[33],
et gestum, "accomplir,
faire"[34]. Sa
signification contient une dimension corporelle et active.
Nous
imaginons tour à tour :
Le
geste corporel, révélateur du geste mental; le geste mental au service du geste
physique; le geste manuel, ancrage du geste mental.
Enfin
tous ces gestes alternés entre corps et mental assurent, dans un mouvement
harmonieux, une reliance entre notre intériorité et notre rapport au monde,
afin d'enrichir notre perception et nourrir notre compréhension.
Récepteur
de cette fécondité, au fil de cette fluidité, "l'artiste n'invente pas; il
découvre. Il ne produit pas; il dévoile. Il ne crée pas; il divulgue... Il voit
ce que les autres ne voient pas... Le créateur semble s'accoucher de lui-même
d'une oeuvre pré-existante"[35].
I - DEFINITION DU CHAMP
REFERENTIEL
Avant d’engager
tout développement, nous désirons préciser le champ sémantique auquel nous nous
référons. Il s’agit pour une part des travaux d’Antoine de la Garanderie sur la
pédagogie phénoménologique qui puise aux sources de l’"introspection
eidétique" en vue de revisiter chaque geste mental et ceux de Maurice
Merleau-Ponty sur la pensée pré-réflexive, la perception immédiate avec le sens
implicite qu’elle recèle. Tous deux
nous conduisent au sujet incarné, vivant en relation intentionnelle avec
le monde. Cette approche phénoménologique, en revenant aux "choses
mêmes", tente de saisir l’essence de tout objet et tout acte de
connaissance. "L’idée d’aller droit au but est une idée inconsistante si
l’on y réfléchit. Ce qui est donné, c’est un chemin, une expérience qui
s’éclaircit elle-même, se rectifie et poursuit le dialogue avec soi-même et
avec autrui".[36]
Nous allons
tenter d’emprunter l’un d’eux, animé du désir de nourrir ce dialogue.
1 - LE PROJET ET LE PROJET DE
SENS
En 1529, project, issu de pourget, possède
dès les premiers textes le sens de "idée que l'on met en avant" et de
"plan proposé pour réaliser cette idée"[37].
Ainsi au XVIe
siècle,
en architecture notamment, le projet est un "travail", une
"rédaction élémentaire", un "premier état"2 ; le "projet de loi" arrive lui
avec la Révolution en 1792. Mais revenons à l'architecture, où "le domaine
du projet est aussi étendu que celui de tout ce qui peut être fabriqué, édifié
et préfigurer une modification de l'espace"[38].
Ainsi le projet se décompose en : avant-projet sommaire, avant-projet détaillé
et en projet d'éxécution des ouvrages, développant alors les différentes phases
du projet dans leur complexité accrue.
La notion de
"projet de sens" introduite par Antoine de La Garanderie en 1974,
détermine le champ de la connaissance. Le projet de sens, est "l'acte
mental par lequel l'individu structure implicitement ou explicitement - dans ce
dernier cas par des évocations visuelles, auditives, verbales, ou par des
implexes moteurs - l'activité corporelle ou intellectuelle à laquelle il
va se livrer"[39].
En d'autres termes, c'est l'acte mental par lequel l'être va relier perception
et évocation, ou par lequel l'individu va faire le lien entre les différents
gestes mentaux.
Pour parvenir à
la compréhension de ce qui préside à l'accession du sens, retraçons le chemin
emprunté par Antoine de La Garanderie, en veillant à ne pas le trahir,
lorsqu'il illustre cette éclosion par l'expérience primordiale de l'enfant :
jet de l'objet devant lui.
Dans un premier
temps, "habité par une exigence de finalité", l'enfant par le
lancement de l'objet dans l'espace s'investit dans la dimension temporelle.
"Ce jaillissement temporel"[40]
permet à l'enfant d"'être en vue de lui-même"2 et habité
du "projet" vécu de s'accomplir dans l'unité du geste, ouvrant la
voie au présent et au passé.
Dans un deuxième
temps, "l'objet envoyé dans le temps de l'avenir, touchera le sol et fera
du bruit"[41], provoquant
ainsi un rapport conscient entre l'évocation du projet et l'effectuation de
l'acte; conscience confirmée par la jubilation de l'enfant.
Dans le
troisième temps, l'enfant accentue la conscientisation . En effet, le
clignotement de ses paupières témoigne de l'instant du bruit et de l'espace de
rencontre établi entre le monde et l'enfant. L'enfant accueille le sens.
Thierry Artur
nous le rappelle "structure, sens, et temporalité se rejoignent"[42].
La structure permet l'élaboration d'habitudes évocatives; "le sens, c'est l'a-priori du donné, du monde qui reste
en attente de dévoilement"[43].
Et le projet assure le lien entre structure et sens.
Par ailleurs,
Antoine de La Garanderie s'est attaché dans un premier temps au
"projet", puis au "projet de sens" et enfin à la
"structure du projet de sens". Sans doute pour affirmer la
constitution de cette structure sans laquelle l'habitude, qui est source de
liberté, ne peut s'élaborer.
Les habitudes
évocatives, loin d'être figées, ouvrent une disponibilité permettant
d'accueillir le monde, de recevoir nos perceptions et de comprendre ce que nous
sommes en propre. Nous le comprenons, tout geste mental s'origine dans le
projet de sens par lequel l'homme se relie à l'être "dans cet instant
expressif où il déploie un horizon pour penser"[44].
2 - LA SENSATION
Conscience de
l’ombre encore chargée de nuit, sensation empruntée au bas latin, sensatio, signifie à l’origine
"compréhension"[45]
avec cette notion d’"impression produite" qui plus tardivement se
teintera, par extension, de réceptivité : "être sensible aux
stimulations".
Merleau-Ponty la
qualifie ainsi : "La sensation pure sera l’épreuve d’un "choc"
indifférencié, instantanné et ponctuel"[46].
Elle peut être perçue en quelque sorte comme une réponse de l’intérieur de
l’être à l’extériorité. Cependant Antoine de La Garanderie développe une notion
qui nous semble importante puisqu’elle permet de distinguer la sensation de la
perception : Il souligne la dimension passive de cette "attitude".
Nous pouvons en effet, sentir malgré nous, sans le vouloir, sans poser un acte.
Ainsi, s’agit-il
peut-être de renaître à l’innocence de ce qui n’est pas encore parlé vers cet
espace où le monde se meut, vibrant et muet, vers cette écoute première du
monde et de nous-mêmes pour sentir traverser une rumeur, un "bougé"
qui nous habite subtilement et laisse la trace fugace d’une sensation.
3 - LA PERCEPTION
Issu du latin, perceptio, au XIIe siècle,
signifiant : "action de reccueillir, récolte", perception est
employée en philosophie au sens intellectuel de "connaissance", et se
définit comme "acte par lequel le sujet prend connaissance des objets qui
ont fait impression sur ses sens".[47]
"La
perception n’est pas une science du monde, ce n’est pas même un acte, une prise
de possession délibérée, elle est le fond sur lequel tous les actes se
détachent et elle est présupposée par eux".[48]
Dès lors, nos sens sont mis en éveil et la perception témoigne de notre rapport
au monde. Pour ce faire, l’individu se placera en situation de projet, dans une
attitude active, afin de mettre en mouvement ces différents sens et
d’accueillir ce qu’il recevra par ceux-ci.
Nous rejoignons
Merleau-Ponty lorsqu’il énonce : "La perception intérieure est impossible
sans perception extérieure"[49].
Dans son rapport au monde, une "onde de choc" se produit qui vient
éveiller la conscience de l’individu et répondre à l’attitude d’écoute,
d’attente, de "suscitation". En revanche, nous constatons "qu’il
est impossible ..., de décomposer une perception, d’en faire un assemblage de
parties ou de sensations, puisqu’en elle, le tout est antérieur aux parties -
et que ce tout n’est pas un tout idéal"[50].
En ce sens, la
perception s’entend comme résultante d’une volonté d’appréhender le monde, mais
se reçoit de manière "brute", indifférenciée par le filtre des sens.
Cette réaction interne surgit et présentifie l’activité extérieure et notre
relation à elle.
Mais notre
attitude active ne réside à ce stade, que dans le désir de recevoir,
d’accueillir, de se faire "réceptacle".
4 - L’EVOCATION
Il nous faut
atteindre à l’évocation pour entrevoir cette volonté "d’appeler à
nous-mêmes, d’attirer" ; en latin, evocare,
formé de vocare : "appeler,
invoquer, inviter". Ainsi, Sainte-Beuve extrapole pour signifier "une
remise en mémoire, une allusion"[51].
Antoine de La
Garanderie souligne cet aspect en définissant l’évocation ainsi :
"Présence à la conscience d’images, de souvenirs, d’idées représentées par
des mots ou des symboles visuels, par un geste de projet volontaire ou
involontaire. Le projet d’évoquer s’installe dans la vie mentale sous la forme
d’habitudes évocatives"[52].
Nous retrouvons
ainsi ce mouvement de la pensée vers le passé, vers la mémoire ; c’est en
quelque sorte, l’origine de tout processus mental. En effet, être en projet
d’évoquer, permet à l’individu d’être attentif, de mémoriser, de réfléchir, de
comprendre, d’imaginer. Faute de quoi, l’individu se vit comme simple récepteur
et ne prend pas sa dimension d’acteur. L’évocation est l’expression mentale de
ce que nous percevons ; c’est une reproduction de la perception en image
mentale. Ces images mentales peuvent être auditives, visuelles, verbales ou
mixtes. Elles revêtent une forme concrète, schématique ou symbolique. Ainsi,
nous est-il donné d’ex-térioriser le perçu avec l’appui de nos sens et la
structure de notre mental.
5 - LA MEMORISATION
Cet
"ensemble de souvenirs" ou cette "aptitude à se souvenir"[53]s’énonçait
memoria en latin au XIe siècle. Depuis le XVIIIe
siècle, il s’agit d’"apprendre exactement", de "fixer dans la
mémoire". Nous ne retiendrons pas ce sens qui suppose un travail
contraignant, avec une visée quelque peu péjorative. Nous reviendrons plutôt à
ce sens premier qui consiste à établir un rapport d'identité entre ce que nous
percevons et ce que nous évoquons ; à savoir : "ce pouvoir de conserver et
de reconnaître des connaissances grâce à un projet mental par l’acte duquel des
connaissances sont placées en évocations, dans un imaginaire d'avenir, dont on
s'assure la conservation et le pouvoir de les reconnaître par le jeu de
répétitions verbales ou de reproductions visuelles, en en testant la
fiabilité"[54].
L'individu animé
d'un projet d'avenir, se prêtera donc au jeu de la reproduction du réel dans sa
tête, avec l'intention et le présupposé suivant : "Cela peut resservir
plus tard".
La mémorisation
procède en quelque sorte de la volonté de "faire exister" dans un
imaginaire d'avenir"[55],
avec le projet de puiser à cette expérience, afin d'extraire sa potentialité et
d'en faire usage.
6 - LA COMPREHENSION
Du latin, comprehensio : "action de saisir
ensemble" s'élabore par extension, "l'action de saisir par
l'intelligence".[56]
Que
rassemblons-nous dans la compréhension ? Le perçu et l'évoqué dont se dégage ou
non un rapport de sens. Ainsi partant des évoqués spontanés nous effectuons en
quelque sorte une traduction évocatrice. De ces rapports de compréhension naît
l'intuition de sens.
"Fruit d'un
acte mental structuré par le projet d'évoquer pour les comparer, des objets de
perception, des concepts (eux-mêmes représentés par des mots ou des images
symboliques) jusqu'à ce qu'apparaissent à la conscience des intuitions
d'identité, de différence, de relations causales, etc ..."[57].
Ainsi, s'agit-il d'établir, par le truchement de l'intuition, des rapports de
similitude ou de différence entre deux évocations, ou une chose évoquée
antérieurement et une chose perçue actuellement, afin d'accéder au sens
contenu. Antoine de la Garanderie distingue deux attitudes de compréhension :
applicante et explicante. Schématiquement, l'applicant se situe plus volontiers
dans une thématique du "comment" : "Comment mettre en oeuvre
ceci pour que cela fonctionne ?", l'expliquant aura besoin d'une phase de
questionnements pour tenter de répondre au "pourquoi". En résumé,
l'appliquant tente d'établir un rapport d'identité qu'il soit visuel ou
auditif, tandis que l'expliquant recherchera une preuve de la validité de ce
qu'il perçoit.
Dans tous les
cas, nous sommes au seuil du sens révélé par l'intuition qui nous invite à
cheminer vers une voie plus profonde : celle de la réflexion.
7 - LA REFLEXION
Emprunté au bas
latin, reflexio : "action de
tourner en arrière", "de retourner"[58],
le sens évolue au XIIIe siècle vers la "méditation", la
"connaissance de soi"[59],
pour être définie par Descartes au XVIIe siècle, comme le
"retour de pensée sur elle-même en vue d'examiner et d'approfondir une
donnée de la conscience spontanée"[60].
Nous sommes
alors dans une perspective volontaire qui vise à mobiliser divers acquis
(empiriques, culturels, ...) par des évocations pour venir générer ce mouvement
qu'est la réflexion.
Fortement
enraciné dans l'éveil des sens et la quête du sens, l'individu entame un
travail d'ouverture, adopte une attitude d'accueil à toutes hypothèses,
stratégies et découvertes qui se présentent à lui. A ce stade,nous assistons à
l'élaboration de relations projectives, de compositions structurées, de
rapprochements de "possibles", de mises à l'épreuve conventionnelles,
enfin, tout un jeu de confrontations successives, d'analogies visant à
parcourir mentalement un vaste champ conditionnel. Par ce regard qui traverse
les données du "sensible" du monde brut et le soumet à l'analyse de
l'esprit, nous revisitons et reconstruisons une conscience de nous-mêmes et
d'autrui.
8 - L'IMAGINATION
En 1593,
Montaigne la définit comme "la faculté d'évoquer les images, des objets
que l'on a déjà perçus"[61].
Au XIVe siècle, le sens convenu était plus abstrait :
l'imagination était entendue comme "ce qui est conçu par l'esprit",
ou "faculté de créer en combinant des idées"[62].
Issu du latin imaginatio :
"image, vision" et de imaginatus
: "image de rêve" nous pouvons considérer qu'il s'agit de la capacité
à inventer des images.
Depuis lors,
Antoine de La Garanderie pose l'imagination en tant que "processus de
pensée consistant en une évocation d'images mnémoniques (imagination
reproductrice) ou en une construction d'images (imagination créatrice). Dans
cette dernière acceptation, le mot se trouve souvent employé pour désigner la
capacité d'un individu à procéder à cette activité créatrice, souvent
généralisée à toute capacité inventive"[63].
En résumé, imaginer consiste sans doute à percevoir le monde afin d'évoquer ce
qui peut être inventé et qui demeurait caché.
Cette
distinction entre imagination reproductrice et créatrice étant précisée, nous
devons différencier au niveau de l’imagination créatrice deux attitudes à
l'oeuvre : l'invention et la découverte.
Ainsi
l'inventeur, curieux de la compréhension du fonctionnement, décèlera une pièce
manquante ou un rouage imparfait et tentera de parfaire celui-ci, conscient que
l'absence ou l'imperfection est pour lui le révélateur et l'indice potentiel de
l'innovation.
En revanche, le
découvreur, persuadé que tout existe, que tout est contenu, aura l'ambition de
lever le voile, de "mettre à nu", de révéler ce qui est caché et
n’attendait qu'un regard attentif et sensible pour le dévoiler.
9 - L'INTROSPECTION
Avant d'être
usité dans le champ psychologique, introspection est un terme philosophique
emprunté à l'anglais qui signifie "examen à l'intérieur"[64],
dont la racine latine introspicere :
"regarder dans, à l'intérieur de"[65]
nous conduit au "dedans" (intro)
pour "apercevoir, regarder" (specere).
La psychologie
la définit comme "observation d'une conscience individuelle par elle-même
et à des fins spéculatives"[66].
Tandis qu'au début du XXe siècle, la philosophie la reconnait comme
"fait, pour une conscience, de se prendre pour objet sans visée
spéculative"[67].
Antoine de La Garanderie la qualifie d’"introspection éidétique".
"Cette introspection n'a rien à voir avec le regard intérieur
psychologisant ou l'investigation proprement subjective. Elle n'a de
signification uniquement lorsque la conscience fait vivre en elle son ouverture
au monde"[68].
Inscrite dans la
mouvance phénoménologique, "l'introspection se présente comme essentielle
pour La Garanderie, (en tant qu') elle rend possible la description des vécus
de conscience"[69].
En effet, elle ne porte que sur les images que la conscience se donne au moment
où elle accède au sens. Nous le savons, par ailleurs, la phénoménologie perçoit
l'intellect comme réceptif, prêt à accueillir l'a-priori en exerçant ses facultés d'intuitionner le sens. En aucune
manière, il ne s'agit de proposer une analyse psychologique des méandres
intérieurs de l'âme.
L'introspection
dans cette perspective "se fonde sur la phénoménologie et a comme fonction
l'essence des vécus de conscience"[70].
"La
finalité de l'introspection est de mettre à nu la conscience dans sa pureté
d'être, elle s'ouvre au domaine de l'essence"[71].
Ce qui permet de conférer à cette introspection, une dimension éidétique.
Ainsi, "la conscience se laisse prendre par le sens, des vécus
apparaissent dont l'introspection éidétique rend compte dans la pureté de leur
essence"3.
Sans doute
est-il question ici d'animer cette forme introspective de "la résolution
de faire apparaître le monde tel qu'il est avant tout retour sur nous-mêmes,
... (et de) l'ambition d'égaler la réflexion à la vie irréfléchie de la
conscience"[72].
II - PRATIQUE DE L'ARCHITECTE
1 - L'OBSERVATION
- Ce qui fonde tout engagement dans un travail de
conception en architecture est sans doute : l'observation. En effet,
l'architecte, pour qui tout projet "nouveau" est une véritable
découverte, prendra soin de "faire connaissance" avec le site, son
contexte. "J'attache beaucoup d'importance au lieu, au contexte, la
réalité est excessivement importante"[73].
Cet architecte expose cette idée jusqu'à son paradoxe, se référant à un
concours sur Deauville : "Deauville, je trouvais cela factice, "toc
!" ... "Merlin-Plage", ... sans caractère ... Mais, c'était
aussi son caractère de ne pas en avoir"[74].
Ainsi ajoute-t-il : "je vais me rendre compte physiquement"[75]
et "tout cela participe de l'accumulation de références et de
l'accumulation, je dirais, de mémoire visuelle ... qui est le terreau dans
lequel je vais puiser"[76].
Ensuite, il entreprendra de rencontrer longuement le client ou les futurs
usagers et de lire attentivement le "programme", définissant dans le
détail "l'objet" à construire. Voici le regard que porte l'un des
architectes qui semble assez bien témoigner d'un avis commun : "C'est
juste une prise de connaissance des besoins, des contraintes ; en général,
c'est quand même un "pavé", je retire les deux tiers parce que c'est
inintéressant et dans le tiers restant, je repère très vite par un schéma, une
image globale, les proportions, les besoins"[77].
Ces
prises de contact à des niveaux divers : géographiques, humains,
psychologiques, intellectuels, ne s'ordonneront pas nécessairement selon des
règles d'usage mais plutôt selon les circonstances et la nature de la commande.
Ainsi, un projet proposé sur concours d'architecture s'abordera plus
fréquemment par l'analyse du programme et la visite du site sans rencontre
préalable avec le Maître d'Ouvrage. En revanche, une commande privée associera
dès les premiers temps l'architecte et le client qui, après s'être rendu sur le
terrain, définiront ensemble le programme. Dans tous les cas, l'architecte fait
face au rapport de l'homme à son environnement. De la visite du site, "il
reste la sensation physique"[78].
Nous nous trouvons en amont de ce que Jean Charles Lebahar nomme dans Le dessin d'architecte, "la
situation de résolution de problème"[79].
En
effet, ici est à l'oeuvre et nous allons l'illustrer, une combinaison dynamique
entre subjectivité et objectivité.
A
ce titre, nous pouvons dire que le programme tend à définir de manière
"objective" le contenu du projet. Certains s'appliqueront à en faire
une "lecture"[80]
attentive. "Le programme est très déterminant"[81].
En effet, "un programme, c'est rigoureux, c'est la manière dont on classe
les choses"[82] et
néanmoins il existe cette conscience qui indique que "si on s'arrête
strictement à l'analyse du programme, ... cela ne marche pas"[83].
Pour cette raison, d'autres y capteront "quelques phrases qui nous sautent
à la figure" et surtout "des dizaines et des dizaines de pages
inutiles sur la manière de..."[84].En
effet, dans le programme perçu parfois comme assez incompréhensible avec ses
données normées, techniques, les choses dites et celles non dites, non des
moindres, l'architecte tente d'accumuler des informations : "Saisir une
atmosphère, une mentalité, essayez de comprendre ce qui est, un non-dit qui
n'est pas du tout exprimé dans le programme". Finalement, tout un travail
qui consiste à "décortiquer, être très en éveil, emmagasiner un maximum
d'informations pour en faire une synthèse"[85].
Il reste que chaque architecte en interprétera le contenu avec ses références
propres et son imaginaire, cette matière prendra alors une dimension toute
subjective.
"Le
site, le terrain sur lequel on va travailler, ce qui est déterminant quand
même"[86] va être
parcouru, regardé, photographié, intégré par l'architecte, afin que celui-ci se
laisse pénétrer par les sensations qui l'habitent sur le lieu, "lieu dont
il émane toujours quelque chose"[87]:
"En général, je cherche ce qui peut être la particularité d'un endroit,
d'une situation et il y a pratiquement toujours quelque chose : il fait beau,
des orientations, des vues, un contexte, qui peut être météorologique,
topographique, topologique, historique"[88].
En fait, "j'essaie de comprendre l'endroit, quelqu'il soit : naturel, pas
naturel, physique, urbain"[89].
"Je suis assez curieux... j'aime bien voir de manière très très diverse,
accumuler des informations qui au bout d'un moment se structure et prennent
leur sens... forment une sorte de background"[90].
Et parallèlement, des plans aux côtes altimétriques précises permettront de
tracer objectivement des profils et de projeter une intégration réaliste.
Concernant
la communication avec la maîtrise d'ouvrage (client), nous distinguerons deux
types de relation.
Le
projet proposé sur concours ne créera pas obligatoirement une rencontre entre
l'élu local (qui n'est pas souvent l'usager futur) ou le P.D.G. d'une
entreprise et l'architecte ; dans ce cas, les interrogations sont multiples:
"Qui est le Maître d'Ouvrage ? Comment est composé le jury ? Quels sont
les hommes politiques qui sont derrière ? Est-ce qu'ils vont entendre un
discours sensible ou alors, est-ce que finalement, ils veulent simplement un
prix... et puis bon... des bons résultats techniques... Est-ce qu'ils ont une
bonne culture architecturale ou pas...?".[91]
En
revanche, entre des particuliers et un architecte, la relation est qualifiée de
"tout à fait privilégiée" et de "fondamentale" : "Je
me "nourris", ... de ce qui les anime, de ce qu'ils ne disent pas
quelquefois... de ce que je pressens... en prenant soin de les respecter, de ne
pas induire des choses, malgré eux... mais de décrypter... peut-être les choses
qui sont plus signifiantes"[92].
Une reformulation des propos vient s'assurer d'une parfaite
"résonance" entre eux. Notes, croquis, "bons mots",
sensations et organigrammes viennent témoigner de l'échange et "clarifier
la pensée". Les prises de notes se révèlent être un "ancrage".
Tour
à tour, nous observons la description de "l'objet" à construire dans
ce qu'il est convenu d'appeler "le programme", définissant le
contexte géographique, topographique, urbain selon le cas. Et parallèlement,
nous rencontrons une population ou quelques individus qui sont destinés à
investir les lieux conçus.
-De
ces observations multiples, se constitue un stockage d'informations :
"Il y a tout qui vient se bousculer dans la tête"[93]
et vient s'associer à un champ référentiel pluridisciplinaire : "Une
espèce de grand ordinateur dans lequel on stocke presque tous les éléments dont
on a besoin pour "faire la cuisine"3. Et parallèlement,
l'architecte se ressent habité" de sensations informelles"[94].
Nous
sommes au prise avec ce qui constitue la "matière première" : une
multiplicité d'informations disparates,
. cohérentes ou incohérentes,
. compatibles ou
incompatibles,
. rationnelles ou
irrationnelles,
. simples ou complexes.
C'est
une quête. Pour certains, il s'agit d'appréhender spatialement dans la
globalité, en n'ignorant pas que c'est un leurre. "J'ai besoin de résumer
sur une seule page, que je puisse voir globalement tous les besoins, les
surfaces, comprendre les relations..."[95].
"Encore une fois, c'est prendre toutes les informations et puis chercher à
les étaler sur une seule page, pour visuellement prendre tout d'un seul coup,
comme cela"[96]. Pour
d'autres, c'est encore le temps d'engranger : "On se nourrit de tous les
substrats que l'on a : un substrat personnel, culturel, un substrat varié qui
s'accumule ; on se nourrit de tout cela
pour en faire quelque chose"[97]
Ces
deux récits témoignent de deux natures de projet de sens. Dans le premier cas,
le travail ne pourra s'amorcer qu'après avoir réuni tous les éléments. Afin de
traiter cette information, l'individu aura recours à la dimension spatiale qui
lui permettra d'appréhender le problème posé dans la globalité.
En revanche, dans le deuxième cas, il s'agira
d'étudier tout à tour chacun des éléments, de vérifier de façon successive la
faisabilité et la concordance des différentes préoccupations et de progresser
ainsi linéairement en s'inscrivant dans la temporalité.
Enfin,
l'architecte fait face à un écheveau dont il va falloir extraire quelques fils,
pour tisser de manière poétique, dans la cohérence..., un projet qui "est
un arbitrage car il s'agit de faire coexister diverses pertinences"[98].
Mais ceci est prématuré.
Pour
l'instant l'architecte est au prise avec de l'informel, des sensations variées,
des aspirations, des contraintes, des références culturelles,un ensemble de
données éparses de deux natures : celles inhérentes au projet lui-même et
celles accumulées sans finalité immédiate dans son métier et dans sa vie.
Ce
qui fait dire à cet architecte : "Moi, je n'arrive pas à dissocier les
choses. Je crois que l'architecture, on en fait tout le temps"[99];
et celui-ci ajoute : "c'est très intéressant de faire de l'architecture,
mais c'est très, très intéressant de vivre une vie d'architecte... parce
qu'inconsciemment tout vous intrigue et tout vous fascine"[100]..
Nous réalisons dès lors le projet de sens implicite à l'oeuvre, vécu au
quotidien par les architectes, qui anime leur regard sur le monde.
En
définissant le projet de sens, nous avons distingué le projet de sens implicite
du projet de sens explicite. Ces témoignages relatent l'intégration des
habitudes de sens qui permettent de traiter l'information plus rapidement, de
voir se créer des associations ou d'enregistrer des contradictions et enfin de
structurer les données implicites et explicites. Les enseignés ne possèdent pas
d'habitudes de sens et l'un des enjeux du pédagogue est sans doute de les aider
à se constituer des outils nécessaires à leur élaboration. Ces habitudes de
sens sont autant de pierres posées, familières, repérées qui accompagnent la
traversée à pieds secs, des zones marécageuses de l'inconnu pour mieux rebondir
vers la découverte.
Dans
le témoignage précédent, l’architecte évoque à la fois, le métier et la vie qui
façonnent un terrain quotidien, fertile et supposent un éveil permanent.
"Tout doit vous intéresser", cela pourra vous "resservir pour
plus tard, on ne se dit pas cela mais c'est exactement ce qui se passe"[101].
Ici, apprentissage du métier et expériences de la vie constituent une base de
données culturelle et sensible en perpétuelle mouvance, engendrant harmonies,
contraires, analogies, antinomies, ... un creuset complexe et dynamique, lieu
de rencontre des perceptions et des évocations. Ici, fermentent les souvenirs
affectifs ; là s'engrange une culture historique, philosophique, picturale,
architecturale, scientifique. Certains d’entre eux ont choisi de voyager :
"J'aime pas mal bouger, voyager, aller voir les choses, c'est-à-dire je
suis très curieux, je vais voir les choses ... j'ai douze ou quinze mille
photos d'architecture"[102].
A leurs côtés, vieillissent les acquis des expériences passées, rafraîchis par
l'air nouveau d'une réalisation contemporaine inédite.
Les
données inhérentes au projet architectural, devront être inscrites dans le
projet de sens. Pour ce faire, l'architecte se fera "miroir" de
l'usager : "d'une certaine manière, je vais les faire miennes, ...
c'est-à-dire que je vais réussir à les intégrer... parce qu'elles ne
m'appartiennent pas et en même temps, il faut qu'elles vivent à travers moi
pour que je puisse, ... pour que... pour qu'à un moment donné, à la fois ma
main et mon esprit, se mettent au service de désirs qui ne m'appartiennent
pas"[103]. Cette
intégration complexe s'appuiera pour certains
sur une prise de notes minutieuse qui permettra de "capturer"
en quelque sorte les "matériaux", ainsi que des schémas spatiaux qui
inscrivent en mémoire les fonctionnements. Parallèlement, d'autres se parleront
avec photographies en support : " Je parle, je montre et je parle des
choses que j'ai vues, que je resitue et que je remets dans un contexte"[104].
Ainsi,, "en décrivant, on revit d'une certaine manière et effectivement,
on est dedans"[105].
L'ensemble constituera un support perceptif et évocatif, témoin visuel de cet
échange de données.
Arrêtons
nous sur ces deux façons d'appréhender les éléments du projet. C'est au moment
où l'architecte traite l'information que le projet de sens prend sens. Les
récits précédents exposent la phase d'intégration nécessaire pour que le projet
prenne vie.
Dans
le premier cas, schémas, photos, plans, enfin tous les éléments graphiques,
prises de notes, sont autant d'images visuelles sur lesquelles l'architecte
s'appuiera pour étayer ses commentaires. Ainsi, il élaborera une évocation
verbale sur fond de perceptions visuelles.
En
revanche, dans le second cas, l'architecte se parlera, développera des images
verbales, alimentera ses perceptions en mots afin de nourrir l'évocation
visuelle qu'il visionne mentalement.
Dans
les deux cas, deux processus simultanés se conjuguent : l'introjection de
réalités diverses et la mise à distance de cet amoncellement de matière. Dans
cette dynamique alternance , le développement analogique se régule.
-
Nous assistons à la rencontre de "perceptions" et d'évocations
présentes sur un problème donné et d'évocations qui renvoient à des perceptions
passées, des souvenirs de perceptions. "De toute cette
potentialité...", de "ce magma" on arrive à extraire des
relations complètement atypiques, inédites... le fait du "hasard",
les choses se confrontent comme cela ou se rencontrent "[106].
De ces rencontres, issues de cet enchevêtrement, émergent des images visuelles,
auditives, verbales et parfois même mixtes. "Cela revient, cela revient
alors, là... comment ? Pourquoi ? Voyez ..."[107].
"Quelquefois... il y a un mot qui surgit... je n'écarte rien, j'accueille,
j'enregistre ce qui vient"[108].
Il s'agit sans doute de laisser monter une réminiscence, cela peut-être un mot,
mais aussi un mouvement, un geste, une image ou un parfum qui lui-même entrera
en résonance avec un souvenir lointain ; celui-ci surgira des profondeurs,
parfois masqué, et empruntera une forme "symbolique" évocatrice qui
se fera l'écho de sa survivance. Nous sommes tout entier plongés dans un
univers de sensations : les mots même fabriquent des images mentales qui
réactivent à leur tour le processus évocatif.
Dans
un premier temps, évocations, perceptions, sensations, ensemble se côtoient et
s'accompagnent sans forme apparente ; le recours à l’expression orale permet sans doute d'engager une
objectivation, d'amorcer un raisonnement quoique les mots ne soient encore
fugitifs à cet instant : "Quand je parle, si vous voulez, c'est pour
éliminer... c'est pour éliminer"[109].
Nous sommes sur le seuil de l'imaginaire, "qui va permettre de réunir des
choses que la conscience ne réunirait pas ou la pensée rationnelle ne
rapprocherait pas... simplement par un petit détail..."[110].
-
Et ainsi, vont s'opérer ces mécanismes, vont se succéder ces opérations
complexes jusqu'à discerner une ébauche d'analyse qui permettra de distinguer
un processus :
. Nous voyons ceci...
. Nous nous parlons ainsi...
. Nous percevons cela...
. Cela nous évoque...
. Cela nous renvoie à d'autres
perceptions antérieures, ...
. Et ainsi de suite, des
allers et retours sans nombre vont venir nourrir ce travail et introduire une
profondeur dans l'expression future. Cette lente intégration, apparemment
"fastidieuse" peut être vécue comme un "jeu" de correspondances,
apportant de nouveaux éclairages et transmettant une compréhension accentuée du
contexte. Antoine de La Garanderie le souligne : "Les évocations
vagabondes... s'expliquent par des sollicitations instinctuelles, des tendances
affectives, des mécanismes associatifs"[111].
De
sorte que c'est assez étrange... pour travailler sur l'espace, j'essaie avant
tout de comprendre les êtres pour lesquels je travaille"[112].
Cette communication extérieure s'accompagne d'une communication
"interne" une saisie de l'observation extérieure par commentaires
intérieurs qui permettent d'analyser, de réfléchir, de sélectionner, d'écarter,
de conserver, de traiter en quelque sorte ces informations afin d'extraire
enfin, la matière "brute", "propice à l'élaboration du projet et
d'accueillir ce que Pasteur énonçait avec tant de clarté : "les hasards
heureux n'arrivent qu'aux esprits préparés[113].
"A
la limite du déchirement, il ne reste plus rien que les conditions de temps ou
de l'espace. Mais ces conditions - les conditions de la perception - sont le
fondement de tout"[114].
2
- L'ELABORATION
Nous
voici au seuil de l'élaboration. Après un temps d'intégration, de
"digestion", va émerger de ce "fouillis" : subtile,
percutante, vivace, une "vision" qui vient relier certains éléments
et en placer d'autres en opposition. "On peut appeler cela : intuition...
quelque chose qui intervient... en fait, il y a une série de déclencheurs non
assimilés ou non analysés qui sont là"[115].
Cette
vision va permettre un certain ordonnancement qui ne résultera pas d'un choix
conscientisé, mais de l'harmonisation de la matière première autour de ce fil
conducteur, qui peut paraître, de prime abord, un peu aléatoire. Nous avons
choisi d'illustrer ce "processus" par le témoignage d'un architecte
relatant la conception d'une tour de contrôle implantée à Deauville.
"Comment
c'est venu ? C'était assez vite. J'ai eu une image qui était plutôt sur
l'élément principal qu'est la tour de contrôle. C'est particulier parce que là,
c'est plutôt un travail d'objet et c'est assez rare"[116].
"Donc, j'ai eu une image assez vite qui correspondait à Deauville..., je
voulais un objet un peu "chic", un peu mystérieux, assez unitaire et
au début, j'ai pensé au talon aiguille d'une chaussure"[117]...
Deauville "je voulais quelque chose d'élancé, comme cela, plus un élément
vertical, je voulais une base minimale... j'ai pensé, alors là, d'où elle est
venue, je ne sais pas, je suis sûr d'avoir pensé à un talon aiguille. Après, je
l'ai un peu rationalisé et donc c'est resté sur le rapport à Deauville et à une
femme"[118]...
"C'était un objet très fuselé, en fait, un peu comme une fusée avec un
grand chapeau et je voyais un chapeau de courses. C'était un rapport à
Deauville, champ de courses, etc... J'ai gardé un peu le projet avec cela
pendant un moment puis non, fonctionnellement cela ne marchait pas"[119].
"Le chapeau cachait les avions en haut. Alors, à mon corps défendant...
j'étais très triste de laisser tomber le chapeau, parce que je voyais un vrai
chapeau, je voyais un "truc" très ombré avec une petite voilette,
donc j'ai laissé tomber ce "machin"[120].
"Après c'était plus le chapeau, mais il y avait l'idée d'un objet... d'une
torche, assez mystérieux, un peu sans échelle qui avait une autonomie, un peu
scintillant avec de la lumière... J'ai perdu le chapeau mais on retrouve le
talon aiguille"[121].
Evoquant
la même phase du travail, voici un autre témoignage qui évoque une toute autre
démarche :
"Je
ne crois pas que l'on ait un projet fait dans la tête, que l'on peut transcrire
tout de suite"[122].
"Mon sentiment, c'est d'avoir une grande part d'analyse au moment du
programme; le programme, c'est quoi? un langage verbal... nous on a une
transcription à faire; c'est pas simple"[123].
-
"On met en mouvement un nombre de paramètres considérables"[124]
: Dès lors, s'engage tout un travail de mise à distance des perceptions.
L'objectif en architecture, c'est notamment de dépasser les différences ; aussi
la nécessité d'un recul se fait pressant dans cet enchevêtrement. "Je
refuse... avec toute la force et l'énergie dont je suis capable, de m'enfermer
dans une forme dès les premiers instants"[125].
Il reste néanmoins que "l'enjeu", c'est quand même de créer une
entité"[126].
Une
entité, voici une notion complexe qui mérite quelques éclairages. L’un des
architectes faisait référence à un précis qualifié par lui de "petit
manuel du designer très
"éducation nationale"" où l'auteur expliquait très naïvement la
méthode qui permet d'obtenir un "tout". Voici comment le relatait cet
architecte : "Je découpe en tranches de jambon ; une tranche de culturel,
une tranche de symbolique, de sémiologie, d'ergonomie, d'informatique, ... et
une fois que j'ai découpé le jambon en tranches, j'ai le jambon... en fait, je
n'ai pas le jambon"[127].
En réalité, il s'empressait d'ajouter "la liaison de l'idée, ce n'est pas
la somme de tout cela. On a besoin de tout cela et il y a un va et vient... et
on a besoin d'autre chose ; d'avoir des références, d'analyser, de comprendre,
de démonter... je dirais analyser un peu le sens caché"[128].
Mais au-delà de tout cela "ce n'est pas cela qui fait l'objet ; de très
bons historiens de l'art sont incapables de produire quoi que ce soit".[129]
Au
travers de cette illustration, nous sentons cette double nécessité de préserver
une extrême liberté d'action en ménageant une ouverture aux perceptions, une
place à l'analyse et parallèlement de se dégager de celles-ci afin de se
"laisser toujours une latitude"[130].
Cette nécessité nous est confirmée par le récit qui suit : "Le stade de
l'analyse, c'est pour moi l'analyse intellectuelle, c'est le stade du document
du programme, c'est cartésien... pour essayer d'embrasser le tout. Autant après
sur le terrain, c'est sensible, c'est évident et la réaction que je vais avoir
après, c'est une analyse sensible... je dirais, ce n'est pas une
réflexion"[131].
Nous
le voyons, les frontières sont épaisses et rassemblent de multiples attitudes,
sentiments et mouvements de pensée. Cependant, dans tous les cas, cette
distanciation va permettre de réaliser des "essais mentaux".
-
Que constituent ces "essais mentaux" ? Il importe de souligner qu'ils
se vivent à différents niveaux : lors de la mémorisation, de la compréhension,
mais aussi de la réflexion et semble procéder de tentatives d'assemblages,
résulter de la confrontation d'images de nature variée : visuelles, verbales,
auditives ou mixtes : "Qu'est-ce qui fait que... tel objet peut
s'assembler avec tel autre objet, mais aussi... Qu'est-ce qui fait que tel ou
tel objet soit totalement incompatible avec le propos ?"[132].
Ici, se révèle surtout un "fonctionnement par inadéquation" qui
permet d'éliminer ou d'écarter "toute tentative de..."[133].
C'est tout un travail discursif : "Ce que je vais ajouter là, cela ne
marche pas avec cette idée là" et aussi "mais non, si je mets cela,
ce n'est pas compatible avec..."[134].
De
ce discours, qu'entretient l'architecte avec lui-même, les évocations vont se
démultiplier et se décliner sur le mode interrogatif. "Vous commencez par
les assembler par bouts"[135],
ce qui engendre alors un foisonnement de questions, de doutes : "Comment
on va faire ?" - "Qu'est-ce que je vais voir de tel endroit ?" -
"Est-ce que c'est la bonne échelle ?" - "Est-ce que c'est cela ?
" - "Pourquoi pas ?" - "Comment traiter ? Avec quel
matériau ? " Et ainsi de suite. "Qu'est-ce que ça coûte ?"[136].
C'est une sorte d'auto-évaluation avec une consigne impérative "laissons
émerger... tout ce qui vient"[137].
Il s'agit de tout un travail "ne pas vouloir figer les choses, comme cela
en amont derrière une idée qui serait préconçue, justement : pré-conçue"[138].
Une idée toute faite, souvent qualifiée de "gratuite" et qui n'aurait
pas fait ses preuves devant les contraintes diverses. "A un moment, il y a
une chose qui paraissait anodine... puis après, à la réflexion, on passe à
autre chose, il se passe du temps et puis il y a des critères de jugement ou de
choix qui varient dans le temps"[139].
Il
nous semble important de préciser que parallèlement à cette approche
discursive, d'autres architectes se laisseront conduire vers l'évocation
visuelle en assemblant les images à mesure que l'une d'entre elles complète ou
supplante l'autre. En effet, pour certains d'entre eux, la main laisse la trace
innocente de son désir, superposée à l'inscription précédente.
La
"transparence relative" du calque permet de conserver visuellement la
mémoire ou la présence du geste. Parallèlement, les superpositions successives
confèrent une opacité qui estompe ou efface ce qui désormais n'anime plus la
main. Tracer des lignes pour le plaisir, sans exiger de tout geste des
explications rationnelles alourdissantes, tel le moine au monastère du Daisen-In ou du Ryoan-Ji à Kyoto qui "inscrit sur la surface de sable un vaste
jeu d'ondes qui s'interpénètrent, unissant la mer aux vibrations du soleil
levant, magnifiant le geste du premier homme ou de l'enfant face à sa feuille
de papier"[140].
Ainsi,
"on finit pas travailler comme un sculpteur, c'est-à-dire, on enlève ou on
ajoute"[141]. "La
statue est contenue dans ce bloc de pierres" ; le sculpteur taille,
"il la découvre". "C'est à peu près la même chose parce que si
vous voulez, le projet est immanent au lieu... Il est immanent... Oui, il est
contenu"[142]. Et
l'architecte le sait ; il n'aura de cesse de le découvrir en rentrant avec
acharnement dans cette dynamique.
"La
pensée de l'architecte est itérative et fonctionnerait en spirale, c'est-à-dire
au fur et à mesure... Vous pourriez rajouter ou enlever des choses. C'est un
mouvement... Un phénomène rémanent parfois, qui , bien qu'on arrête la cause,
les faits continuent. Ils vous entraînent plus loin"[143].
Dans tous les cas, "j'essaie de qualifier l'espace et de retenir ce qui
m'intéresse ou la contrainte qui m'est imposée"[144].
La prudence de cet architecte lui fera ajouter : "Je crois qu'il ne faut
pas être trop rapide à dessiner, cela c'est très vrai..."[145]. Et toujours dans un souci de qualité accrue:
"Ce qui manque c'est vraiment le regard d'architecture: c'est donner un
esprit à la vie en fait, ... un esprit à la vie du projet"[146].
Ceci va être nourri par les faits certes, mais aussi les effets que
l'imagination à l'oeuvre imprime, révèle en trois dimensions avec matière,
lumière et couleurs.
"C'est
autant la conscience du point de vue que la possibilité de le faire varier qui
confère à la figuration architecturale, sa virtualité"[147].
C'est
avec cette conscience que l'architecte amorce ce que Teilhard de Chardin
nomme : "Le tâtonnement, où se combinent si curieusement la fontaine
aveugle des grands nombres et l'orientation précise d'un but poursuivi. Le
tâtonnement qui n'est pas seulement le hasard, avec qui on a voulu le confondre,
mais un hasard dirigé"[148].
Enrichir la problématique est l'une des priorités. "Les questions sont
très importantes"[149].
"Au début, je crois qu'il ne faut pas être pressé"[150].
Peut-être s'agit-il de s'autoriser à flâner dans cet univers nouveau.
Nous
mesurons le savoir-faire et la créativité mobilisés au service de cette
recherche qui conduit au seuil de la représentation imprécise et lumineuse,
issue des brumes du songe et très élaborée et nous le constatons la projection
mentale suppose de multiples abstractions. A ce stade, la réalité spatiale
s'efface devant les projections du "dessein". Jean-Pierre Boutinet
dans son ouvrage Anthropologie du projet
effectue un rapprochement par l'étymologie entre dessin et dessein. "Ce
dernier dérive de l'italien designe,
lui-même issu de disegnare ; au XVIe
siècle, desing et pourject avaient des sens très proches
d'image jetée en avant"[151].
Revenons au récit de la conception de cette tour de contrôle à Deauville.
"Dans l'évolution, il y avait le croquis d'origine (le talon aiguille
coiffé d'un chapeau). J'avais beaucoup de peine à l'enlever. Je trouvais que
c'était plus chic. Cela me faisait toujours penser à ... une demoiselle sur les
planches de Deauville. Le lieu n'avait pas d'intérêt. Alors j'essayais de
prendre ce que j'imaginais de Deauville et de l'amener dans ce lieu là"[152].
Autrement dit, cet architecte projetait devant lui l'objet en vue de construire
son projet.
-
Pour permettre d'extérioriser cet élan, l'architecte devra constituer une somme
d'hypothèses, issues de ces allers et retours incessants entre images mentales
visuelles et commentaires intérieurs. Il lui faudra "construire dans sa
tête avant que dans le monde, construire consciemment : acte premier, acte
pionnier de l'architecte"[153].
Ces hypothèses seront évaluées au moyen d'organigrammes épurés et vifs,
"d'images globales... à peine lisibles... juste ébauchées"[154],
de croquis saisissant dans l'instant des cheminements, des obstacles ou des
associations incontournables. Ce travail permettra sans doute d'enregistrer la
complexité , de la "mettre à plat" et de canaliser l'ensemble vers un
objectif : la recherche d'une "même résonance". Ensuite, se laisser
conduire, "être accroché à un fil conducteur qui est si fort qu'il vous
interdit"[155]
d'introduire des éléments incohérents ou dissonants. La prégnance de ces
schémas induira une mémorisation et une conduite singulière dans la recherche,
conduite qui répondra spécifiquement à ce projet. Le processus recouvre une
dimension rationnelle indéniable permettant de faire face aux contraintes, de
structurer la réflexion et surtout de la spatialiser, soit de façon évocative,
soit de façon perceptive. Cette approche un peu "technique" n’exclut
pas toujours la nature "poétique" et "sensible", de ces
expressions. Ces tracés vont permettre d'objectiver cette complexité
contraignante et avec l'appui de l'imaginaire, d'autoriser la pensée à
vagabonder, à s'affranchir de ces "contraintes énormes" car "à
un moment donné, on n'a tellement pas de liberté, c'est extraordinaire"[156]
par rapport aux règles générales et de tenter de "les dépasser pour en
faire quelque chose d'intéressant"[157].
Avec
l'appui du silence, d'un espace-temps "suspendu" tel le soupir sur
une portée musicale, "on va réintroduire... toute la dimension évocatrice,
... laisser venir les images" et se laisser conduire vers cette idée qui
est dans l'air. Dès lors l'imagination s'emploie à révéler cette potentialité,
non encore éclose et néanmoins contenue dans le réel : dépasser le
"donné", afin de permettre l'apparition de l'"indonné".
Les
"poussées de l'imagination qui produisent des images... sont souvent au
départ très très incomplètes mais... relient un, deux, trois... éléments et
puis... d'autres images qui relient trois ou quatre éléments"... "Les
choses se composent... ça me fait presque penser aux images de la cellule qui
se reproduit"[158],
jusqu'à constituer une entité. Ce processus mental et graphique, se poursuit
jusqu'à acquérir la structure et la résistance de la toile d'araignée.
"Certaines images en génèrent d'autres qui permettent toujours le lien
plus fort"[159],
c'est sans doute, cette force dont l'architecte cherche à s'assurer avant
d'affronter la page blanche. Tous ces croquis, ces bouts d'essais, de regards
ou de compréhensions ne sont que des tentatives qui ne prétendent pas
"embrasser" l'ensemble de la réalité du projet et de sa complexité.
Seul le geste libéré, poursuivant sa trajectoire sans entrave esquissera le
projet à travers néanmoins un certain nombre de traces.
-
L'analyse et la réflexion laisse donc place au geste d'esquisse qui aura pour
ambition souvent inavouée de permettre une réconciliation de l'ensemble des
paramètres dans une seule et même vision harmonieuse.
En effet, "si je reste dans les bouts, je fais
du collage, je ne fais pas de l'architecture, je ne constitue pas des
totalités". Et "si je veux que cela ait un sens"[160],
il nous faut concevoir l'objet architectural dans une vision réconciliée.
Mais
cette phrase requiert précisément "une forme d'humilité : "laisser
advenir". "Je n'ai pas du tout envie de tout maîtriser parce que je
crois qu'il y a plein de choses qui sont beaucoup plus riches que celles qui
arrivent à la conscience... tout ce dont on n'a pas conscience qui s'insinue et
qui vient nourrir, enrichir et qui nous fait... relier les choses... que l'on
n'aurait pas relier consciemment.. qui produisent des choses vraiment... qui me
surprennent moi-même"[161].
En effet, "parfois on voit l'origine et parfois on ne la voit pas"[162].
Nous
nous trouvons sans doute "dans une perspective de dévoilement" - de
laisser être"[163],
ce serait un peu l'éthique de Heiddeger qui écrit dans son ouvrage Lettre sur l'humanisme : "Peut-être
alors le langage exige-t-il beaucoup moins l'expression précipitée qu'un juste
silence"[164]. Il ajoute
: "Ainsi le langage sera le langage de l'être, comme les nuages sont les
nuages du ciel"[165]....
Le
regard perdu dans le ciel, la pensée s'abandonne et l'imagination prend son
envol.
Ce
processus trouve sa pleine dimension énoncée par Gaston Bachelard dans La psychanalyse du feu : "Parfois
des images vraiment diverses, qu'on croyait hostiles, hétéroclites,
dissolvantes, viennent se fondre en une image adorable"... "Telle est
l'action décisive de l'imagination : d'un monstre, elle fait un
nouveau-né"[166].
Ici,
il s'agit d'une disposition d'esprit. Laissons nous conduire vers cette
découverte au travers du témoignage qui suit.
3
- LA
REALISATION DE L'ESQUISSE
"Je
me lance dans l'esquisse quand... j'en ai envie... je ne sais pas exactement
comment cela part, quelquefois, c'est une envie de couleurs. Donc, je prends
mon grand bocal, avec tous mes crayons de couleurs". "Je prends une
pile de "calque pelure" là, du calque très fin... j'ai tout ce qu'il
me faut autour, des rotring, de
l'encre... des feutres à alcool... des matières avec lesquelles j'aime bien
travailler et puis je démarre" et je "laisse émerger... tout ce qui
vient"[167].
Franchissant
le seuil douloureux de la page blanche, cette projection si puissante,
s'inscrit par quelques traits avec légèreté ou densité, pour devenir
"image"."Lorsque je sens le projet arriver, de toutes les
façons, je vois que cela marche. S'il est bien, s'il est solide, souvent un
projet arrive très, très vite... C'est une installation, une composition, une
force"[168]. Cette
image tout à fait particulière, Frédérique Poussin la qualifie de
"lacunaire". En effet, si elle représente une intention, elle n'est
en revanche qu'une allusion. Elle n'est en aucune manière descriptive, mais
posée telle une empreinte, témoin d'un instant fertile. Ici, elle est encore chargée
de "mystère".
"Dans
l'espace de la figuration, la conception se jouerait dans une concomitance
d'inscription intentionnelle et de lecture interprétative"[169].
Quatre
processus simultanés permettent l'éclosion de cette image. Ils s'avèrent tous
nécessaires, voire indispensables et sont difficilement dissociables dans
l'espace du geste. "C'est le dessin qui fait réagir, qui appelle un
commentaire verbal et puis un autre dessin"[170].
Dans ces procédures successives, nous distinguons en effet, une action de
l'imaginaire, un contrôle constant de faisabilité, une nécessaire attitude
d'accueil, d'ouverture à... et une capacité à libérer la main afin qu'elle
s'exprime. Un architecte l'énonce clairement "Ce n'est pas le trait qui
est important en soi. C'est qu'il va être le déclencheur"[171].
En
définitif, ce que l'architecte "recherche quand même à travers l'esquisse,
c'est vraiment une quête d'harmonie, une quête du beau... cela c'est vraiment
fondamental. C'est l'essentiel"[172].
En parallèle, nous pressentons une quête du sens analogue à celle de l'artiste
qu'André Comte Sponville présente comme "celui qui sent en lui... un
surcroît ou un défaut de sens par rapport à ce qu'on peut appeler le sens
commun". Il "constate, dans l'univers spirituel de son temps, une
déperdition ou un excès de sens par rapport à ce qu'il sent en lui ou dans le
monde. Créer vise alors à rétablir l'équilibre du sens"[173].
Un autre architecte constate qu'il est "difficile de suivre l'itinéraire
d'un projet..."[174].
Néanmoins dès l'origine, "on sent l'évolution du projet, un petit croquis,
on voit dès le premier, des intentions qui ne sont pas du tout formalisées, il
y a un début de formalisation : on voit qu'il y a quatre grandes choses
importantes : un soleil, une orientation, un bâtiment fait en deux morceaux, un
rapport au jardin... on les voit qui se développent. Cela fait des variations
et dans l'itinéraire, l'idée, on la voit cheminer"[175].
Le sens émerge, se voile et s'expanse tout à tour pour venir nourrir le projet.
-
A l'origine de ce processus, l'imagination créatrice apparaît. Gaston Bachelard
nous le rappelle : "La représentation est dominée par l'imagination"[176].
La production de l'esquisse va nécessiter de relier, "de faire des
possibles", "d'affiner les images"[177].
"En réalité, on ne voit que des fragments de totalité et la perception de
la totalité ne peut... résulter que de l'addition de quelques fragments"[178],
sous l'action décisive de l'imagination. Dans ce passage actif, "il faut
que je me fasse violence pour essayer de trouver l'essentiel. A un moment
donné, il faut dégager l'essentiel parce qu'évidemment l'analyse du tout est
trop complexe"[179].
"L'esprit qui imagine suit la voie inverse de celui qui observe"[180].
Ainsi, l'architecte multipliera les images et majorera la valeur de chacune
d'elles, jusqu'à produire cette "petite étincelle qui permet de
démarrer"[181].
"Souvent c'est assez rapide, assez synthétique et cela part de "pas
grand-chose"... Cela peut être une trace, une patte de mouche et derrière
la patte de mouche, en fait, c'est un support sur lequel on va projeter ses
propres images"[182].
Mircea Eliade nous éclaire quant à la fonction des images dans Images et Symboles : "Si
l'esprit utilise les Images pour saisir la réalité ultime des choses, c'est
justement parce que cette réalité se manifeste d'une manière contradictoire, et
par conséquent, ne saurait être exprimée par des concepts"[183].
En conséquence, les images produites nous renvoient à un questionnement qui
permet l'évaluation du travail produit. Le témoignage qui suit illustre les
deux attitudes contradictoires et nécessaires à la mise en mouvement de
l'imagination : "Au départ, je suis trop sage; quand je suis trop sage,
j'ai une réponse un peu maîtrisée, cartésienne, un peu analytique. J'analyse
trop, j'analyse trop les choses... Je n'ai pas de force, je n'ai pas trouvé la
colonne vertébrale du projet qui fait que les choses tiennent la route"[184].
Quelques temps auparavant, il déclarait : "Je crois que le pourquoi, on se
le pose après. Quand je suis dans le travail d'esquisse, de composition, je
crois que je n'analyse pas du tout le travail que je fais. Il faut digérer le
projet"[185]. Antoine
de La Garanderie définit le projet de l'imagination comme la capacité à
"se donner un maximum de chances de rencontrer l'imprévu du projet".
Mais il ajoute : "l'essentiel sera dans l'identification par un jugement
de cet imprévu : est-ce vrai ? Est-ce beau ? Est-ce utile ?..."[186].
Dans cette logique, l'architecte est donc amené à procéder à un contrôle de
faisabilité qui sera intimement imbriqué à l'effort d'imagination. "Le
travail d'esquisse..., je crois que pour moi, c'est le document qui va me faire
réagir"[187], qui
assurera au départ "une espèce de faisabilité globale mais pas du tout
dans le détail"[188],
et néanmoins en prise avec le réel : "Il ne faut quand même pas que je
m'envole et que je me dissocie d'une... forme de réalité"5, au
risque de se trouver dans une impasse ; en effet, "j'essaie d'avoir une
vision de synthèse immédiate et puis après cela me joue des tours parce que
j'essaie de faire rentrer des choses que je n'arrive pas à faire rentrer... Je
me joue "l'autruche" et puis il faut quand même revenir"[189].
Revenir sur ses pas et faire face au réel.
-
Nous nous situons alors dans ce lieu de "complémentarité conflictuelle
entre vérification et imagination"[190].
Edgar Morin dans Introduction à la pensée
complexe traite de cette progression au travers d'un antagonisme
complémentaire. "Les choses se composent"[191]
jusqu'à produire des images. Ce processus "engendre toujours comme cela
des images qui en génèrent d'autres qui permettent toujours le lien plus fort
et qui renforce... au bout d'un certain moment, c'est une sorte de toile
d'araignée, enfin, plus le projet est complexe et plus justement cela ressemble
à une toile d'araignée et en même temps, plus c'est clair et structuré"[192].
C'est à ce stade que l'on mesure si l'esquisse est suffisamment puissante
"pour supporter ce travail... "laminant" qui est beaucoup plus
rationnel et qui est capable de tout faire retomber"[193].
Il est question de normes, de mise en conformité avec les réglementations,
d'échelle, de fonctionnements, de mise au point des surfaces. Nous sommes alors
à mi-chemin entre nécessité et quête du "beau". "Ce qui est très
drôle, c'est que souvent un projet se décide en deux secondes, j'ai saisi très
vite... Après, je passe mon temps à mettre vraiment les choses en place, à les
analyser, à les améliorer"[194].C'est
en ce sens que l'architecte se trouve confronté à une obligation qui vient
s'opposer à ce qu'énonce Gaston Bachelard : "l'image d'imagination n'est
pas soumise à une vérification par la réalité"[195]
; à moins que l'esquisse ne constitue pas une image d'imagination. Il reste que
dans ce climat paradoxal, l'architecte cherche "une esquisse qui (le) fait
un peu "vibrer"[196]"
qui le conduise vers une réconciliation. "C'est le moment vraiment
privilégié où on va réintroduire... toute la dimension évocative, l'imaginaire,
laisser venir les images..."[197]
pour permettre en quelque sorte de s'affranchir des contraintes.
-
Pour faire face à la complexité et dépasser, dans une attitude d'ouverture
"l'alternative entre unité et différence", "vous commencez par
assembler par bouts ; là, cela vous fabrique de la forme, mais cette forme
lorsqu'elle commence à monter... elle appelle différents éléments ou elle
rejette différents éléments... Et plus elle monte, plus elle devient
autonome"[198]...
pour André Comte Sponville, "tout vient d'en-bas, tout vient du corps,
tout vient du désir"[199].
"L'expérience... montre que si on a pas cette ouverture, cette
disponibilité... si on fige les choses, comment peut-on accueillir justement...
cette évocation"... "C'est déjà refermer les choses"[200].
Au commencement, il y a "quelquefois un mot qui surgit" ou "une
atmosphère"... "Cela peut être aussi un mouvement ou "c'est un
geste", "Cela peut aussi être une image"[201].
Dans tous les cas, à ce moment, tout effort pour comprendre détruit l'objet
auquel nous nous étions attachés"[202].
Ainsi, le signale cet architecte "ce raisonnement, je l'ai tenu après
avoir fait le geste"[203].
Le processus à l'oeuvre est assimilable au travail du sculpteur. Il est
question de découverte, presque de dévoilement. "Le projet est immanent au
lieu... il est immanent... oui, il est contenu..."[204].
Ainsi,
dans son expression la plus courante, l'architecte emprunte le dessin comme
outil, souvent annoté de quelques mots évocateurs et se laisse conduire vers
cette "école de naïveté que Bachelard qualifie -en citant Shelley- de
"lieu du retentissement" poétique, lieu qui est réceptacle fécond
puisque l'image est semence et nous "fait créer ce que nous voyons"[205].
Pour
commencer, "je mets tous mes documents graphiques à jour, les courbes de
niveaux, s'il y a des bâtiments, je les positionne, je mêle les choses pour
essayer visuellement de prendre connaissance des rapports de proportions,
d'installations, commencer à voir schématiquement et graphiquement... Je crois
que c'est un plan sensible... Je "remets en place le flou", tout ce
que j'ai pu enregistrer sur le terrain, je mets les choses en place et là, je
commence à dessiner"[206].
Et
nous touchons alors, à cet instant, où créer révèle la nécessité de se
représenter et de matérialiser, d'accepter cette confrontation à la matière ;
comme en témoigne cet architecte : "Il faut la faire l'architecture, mais
avant même de la construire, il faut en donner l'image, ... et là... j'arrête
de me poser des questions"[207].
Il semble désormais, que l'architecte soit mis en demeure de matérialiser ses
choix et de prendre de la distance avec son discours intérieur pour
"produire" ou "transcrire", "une esquisse" qui ne
sera pas "une fin en soi" mais "un tremplin vers autre
chose", quelque chose de "suffisamment puissant", "dans la
couleur, dans la texture, dans les formes, dans la volumétrie"[208].
-
Dans cette confrontation à la matière, où "l'espace dont on croyait qu'il
est l'évidence même... rayonne autour de plans qui ne sont en nul lieu
assignables, "superposition de surfaces transparentes",
"mouvement flottant de plans de couleur qui se recouvrent, qui avancent ou
qui reculent"[209],
l'architecte est en quête d'un "objet" conçu à communiquer, mais
également en position de face à face avec le réel.
Un
réel fascinant, puisque dans cette recherche, il représente tous les possibles.
Henri Maldiney, en évoquant le moment proprement esthétique, dans Regard, Parole, Espace le qualifie ainsi
: "le réel, c'est ce qu'on n'attendait pas"[210].
Ici,
l'architecte en mouvement vers une production d'images, se trouve animé du
désir de "se laisser surprendre". Nous mesurons dès lors, ces
mouvances contradictoires et réciproques dont l'ambition commune vise à créer
une entité : "L'enjeu, enfin, en architecture, c'est... justement
d'arriver à dépasser" ces différences... "l'enjeu, c'est quand même
de créer une entité"[211].
Et
tant que "cela ne marche pas, j'aurai tendance à mettre du verbe peut-être
pour revenir à la réflexion quand je n'ai pas assez bien assimilé mon
programme, mes informations et mes contraintes... Je n'ai pas trouvé
l'essentiel"[212].
En revanche, "dès que j'ai trouvé l'esprit du projet, tout s'installe,
c'est merveilleux, c'est facile"[213].
Il
est probable que l'architecte investit dans ce processus, "toujours
engagé, ... toujours en mouvement"[214],
par ailleurs animé du désir d'exprimer, de communiquer et enfin, vibrant au
contact et à l'usage de la matière, se trouve réconcilié dans le geste libéré
où : mouvement, désir et matière incitent, se meuvent jusqu'à s'enflammer.
Geste,
sans lequel, l'ex-pression ne surgira pas. Pour Chaké Matossian, "la main
du dessinateur, comme celle de l'écrivain, satisfait les démangeaisons
irrésistibles"[215].
Le geste est en effet, le prolongement de la main et en quelque sorte le
témoignage de la vie de la main. Il ajoute que "le déplacement de la peau
et de l'ongle... s'effectue par l'intermédiaire de l'imagination, qui l'emporte
sur la conscience et la volonté"[216].
Désir,
Idée, Image, Geste...
"La
première esquisse est la réponse du tout"[217].
Nous
pouvons déceler que "le problème est celui de l'origine de l'oeuvre
d'art"[218], à
considérer que l'esquisse atteigne à cet idéal. Il reste cependant, que la
notion de complexité est évidente et que nous rejoignons Edgar Morin lorsqu'il
relie l'idée de complexité à "la reconnaissance d'un tête-à-tête final
avec l'indicible"[219].
Ainsi, cet architecte relate-t-il cette rencontre : "Je crois à une idée
qui arrive comme cela... un projet naît souvent de quelque chose qui est
essentiel, qui représente la colonne vertébrale mais qui n'est pas représenté
graphiquement"[220].
Quelque chose qui bruisse, qui anime, qui respire mais ne dit pas son nom.
Quelque chose qui néanmoins vous émeut.
-
Cet "Indicible",
Parfois
passé sous silence, suggéré ou inscrit en filigrane,
avec
pudeur, subtilité ou ténacité...
puisant
toujours à la source de la mémoire,
se
trahira sans doute par la diversité formelle des esquisses.
L'architecte
animé d'un constant mouvement de balancier entre des forces antinomiques et
complémentaires, se fera l'arbitre et l'artisan du lien à fonder entre les
désirs initiaux et les limites inhérentes à la faisabilité, l'appréhension
sensible et la dimension rationnelle, la figuration par l'image et la réalité
du terrain, enfin, son aspiration personnelle au "geste d'artiste" et
l'acte de construire pour autrui dans l'intérêt général.
Autant
d'intentions, de soifs et de contraintes qui engendreront des formes diverses.
"Le mode de représentation en architecture aujourd'hui... Pascale, ...
là-dessus on s'écarte un peu, elle court par moment vers une image très
contemporaine qui s'approche de... presque de l'abstraction... montrer la
totalité par un moyen de représentation qui est un moyen des fois complexe, où
les choses vont s'enchevêtrer et qui donne un tableau... Alors que moi, ...
j'utilise des moyens de représentation conventionnels, assez
conventionnels"[221].
"Quand vous êtes dans un dessin plus conventionnel, vous êtes dans le
possible".
Entre
codification et abstraction, convention et avant-garde, il semble que tout
architecte ait conscience que "nulle oeuvre ne s'achève absolument, chaque
création change, altère, éclaire, approfondit, exalte, recrée ou crée d'avance
toutes les autres, si les créations ne sont pas un acquis, ce n'est pas
seulement que comme toutes choses, elles passent, c'est aussi qu'elles ont
presque toute leur vie devant elles"[222].
Et c'est sans doute cette conscience qui préserve la dimension inénarrable de
l'esquisse.
III - PROCESSUS DE
FONCTIONNEMENT
Eu
égard à la prégnance de l'indicible, nous nous attacherons à étudier
minutieusement les témoignages, en ne dissimulant pas que "le propre du
visible est d'avoir une doublure d'invisible au sens strict qu'il rend présent
comme une certaine absence"[223].
Ainsi,
cheminant à travers ces récits, rapportant ce qui a permis l'élaboration de
l'esquisse, nous nous arrêterons tant sur la forme, que sur le fond - le
processus à l'oeuvre - et sur la singularité de ces architectes et de leur
fonctionnement à cette occasion. Nous pourrions circonscrire les préoccupations
de ceux-ci par l'observation de l'un d'eux : "on se dit comment on va
faire"[224] ;
rappelant tout à la fois, la réflexion omniprésente - (on se dit) - , les outils ou moyens à trouver et à
mettre en place
- (comment) - et enfin, la nécessaire confrontation à la
matière, au réel en vue de la réalisation de l'esquisse - (on va faire) - .
1
- CONTENU DES
TEMOIGNAGES
Avec le projet de découvrir ce que recèlent ces
témoignages, "supposez qu'au lieu de vouloir nous élever au-dessus de
notre perception des choses, nous nous enfoncions en elle pour la creuser et
l'élargir. Supposez que nous y insérions notre volonté, et que cette volonté se
dilatant, dilate notre vision des choses..."[225],
voici ce que nous avons tenté de faire en nous référant principalement à
l'ouvrage d'Antoine de La Garanderie : Comprendre
et Imaginer. Il nous parut possible en effet, d'extraire cinq étapes,
qualifiées par lui-même de "gestes mentaux", qui viennent conduire le
projet de sens à son terme traversant respectivement : l'attention, la
mémorisation, la compréhension, la réflexion et l'imagination créatrice. Ce
parcours mental s'enracine, nous allons le voir, profondément dans
l'introspection et requiert une observation intérieure. Il nous a semblé
opportun de puiser à cette source, conscient du discours étroit qu'entretient
l'architecte avec lui-même. "Croquis et esquisses apparaissent comme des
objets morts, du fait de l'absence de dimensions vivantes de l'activité qui les
sécrète"[226]. Nous
allons tenter de montrer que l'esquisse se fait probablement l'écho visuel du
silence nécessaire à l'inscription du trait, après un bouillonnement, une
effervescence, un déferlement de questions, d'hypothèses et d'idées. Tentons
désormais de décrypter ce long monologue, conduisant à une "coexistence
entre le recueil de concepts et un dessin spécifique"[227].
- L'attention
Projets de
sens
A l'origine, nous pouvons dire qu'il n'y aurait
aucune conception mentale sans projet de sens. Le projet, défini par Antoine de
La Garanderie "est une structure implicite qui vise bien à évoquer le
perçu pour lui assurer son statut mental"[228].
Nous saisissons que le coeur du projet, s'ancre dans la capacité à évoquer des
perceptions avec l'ambition de constituer sa réalisation. Ici, tout individu ne
fonctionnera pas de manière identique selon que sa structure de pensée le
conduise à envisager l'une ou l'autre des attitudes qui suivent :
Comment réaliser ce projet ? avec une recherche des
moyens en vue d'appliquer, ou pourquoi le réaliser ? avec un questionnement sur
le sens en vue d'expliquer.
Ainsi, nous distinguerons deux types de projets de
sens : L'application et l'explication, sachant que le sujet peut recourir pour
partie ou alternativement à l'un ou à l'autre.
Dans tous les cas, "c'est très intéressant de
faire de l'architecture, mais c'est très intéressant de vivre une vie
d'architecte, parce qu'inconsciemment tout vous intrigue et tout vous
fascine!". Il nous semble important de préciser que la question du projet
implicite n'est pas exclusive au monde de l'architecture ; cela va de soi. Un
architecte le découvre en ses termes : "Le rapport au projet, je pensais
que c'était un travail, une question d'architecte, je ne m'étais pas posé la
question plus largement. Je pensais que dans la pratique du projet, les
questions que les architectes se posaient... ils étaient les seuls à se les
poser. Et je me suis aperçu en fait que le problème n'était pas spécifique à
l'architecture ; que c'était plutôt un problème de démarche et de critères et
que j'avais par rapport à certains enseignants (peintre, designer,...) des critères qui étaient très proches... Finalement,
à la réflexion, les points communs n'étaient pas dans la discipline, mais plus
dans l'approche et dans les points de vue qu'on pouvait partager"[229].
Ceci étant précisé, revenons au projet de sens et
rappelons qu'à l'origine, "il y a tout qui vient se bousculer dans la
tête"[230], et que
"c'est avant de voir, avant d'entendre, qu'il faut se donner mentalement
le moyen de se représenter"[231].
Nous sommes au stade de l'attention. L'extrait qui suit illustre admirablement
ce processus : "Si vous voulez faire ce métier, tout doit vous
intéresser... vous voyez le reflet des lampes... de la lampe dans le verre...
regardez comme c'est joli. Qu'est-ce que je vais en faire ? Cela... mais je
n'en sais rien... mais vous mettez cela de côté et un jour, vous aurez une
image précise qui vous viendra"[232].
Le projet de sens implicite peut s'exprimer de la sorte : cela pourra peut-être
me resservir pour plus tard. "Oui, on ne se dit pas cela mais c'est
exactement ce qui se passe"[233].
Ainsi, l'architecte choisit l'état d'éveil permanent propre à recueillir des
informations, des bouts d'éléments, pour nourrir, construire, enrichir une
mémoire active. Nous pressentons que "le dessin d'architecte est bien
l'évocation projective d'un objet futur, donc absent... Il est aussi
l'évocation d'objets passés, non actuellement présents..."[234]Il
s'agit d'enregistrer les qualités de l'espace : les formes, la lumière, les
textures... L'architecte essaie en quelque sorte" d'attraper au mieux, de
conserver d'ailleurs la mémoire du terrain (et) une fois rentré au bureau, un
peu bêtement... ayant besoin de repères... cherche à fixer"[235]
ces données. Ce qui fait dire à cet architecte, "on met en mouvement un
nombre de paramètres considérable, vous voyez... considérable" et ensuite
"on se dit comment on va faire ?"[236].
Nous nous pressentons alors au seuil de
l'application, c'est-à-dire : "savoir comment faire, pour appliquer",
avec une recherche sous-jacente d'efficacité. Les témoignages nous exposent
principalement une vision toute orientée sur le développement argumental, à
savoir une réceptivité offerte à l'explication. A ce stade du projet, la
recherche de moyens supposerait la poursuite de solutions immédiates alors que
l'architecte préserve tout au plus une "image anticipatrice de
résultats"[237].
Dès lors, il se sent "quelque part obligé de (se) mettre en retrait et
puis d'essayer de mettre en place des choses, effectivement, une première
intention brute"[238].
Ensuite, il n'aura de cesse de chasser cette première image pour laisser place
aux développements rationnels, seuls capables de le rassurer sur le bien fondé
de sa conception. "Je crois que dans cette phase de travail..., je suis
certainement très expliquant... Mais après je ne me pose pas de question".
La compréhension parait justifier l'engagement dans cette aventure : "J'essaie
de comprendre. En fait c'est assez étrange parce que pour travailler sur
l'espace, j'essaie avant tout de comprendre les êtres".[239]
Placé au coeur de la complexité, définie par Edgar
Morin comme une "extrême quantité d'interactions et d'interférences entre
un très grand nombre d'unités", l'architecte se confronte à ce qui la
compose, à savoir, une somme "d'incertitudes, d'indéterminations, de
phénomènes aléatoires"[240].
Mais par ailleurs, fruit de ce désir d'explication, "c'est le
"flash"[241]
souvent cité par les architectes, quand surgit brutalement à leur conscience
l'image d'une façade, alors qu'ils n'ont même pas entamé leur recherche
graphique de l'objet architectural". "C'est un élément à un moment
donné qui va se détacher du reste de ces informations, qui va donner le premier
jet"[242].
Cette image sera sans doute fruit de cette
complexité dans le sens où celle-ci "a toujours à faire avec le
hasard"[243] et qu'elle est la forme
réconciliée de "ce qui est tissé ensemble". Néanmoins, ne nous y
trompons pas, cette projection mentale est fugitive et ne saurait en aucune
manière s'imposer sans avoir préalablement passé l'épreuve de l’évocation. Au
cours de cette phase d'assimilation lente et méthodique, l'architecte procédera
à une ré-expression mentale de l’information donnée par la perception ; il
entamera une dialectique mentale permettant de puiser à la source de la
mémoire, de rattacher à des acquis ces nouvelles données afin de leur conférer
une dimension évocative. Nous constatons ici la nécessité de faire appel au
geste de réflexion qui mobilise notre attention pour nourrir l'évocation du
temps présent. Ainsi se constituent les acquis, d'une part : souvenirs de
perception et d'autre part évocations antérieures.
Travaillant à la conception d'une tour de contrôle
d'un petit aéroclub à Deauville, l'architecte illustre le processus ainsi :
" Je voulais faire un objet un peu "chic"... au début, j'ai
pensé au talon aiguille d'une chaussure", "je voulais quelque chose
d'élancé. Deauville, c'était un peu en rapport à une femme. C'était un objet
très fuselé en fait, un peu comme une fusée... avec un grand chapeau et je
voyais un champ de courses, c'était un rapport à Deauville, champ de
courses..." et aussi "une demoiselle sur les planches de Deauville".
Dans la tour de contrôle, avions, transat, café, terrasse. "Il y avait un
peu de Casablanca comme cela".[244]
Nous le voyons, l'assimilation se fera croissante et acquerra suffisamment de
puissance pour parvenir à projeter virtuellement, c'est-à-dire : à évoquer des
"objets absents".
Cette nécessité est d'autant plus prégnante que
"ce qui manque souvent dans le programme, c'est comprendre l'esprit dans
lequel on peut travailler ; c'est à nous, je dirais de l'apporter, de le
dimensionner, d'enrichir le programme"[245].
- La
compréhension
L'assimilation
"Le fait de projeter sur l'orbite mental, le
signifiant, ... ouvre la compréhension à un élargissement du sens de ce
signifiant par une reviviscence d'autres acquis culturels, qui seraient en
harmonie de sens avec lui"[246].
Nous le voyons, à ce niveau, il s'agit avec l'appui d’expressions mentales,
d’images visuelles et verbales de constituer des liens, par analogie à des
problèmes déjà résolus ou par inadéquation, afin d'apporter une dimension
nouvelle et une coloration personnelle à ces données de base.
"De l'histoire de l'architecture, j'ai accumulé
des bribes, sans forcément faire le lien ; il y a un moment de manière vraiment
très simple, le lien entre toutes les parties, les pièces du puzzle stockées : tout s'est monté. Les
images se sont formées, la compréhension de l'ensemble s'est forgée, les
informations complémentaires sont venues renforcer cette sorte de structure qui
s'est établie"[247].
Issues de cette structure, les expressions mentales
peuvent s'inscrire dans la temporalité ou dans la globalité, sachant que l'une
n'exclut pas l'autre. En effet, la temporalité conduit à procéder par bouts,
par fragments pour constituer, pour construire. Alors que la globalité situe
au-dessus de la chose. "Alors, ... nécessairement... en matière
d'urbanisme, je fonctionne par fragments... parce que cette espèce de
temporalité... n'exclut pas que vous ayez en filigrane la vision globale".
En revanche, "si je pars de l'inverse, ce qu'on a fait pendant tout le XXe
siècle, ... l'homme alors là, il n'existe plus"[248].
Inscrit dans la temporalité, il y a nécessité d'analyser une succession
d'"éléments de manière méthodique, avec une forme de linéarité. Cependant,
"il y a une limite à l'analyse... Si vous ne mettez pas quelque chose de
plus... C'est-à-dire l'imaginaire qui assemble les choses... Cela ne marche
pas... Quant à la globalité ... Je suis arrivé à des collages de bouts, sans
que cela produise de globalité. A ce
moment là, il n'y a pas de projet"[249]
Parallèlement, "cela m'est arrivé de partir de
la globalité... je me souviens, le stade de Trélazé... je n'ai jamais éloigné
de ma pensée, la grandeur du terril ardoisier. Et c'est cela qui a fait la
force de ce projet"1.
Le réalisme nous conduit à entendre cet architecte
lorsqu'il rappelle la quantité d'informations traitées : "On ne peut pas
analyser rigoureusement les choses comme cela, les unes après les autres. Ce
n'est pas comme cela que cela se passe ; au contraire, il y a tellement de
consignes que nous ne sommes pas un ordinateur"[250].
Ecartelé entre cette vision fragmentaire,
séquentielle, constituant des liens au fur et à mesure du temps qui s'écoule et
cette vision globale qui appelle l'ensemble des éléments constitutifs afin de
penser les liens à mesure qu'ils se composent ; c'est sans doute, avec l'appui
de cette vision syncrétique développée par Anton Ehrensweig et dans tous les
cas, le discours permanent qu'entretient l'architecte avec lui-même, la
projection des 'images virtuelles" dans lesquelles il circule et les images
auditives auxquelles il fait appel, que la compréhension et la réconciliation
s'opèrent... il y a donc de multiples supports évocatifs : le discours, l’image
auditive et la projection mentale dans l'espace. Ce qui fait dire à cette
architecte : "Si je pouvais filmer avec une caméra, ce qui est dans ma
tête, ce serait absolument passionnant, parce que tout est là, parce que tout
existe"[251]. Ces
regards s'accompagnent de mots d'ordre qui sont donnés pour aller voir
ailleurs, développant d'autres points de vue, ou de commentaires, de
constatations sur ce qui est projeté.
"Oui,
je pense à quelque chose là, je conçois... et donc en même temps, je commente à
mesure que..."[252].
Ces encouragements, ces mises en garde, ces cheminements, représenteront autant
de concertations intérieures menées en parallèle avec l'organigramme afin
d'enregistrer des "espèces d'associations qui sont incontournables"[253].
Sur cette structure rationnelle se greffent toutes les évocations issues de ces
rapprochements. Ecoutons ce qui suit : "Quand j'étais là, en train
d'écouter ces gens, j'avais envie d'écouter le concerto n°1 de Chopin... ou
alors, non vraiment, cela m'a renvoyé à des profondeurs et je ressentais
Malher... Cela m'aspirait littéralement... et en pensant à Malher, à ce moment
là, je me dis, je vois des murs d'une densité extrême presque avec une espèce
d'humidité... tout cela, cela va être l'évocation... là, c'est une musique...
je vais l'entendre... je vais me laisser porter... Là quand je repense à
Malher, je me dis, je pense, ... j'entends aussi certains instruments et je
vois mes crayons de couleurs et je me dis : "je vais prendre du brun, je
vais prendre du noir et je ne vais pas du tout dessiner des choses éthérées, au
contraire, je vais avoir l'impression de travailler en souterrain... je vais
penser à Bachelard... je suis renvoyée aux profondeurs de la cave... je pense à
un passage qu'il cite d'Henri Bosco... avec ses couloirs et ses labyrinthes, et
bon, voilà... une image en amène une autre, donc l'image est à la fois musicale,
à la fois littéraire, à la fois... teintée de couleur, de matière"[254].
Tous
ces méandres accompagnés de consignes mentales pour atteindre à "cette
abstraction, ce passage du désordre de la réalité dans l'ordre du tamis de la
raison tendue vers un but, (qui) donne un produit concret, un "signifiant
graphique" ou un dessin"[255].
Quelquefois, l'architecte cherche longtemps mais bien souvent, il nous le
confie "ce que je crois le meilleur est quelque chose d'assez rapide mais
ce ne sont pas des dessins sophistiqués, très compliqués. Ce sont souvent des
choses assez rapides et j'aime bien avoir une image assez forte"[256].
Nous
avons déjà entrouvert la porte de cette deuxième phase animée de ce mouvement
dynamique entre subjectivité et objectivité. Mais à ce moment décisif, il
s'agit de recueillir les fruits de ces évocations qui vont à leur tour générer
une intuition de compréhension. Avec application vont se succéder autant
d'essais : simulation, emboîtement, remplissage de zones, superpositions, jeu
de correspondances "vides/pleins", complémentarités de négatifs et de
positifs, restaurant une "auto-régulation" qui "permet au sujet
de transformer sa pensée en objet par elle-même"[257].
Ces tests de cohérence interne vont guider l'architecte vers une compréhension
accrue du contexte, des contraintes et du projet. Ils contribueront également à
structurer sur un mode personnel, les évocations et les associations qui
s'ensuivent.
Soutenu
par l'idée que "la qualité des intuitions de l'aurore sera relative aux
labeurs des jours"[258],
l'architecte s'élancera vers ce travail de mise en relation, respectueux des
compatibilités ou incompatibilités, des cohérences ou incohérences, de la
simplicité ou de la complexité, trop conscient de leur infinie potentialité.
Voici un exemple : "le terrain... domine le Layon d'assez haut, il y a le
vieux pont qui franchit la rivière et dans le fond, on voit les coteaux des
vignes, vous savez, avec les stries comme cela et la courbe comme cela... et
là, voilà une idée ! On se dit... on dirait une toiture cela, voyez... si je
fais, par exemple, la couverture en zinc avec le ressaut les tôles de zinc
qu'on assemble qui donne des stries... Est-ce que cela ne renvoie pas au loin,
si ma toiture est courbe comme cela, est-ce que cela ne renvoie pas à la vigne...
Est-ce que je dois faire une couverture qui ressemble à un champ de vigne vu
dans le lointain ?... Pourquoi pas ?..."[259].
Nous
mesurons la puissance des collages, de ces regards qui se superposent.
Parallèlement, il existe toute une recherche de déclinaison qui permet
d'enrichir et d'affiner les images. Suivons ce cheminement : "On
construisait... sur un site qui était marécageux, qui était inondable... ce qui
nous avait touché, c'était un peu les bancs de sable sur la Loire et les
stratifications que le fleuve amène et puis après ces lignes...Comment on
appelle cela, des épis qui sont sur le fleuve... et donc dans le fond on
travaillait par strates"... "On a créé une île par stratifications
comme le fleuve qui dépose des limons"[260].
Guidé par ce parti architectural, l'architecte continue sa recherche :
"C'était très facile de se dire "mais non si je mets cela, ce n'est
pas compatible avec les épis de la Loire". "Cela n’est pas compatible
avec l'envasement, cela n'est pas compatible avec un carrelet de pêche. Donc,
c'est plus facile, vous voyez, de fonctionner par inadéquation"[261].
Au
travers des deux exemples précédents, la forme même du récit indique que nous
avons à faire ici à un mode d'évocation visualo-verbal.
En
effet, un constat conduit une réflexion qui à son tour amène une question qui
trouve réponse dans le cours du discours et ainsi de suite. Nous entrevoyons la
trame des commentaires. Cet architecte en tissant des relations verbales vient
enrichir les images visuelles par la recherche des similitudes.
Différent
dans sa forme mais résultant du même processus à l'oeuvre, un autre témoignage relate également un
travail évocatif verbalo-visuel mais à l'inverse, l'image visuelle concrète
génère le discours intérieur : "Je travaillais, un jour... sur un
restaurant d'autoroute, ... on avait parcouru cette autoroute, on avait
parcouru ce terrain... c'était aux abords du Mans, je me disais... "on
peut peut-être essayer de fonctionner sur la notion de véhicule"... très
rapidement, en fait, ce qui est venu par rapport au terrain, c'est un geste, un
geste "... "probablement cela résultait de cette idée de vitesse...
la vitesse a engendré peut-être la notion de mouvement et je me disais il faut
qu'on retrouve spatialement quelque chose qui symbolise le mouvement"...
"Mais je crois que ce raisonnement-là, je l'ai tenu après avoir fait le
geste, pour essayer de me dire : "Pourquoi ce geste m'est-il arrivé
?"[262].
Ici,
une autre dimension évocative est énoncée. Nous avons en effet, la présence
originelle d'images visuelles concrètes (le contexte, l'environnement) qui
génèrent un discours intérieur et développent l'idée de vitesse, la notion de
mouvement, un certain questionnement ; mais ceci trouve son intégration dans
l'évocation kinesthésique. Celle-ci serait en quelque sorte l'union de l'image
visuelle et de la parole. Elle émettrait simultanément la sensation du
mouvement et le geste même de la main pour venir alimenter le projet et générer
l'esquisse.
L'esquisse
représenterait alors la fusion des différents niveaux de perceptions et
d'évocations , en une image unique.
A
ces jeux de composition, les architectes semblent se prêter avec délice. Nous
entrevoyons là, une analyse avec l'idée que développe Edgar Morin, sans
laquelle aucune appropriation ne pourrait s'effectuer et donc aucune
compréhension. Voici cette réflexion : le savant devient son objet "tout
en étant le siège de la connaissance objective, puisqu'il est observateur (et)
le savant lui-même". Son esprit est ainsi "réduit au thème de la
conscience reflet" ; thème "beaucoup plus riche qu'il n'y
paraît" puisqu'"il soulève le paradoxe du double miroir". A
savoir que "le concept positiviste d'objet fait de la conscience à la fois
une réalité (miroir) et une absence de réalité (reflet)"[263].
Mais aussi que la conscience du sujet reflète le monde et que le monde reflète
le sujet. Il ajoute : "Ainsi l'objet peut être autant le miroir pour le
sujet que le sujet pour l'objet."1 Ne pouvons-nous pas avancer
alors qu'il en est de même pour l'architecte, conscience reflet du projet.
Reprenons les termes mêmes d'Edgar Morin appliqués à l'architecte et à son
projet : Ainsi le projet peut être autant le miroir de l'architecte que
l'architecte pour le projet. Nous serions tentés de penser qu'à travers cette
translation réciproque, se crée une ouverture entre sujet et objet, ouverture
qui engendre probablement un dépassement des alternatives.
- La réflexion
Travail d'hypothèses
Par
la pratique de cette "conscience reflet", l'architecte engage un
travail d'élaboration d'hypothèses fondé sur les deux phases précédentes. Il
vise à "faire et refaire des allers-retours, perceptions-évocations avec
une exigence critique particulière qu'illustre cette question : Suis-je ou ne
suis-je pas affranchi de ma façon habituelle de comprendre cet objet de
perception ?"[264].
Se met en place un mouvement de coordination entre les différents outils à
disposition afin d'"inventer des stratégies pour sortir de la crise.Il y a
une évaluation, par exemple "ce projet là, c'est un projet dur ou pas dur.
Il est pour tel type de personnes ; je me dis, ce serait une ambiance un peu
comme cela que j'aime ou comme un autre ou au contraire pas du tout comme
celui-là... c'est à dire que ce n'est pas dans le vide, ce n'est pas dans le
néant. C'est par rapport à des références : pour, contre mais je prends
appui"[265]. Cela
conduit à souvent abandonner les solutions qui remédiaient aux anciennes crises
et élaborer des solutions nouvelles"[266].
Alors,
l'esprit s'ouvre à toutes les hypothèses et tour à tour, il se sert de
l'analogie ou de la convention pour écrémer, combiner, et recomposer. Le
discours est plus que jamais formulé au conditionnel : "Si on essayait...,
supposons que..., si je fais..., nous pourrions..., est-il possible
de...?". En effet, "on n'a pas beaucoup de possibilités de mesurer
dans la réalité les trois dimensions, les matières, l'échelle, la réalité de ce
que l'on produit. Et quand on le fait, c'est trop tard... Quand on le sait,
c'est construit; c'est trop,c'est pas assez... on ne peut pas gommer"[267].
Aussi, ce jeu mental permet à mesure des simulations, de tester le sens
d'intelligibilité des propositions et de les connoter. Ces projections de
"possibles" sont tout à la fois, verbales et graphiques. Un
architecte nous en fait le récit : "Très vite, en plaçant les choses, on
se rend compte des problèmes réels posés"[268].
Mais il est vrai, que le verbe pour moi, il
n’existe que lorsque cela ne marche pas, c'est drôle, non ! C'est un
recours"[269]. Dans tous
les cas, la projection mentale tente de toujours laisser la porte ouverte à
d'autres orientations. Ainsi, "à mesure que je dessine, comme je raisonne,
je ne suis déjà plus dans la logique et dans... l'atmosphère dans laquelle
j'étais, en fait... dans le mouvement qui m'animait quand j'ai démarré
l'esquisse"[270].
Nous le constatons, "l'architecte compare mentalement ses hypothèses à une
multitude de possibilités qui ne s'extérioriseront jamais graphiquement, qu'on
ne verra donc jamais. C'est à ce titre que le dessin réalise bien le fait, une
fois qu'il est tracé, d'être en tant que perception visuelle, doublé par une
représentation intérieure plus large et plus compliquée"[271].
En effet, le témoignage précédent se poursuivait ainsi : "C'est un
processus..., c'est toujours engagé, c'est toujours en mouvement...". Le
dessin peut apparaître dès lors, comme un "arrêt sur image" ou plutôt
un "arrêt sur pensée" qui témoigne partiellement pour un moment
donné, du jeu mental développé. En réalité, "c'est autour de cette
idée-force, que les choses vont se composer"[272].
Mais que signifie composer ? "C'est assembler avec élégance, avec goût...
avec cohérence. Ce n'est pas de la réflexion, c'est de la composition"[273]
: terminologie qui induit indubitablement une notion de rythme, de phrasé, de
mouvement toujours engagé.
En
parallèle, nous pouvons dire que l'architecte a recours à sa pratique et son
expérience des projets. Il fait alors appel à des bouts d'images repérées,
connues, rassurantes.La réflexion "part de références, d'images... pas
forcément une image définitive du projet. Mais par rapport à des objets, par
rapport à des lieux, par rapport à des architectures. J'ai une référence, je
vais vers une référence"[274].
Et cela peut être exprimé de manière plus concrète, plus pragmatique : "on
avait très fortement acquis la manière de fonctionner, les circuits des
personnes qui sont vraiment draconiens"[275].
C'est une structure sur laquelle l'architecte s'appuie parfois, qui lui donne
plus encore la possibilité de vagabonder, d'emprunter des chemins inexplorés.
"On puise dans sa culture propre, c'est l'expérience acquise sur le
programme, sur un projet similaire... c'est vraiment culturel ce qui est
derrière : c'est évident"[276].
Cet ancrage, fortement fondé sur la pratique, servira de tremplin et permettra
de rebondir vers d'autres essais exploratoires qui à leur tour constitueront de
nouvelles acquisitions.
Nous
l'avons compris, "l'architecte exprime des hypothèses en partie d'édifice,
d'un détail ou d'une forme globale, en dessin. Ces hypothèses, il va les
déformer, les morceler, les associer, pour en dernier lieu, les valider ou les
refuser. Quelquefois, il s'agit en effet de "montrer les problèmes qui
paraissent heurter le projet"[277].Le
matériau de la recherche bricoleuse et exploratoire, c'est ce dessin maquette
déformable"[278].
Mais ceci ne se produira qu'avec l'appui de l'imagination.
Certains
prétendront que l'aléa majeur est celui de la subjectivité et de ses fantaisies
capricieuses. En réalité, "vous avez des données plus ou moins objectives
et si vous n'en tenez pas compte, l'objet sera inadéquat"[279].
Pour notre part, nous rejoignons cet architecte, lorsque s'exprimant sur
l'analyse, il déclare : "Une grande erreur pédagogique, c'est de faire
croire que celui qui analyse bien, à la sortie, par le fait même, d'une manière
rationnelle, impitoyable... j'allais dire..., il a le résultat... c'est
absolument faux. Si vous ne mettez pas en oeuvre quelque chose de plus...
c'est-à-dire l'imaginaire qui assemble les choses, voyez..., cela ne marche
pas"[280]. Ainsi, la
réflexion fait-elle appel à l'imagination créatrice en vue de coordonner les
acquis et le probable, par le vecteur du dessin, support privilégié destiné à
accueillir les errements de l'architecte. En miroir, nous retiendrons que
"l'âme de l'imagination créatrice est sans doute la patience persévérante
de l'effort"[281]qui
s'exprime particulièrement dans cette phase laborieuse qui cristallise "le
rapport hybride de l'architecture : le rapport social de ces créations qui ont
un pied dans la création et un pied fortement dans les contingences
sociales"[282].
Parvenir
à réaliser cette esquisse requiert certes de l'effort et de l'imagination, mais
enfin et surtout, il s'agit pour l'architecte de relever un défi, à savoir :
proposer une représentation simple d'une réalité complexe, proposer une image
"sensible" répondant à un programme rationnel et trouver entre ces
alternatives suffisamment de liberté pour entrer dans une recherche ludique.
Edgar Morin déclare : "les grandes découvertes sont le fruit d'erreurs
dans le transfert des concepts d'un champ à un autre, opérées... par le
chercheur de talent. Il faut du talent pour que l'erreur devienne féconde"[283].
Cette
fécondité, issue du hasard, résulte en vérité d'un profond travail dans le
creuset mouvant des désirs, de la culture, des idéologies et du métier. Elle
s'exprime volontiers, à travers l'esquisse. Ce qui laisse à penser que
"notre projet conscient est dépassé par le projet implicite"[284].Afin
de se rassurer, l'architecte tente d'élaborer "un discours un peu
construit, (il) essaie en fait de décomposer, de chercher les raisons,
d'analyser et de donner les clés"[285].
Tout en sachant que celles-ci "ne sont pas exclusives"2.
C'est cette dimension implicite qui nous permet de distinguer deux types
d'attitude dans le processus de l'imagination créatrice : Celle du
"découvreur" et celle de "l'inventeur". Ceux-ci nous allons
le voir, n'entretiennent pas le même rapport à la réalité qui les environne et
par voie de conséquence, n'extrait pas la même quintessence.
-
L'imagination créatrice
Inventeurs et Découvreurs
Comment
distinguer ces deux approches?
Si
nous nous référons à Antoine de La Garanderie, nous pouvons dire que "les
Inventeurs s'intéressent aux objets fabriqués, ils ont la curiosité de leur
mécanisme"[286]
afin d'en comprendre le fonctionnement. L'oeil critique de l'inventeur décèle
une différence ou un défaut qui peut être amélioré."Oui, c'est une
réaction à un manque ou à une lacune, oui, on réagit à un document"[287].
"On ne peut pas ne pas réagir. C'est cela en fait. Il n'y a rien de plus
difficile qu'avoir un terrain plat, un programme sec, un maître d'ouvrage qui
n'a rien à dire, qui ne répond pas"[288].
Alors, à partir des éléments qu'il possède,
l'inventeur procède par induction et cherche avec un souci d'efficacité
à trouver des réponses à la question du "comment", qui se pose à lui.
Enfin, la réalité "contient les moyens cachés d'une absence"[289]"Quand
je trouve en face de moi des choses contraires à l'enrichisssement du projet,
j'essaie de me défendre le mieux que je peux pour m'en écarter. Que ce soit un
réglement ou autre... je crois que c'est notre travail"[290].
La fécondité, c'est alors rebondir sur ce qui n'a pas été dit ou ce qui a été
énoncé de façon inadéquate. Cette disposition d'esprit conduit bien souvent
l'inventeur à produire quelque chose qui n'existait pas.
Les
Découvreurs, en revanche, ne créent aucun objet. Pour eux, l'inédit existe et
reste dans l'attente d'être dévoilé.Un architecte relate son plaisir de la
découverte à l'occasion d'un voyage au Japon : "Ce qui m'a le plus
intéressé, ce n'est pas ce que l'on me montrait, les bâtiments les plus up to date , ce n'était pas cela.
C'était ce qu'il y avait à côté, c'était la vie, c'était plein d'autres choses
qui expliquaient ou infirmaient d'ailleurs ce qui était montré"[291].
Ainsi, la recherche de l'inédit se cristallise sur des choses très implicites
et la découverte est le plus souvent le fruit d'une situation comparative, d'un
"rapprochement de choses... qui ne va pas de soi"[292].
Sensible à la similitude, le découvreur procède par déduction. Dans sa
recherche du "pourquoi", il sera amené à "mettre à nu", à
dévoiler le sens caché. C'est ainsi que pour lui, la réalité "contient les
signes cachés d'une présence"[293].
L’attitude du découvreur est analogue au regard que porte Kandinsky sur
l’artiste dont la mission "lui paraît être de dévoiler l'ordre des choses,
de constituer le langage suprême, celui qui se substitue aux mots
impuissants"[294].
Il développe en conséquence une "théorie du "voilé-dévoilé" qui
veut qu'une oeuvre d'art ne soit lisible que par approfondissements
successifs"[295].
Suivons
pas à pas, ces analogies successives, au travers du témoignage d'un architecte
: "La couleur était de couleur sable... Voyez, du gravier mêlé
d'"ocre"... et je me suis dit, c'est cela qu'il faut faire. Cela ressemble aux allées de jardin... en même
temps, c'est lavable, c'est pas cher, c'est comme du goudron... je me dis, ...
cela c'est une bonne idée, ... même si
immédiatement vous pouvez vous dire : ... "tu vois, J.P., tu n'inventes
rien, quoi... mais il y des collages, qui se font comme cela"[296].
Ici,
nous le voyons la découverte s'est fondée sur le rapprochement de matériau, de
couleur ; mais ce fonctionnement possède son revers, un certain regret :
"Si vous voulez, alors, je me méfie d'être un copiste inconscient"[297].Dans
le même temps, un autre architecte déclare : "j'ai des gens qui ont des
choses contradictoires à dire : au contraire, moi j'aime bien les choses
impossibles par exemple, cela m'importe peu, cela me permet de comprendre"[298]
et certainement d'avoir accès à des réponses novatrices.
Ces
attitudes requièrent l'intervention de l'imagination créatrice, seule capable
de produire l'image mentale qui fait sens. Dans les entretiens, nous avons
constaté que ces architectes étaient plus sensibles à la similitude et que
l'intuition déclenchée était le plus fréquemment le fruit de situations
comparatives. Nous avons retrouvé une analogie avec la description faite par
Antoine de la Garanderie à propos des découvreurs, "La dialectique mentale
du découvreur s'active dans ce jeu de va et vient entre une réalité qui ne
livre ses secrets qu'à ceux qui remettent en question les moyens grâce auxquels
ils la comprennent"[299]
; ce qui permet d'expliquer la recherche incessante d'outils, la ténacité et
l'ingéniosité déployées à élaborer l'esquisse dans sa flexibilité, son
imprécision, sa complexité, sa diversité, afin de préserver cet outil, d'une
rigueur obsédante et contraignante.
Nous
vous invitons à lire cet extrait qui rappelle tout à la fois, le désir premier,
le recours aux perceptions, à une certaine mémoire, le travail d'associations,
la quête du sens et du "beau" et la recherche d'une composition
architecturale harmonique par la réflexion :
"J'avais
envie que le carrelage (de la piscine) soit de la couleur des yeux... j'ai une
petite fille qui a un an et j'ai une amie qui a les mêmes yeux, une belle femme
et donc... la superposition des deux comme cela. Je me dis le carrelage des
piscines, c'est toujours blanc et là c'est des yeux gris-bleu, voyez... on est
allé récemment à Bordeaux manger dans un restaurant qu'a fait Jean Nouvel... et
alors la piscine, le carrelage est bleu-nuit dedans, ce qui fait que l'eau est
noire et c'est fabuleux, cela... c'est vraiment étonnant... et alors, vous
voyez les collages, il y avait les yeux de la gamine et de cette belle femme,
il y avait le noir de Jean Nouvel et puis je me dis : "Si je veux que cela
ait un sens, il faut que cela continue dehors. "Parce que... si je reste
dans les bouts, je fais du collage, je ne fais pas de l'architecture. je ne
constitue pas des totalités où les choses coulent comme l'eau qui coule...
Réfléchis... comment cette trace bleu-gris va aller dehors ?"[300].
Cet
enchainement de perceptions, d'images, d'évocations relate avec la légèreté
requise la liberté de l'imaginaire et nous rappelle un témoignage relatant avec
plus d'amertume "ce manque de liberté... extraordinaire... fabuleux"[301]
: Après avoir "pris connaissance du programme, on s'en est écarté
clairement et d'ailleurs j'en suis ravi; je crois qu'il ne faut pas s'arrêter
au programme"[302]..
Nous assistons ici à la recherche de l'inventeur : "Je ne comprends pas
que l'on ne puisse pas s'échapper des règles, si le projet répond à une qualité
qui ne va pas dénaturer l'environnement proche mais au contraire mieux le
respecter"[303].
Ces
témoignages rapprochés nous signifient à merveille la dimension personnelle à
l'oeuvre dans cette démarche. Nous allons tenté à présent de déceler la part
"singulière" inhérente à chacun des architectes.
2
- SINGULARITE
DES ENTRETIENS
"Ce
qui m'étonne toujours dans les résultats de concours à programme égal, vous
avez autant de réponses que vous avez d'architectes ; alors, cela c'est un
mystère... ce qui veut dire, si vous voulez, que personne ne fera jamais le
même projet..."[304].
Nous
réalisons ici, combien chaque proposition est une "réponse" partielle
et ponctuelle, à un site donné, dans un moment donné, devant une situation
technico-politique donnée pour une société donnée... élaborée par un architecte
donné. C'est la raison pour laquelle il nous est apparu essentiel de mettre en
lumière les singularités repérées lors de ces entretiens.
-
Et parmi ceux-ci, un architecte nous a paru aborder le projet au fil du temps,
c'est-à-dire, non seulement à travers l'histoire et sa temporalité, mais
également, ancrer cette recherche sur un sédiment culturel que l'on pourrait
qualifier "très schématiquement" selon ses propres termes "d'une
espèce de champ référentiel, une espèce de grand ordinateur dans lequel on
stocke... des bouts de connaissances philosophiques, historiques,
scientifiques, je ne sais quoi, comme cela"[305]
dans lequel l'architecte puise, s'inspire, expérimente, ou compare... une
potentialité infinie qui représente paradoxalement "une chose qui
m'encombre aussi... une bonne culture historique, ... une bonne connaissance de
l'histoire de l'architecture et de l'urbanisme... et notamment ce point de
départ des modernités d'aujourd'hui... ils avaient une santé d'enfer... cela
m'intéresse beaucoup... alors je me méfie d'être un copiste inconscient"[306].
Soucieux de construire dans l'intérêt général, avec l'ambition d'apporter une
"réponse" personnelle, reflet de l'époque traversée et de s'inscrire
dans l'attente collective, nous entendons ici les craintes de cet architecte
devant la prégnance de "cette culture, toute cette épaisseur des
choses", que "vous ne pouvez pas ignorer"[307].
Epaisseur d'autant plus contraignante, qu'elle prend place dans l'espace
social, fermement scellée dans la matière, destinée à assurer la pérennité de
l'ouvrage. Ce qui lui fait dire que l'architecture "est quand même un art
étrange, cela reste dans l'espace longtemps"[308].
Mais cette présence ne peut en aucune manière être appréhendée en tant que
globalité mais plutôt comme "une somme de moments architecturaux"[309].
Par
analogie, il nous vient à l'esprit que "l'histoire des arts est aussi
l'histoire des variations de nos plaisirs"[310].
C'est en tout cas, le point de vue d'André Comte Sponville. Et ceci nous amène
à nous attarder sur la sensibilité de ce même architecte - voire une
sensibilité énoncée en filigrane - outil de perception exprimé à des fins
professionnelles, mais également reflet, expression première d'un désir.
"Moi, je me suis assis sur la chair, la chair des architectures bien
faites. Quand je vais dans certains châteaux Renaissance, je me dis, mon Dieu,
c'est beau ce truc !... Quelle chair ! Mais vraiment... c'est vrai, c'est
sensuel... quand j'étais petit, je touchais les murs du Palais des Papes, le
soir, ... je mettais ma joue, parce qu'ils restituaient la chaleur, à onze
heures ; et je "prenais un pied pas possible" à mettre ma joue contre
le mur du Palais, la façade occidentale du Palais, en Avignon"[311].
Ce
témoignage résonne de toute la subtilité de l'échange dans Eupalinos de Paul Valéry où Socrate rappelle l'effet si fascinant
de la lumière sur les lieux ternes et indifférents en soi, "la lumière du
soir mettait la couleur de chair sur les pierres de la voûte... En vérité, cher
Phèdre, je n'eus jamais de prison que mon corps"[312].
Mais,
ceci ne doit pas nous éloigner de l'intérêt que porte cet architecte à la chair
qui selon lui "donne du sens" et revêt une autre dimension : "Si
on me donne de la chair, c'est comme si vous voulez... parler d'une chose et
puis... la faire ou la toucher ou la prendre"[313].
Nous évoquons alors le toucher, ce contact avec la matière élevé par Chaké
Matossian au rang de "volupté du grattement"[314].
Il affirme que "transcrivant nerveusement sur le support le jaillissement
d'une idée, en creusant cette dernière dans le travail du dessin ou de
l'écriture, l'artiste et l'écrivain retrouvent le geste naturel où se mêlent
plus qu'ailleurs volupté et souffrance"[315].
Besoin
de chair, de toucher, de sentir les choses, de découvrir petit à petit,
creusant l'idée ou creusant le bloc de pierres, nous pouvons introduire dès
lors, l'analogie entre la pratique de cet architecte et le travail de
découverte du sculpteur. Ainsi témoigne-t-il : "C'est à peu près la même
chose parce que si vous voulez le projet est immanent au lieu... il est
immanent... oui, il est contenu"[316],
comme la statue est contenue dans le bloc de pierre.
Ainsi,
l'architecte n'aura de cesse, tel le sculpteur, de tailler, d'affiner, de
découvrir, de dévoiler l'objet de son désir. "La Mettrie compare... le
désir au chatouillement de l'imagination"[317]
et introduit par cette image légère, le rôle de l'imagination au sein de la
volupté.
Animé
par ce désir et restauré par l'imagination, "vous commencez à les
assembler par bouts ; cela vous fabrique de la forme, mais cette forme
lorsqu'elle commence à monter, elle interfère ce champs, elle appelle
différents éléments ou elle rejette différents éléments... et plus elle monte,
plus elle devient autonome et plus elle devient autonome, plus elle vous
échappe ou plus elle vous contraint "[318].
C'est ainsi que cet architecte évoque ce que nous qualifierons, de sentiment
"d'impuissance" du "créateur" devant son
"oeuvre". Il nous le définit par ailleurs comme "un mouvement,
un phénomène rémanent... les faits continuent. Ils vous entraînent plus loin.
C'est une espèce de projet qui devient autonome"[319]
et il ajoute "à un moment, je vais vous dire, on ne peut plus rien ajouter
ou plus rien enlever"[320].
A travers ce parcours, nous assistons à l'histoire d'un désir initial ayant
pris corps, qui non content de son accession à la matérialité, poursuivra sa
quête jusqu'à l'ambition ultime : l'indépendance, l'autonomie, la liberté. Et
pourtant, dès l'origine, "cette historicité de l'art exclut tout finalisme
; l'oeuvre ne saurait préexister à sa production. Ou plutôt, le finalisme est
l'illusion à travers laquelle nous percevons... l'efficace de notre désir,
lequel "est en réalité une cause efficiente" (Spinoza)[321].
Autrement dit, l'oeuvre est l'effet, non la cause du désir, et ce désir ne tend
que vers sa propre effectuation".
L'architecte
se trouve alors en face à face avec ce désir qui était sien et se voit
contraint de reconnaître "une existence véritable de la forme en tant
qu'entité elle-même inerte"[322].
Il entame dès lors, un travail de deuil... ce mystérieux moment où comblé par
sa propre créativité, l'architecte après avoir matérialisé, donné naissance, ou
dévoilé la forme, devra s'effacer afin d'assister à son envol.
-
Le second témoignage trouve sans doute sa singularité dans cette attitude que
nous qualifierons de "quasi-obsessionnelle", qui consiste à "ne
pas vouloir figer les choses, comme cela en amont, derrière une idée qui serait
préconçue, justement : pré-conçue"[323].
Nous avons repéré ce souci à travers trois objectifs distincts.
Le
respect des usagers, constituera le premier d'entre-eux : "avant toute
chose, c'est eux qui m'intéressent[324].
Ainsi, les prémices du travail s'élaboreront sur la mise en place d'une
relation privilégiée. Cette phase est qualifiée de fondamentale. Elle permettra
selon elle, de se laisser "pénétrer de ces sensations pour ne pas projeter
des images ... qui soient presque "plaquées", gratuites, ...
induites"[325].
Sur ce ferment constitué à partir de la vie quotidienne de ces êtres "va
émerger un monde, une envie"[326].
Une envie que cette architecte s'empresse de préciser : "Une envie ... que
je ne souhaite pas être seulement la mienne mais surtout peut-être le reflet...
du désir des gens avec lesquels je suis entrée en communication"5.
Le rôle de l'architecte apparaît ici comme celui d'un témoin chargé de se
"placer en miroir" de l'usager, afin de transcrire avec respect, ce
qui animent ces futurs habitants, de décrypter subtilement les éléments les
plus signifiants en vue de la représentation et de l'élaboration du projet. Et
pour peu que son discours prête à confusion, elle ajoute : "je ne suis pas
là pour modifier le désir des gens, et je ne suis pas là pour transmettre un
message... je suis là pour répondre à des attentes", c'est-à-dire
"répondre de la façon... la plus fine, la plus subtile aux préoccupations,
aux aspirations des gens pour lesquels je travaille"[327].
Cette
position nous semble revêtir une forme d'ouverture à l'altérité nécessitant un
retrait, une nécessaire distanciation permettant le traitement de ces
informations. Ce regard extérieur ouvrira à une "objectivation" des
faits, des données et préservera d'une proposition qui serait hâtive,
partielle, et présentée comme une "réponse" alors qu'en tout état de
cause, elle ne constitue qu'un "point de vue" offert avec humilité.
Ce
premier point ne peut être considéré indépendamment du second. En effet,
accepter de recueillir cette matière première, suppose la capacité à
"accueillir", "tout ce dont on n'a pas conscience qui s'insinue
et qui vient nourrir, enrichir"[328].
Un mot revient comme un leitmotiv et
comme l'envers d'un décor profond et riche de potentialités : l'informel. Ce
qui anime en effet toute chose avant qu'elle ne prenne forme, "c'est
totalement informel à l'origine... mais de cet "espèce de magma"...
va émerger un monde"[329].
"De prime abord, ... ce sont des sensations informelles. Qui dit: informel
dit : "Il n’y a pas de forme, il n’y a
pas véritablement d'images... Ce sont des choses qui sont... presque
indicibles, invisibles"[330].
Ce contexte est vécu avec un sentiment insécure, "c'est tellement informel
que j'ai très très peur que cela.. s'évapore"[331].
Nous sentons alors cette architecte aux prises avec deux mouvements distincts
et solidaires : "Je n'ai pas envie de tout maîtriser"[332],
qui suppose de préserver une place importante à l'accueil du "laisser
émerger tout ce qui vient" ou "laisser advenir" selon ses
propres termes et parallèlement, le sentiment de traiter une information qui
étourdit car susceptible de s'amincir, de s'éventer ou de disparaître.
Cette
acceptation est sans doute la condition sine
qua non à l'expression de la spontanéité. André Comte-Sponville nous parle
de l'artiste spontané ainsi : "C'est que sa spontanéité n'est pas autre
chose que de la passivité vis-à-vis de soi. Il est libre parce qu'il se
soumet"[333]. Ainsi,
cette architecte se soumet à l'idée que l'esquisse n'est pas une
"fin" en soi. Dans la réalisation de celle-ci, elle affirme :
"Il faut que ce soit un tremplin vers autre chose". Elle abandonne la
pression mentale pour préférer, à une finalité anticipée et réductrice, une
recherche qui soit "vraiment une quête d'harmonie, une quête du beau...
une quête de.... l'essentiel"[334].
"Les plus profonds regards de l'homme sont pour le vide. Ils convergent
au-delà du Tout"[335].
Ce discours de Socrate, nous conduit vers une quête d'absolu dans laquelle nous
ne désirons pas enfermer l'architecture mais qui semble présente dans ce
témoignage.
Le
dernier souci qui anime cette architecte nous dispose à l'imaginer comme un
être "ne cessant d'approfondir les parties inexplorées de son art, brisant
les assemblages d'idées pétrifiées, reprenant les choses à leur source"[336].
La
question de l'origine nous semble omniprésente. "J'essaie de retrouver
vraiment l'origine, vraiment l'origine... Ce qui permettra au projet de
pouvoir... éclore ou pas"[337].
Et "je ne sais pas comment cela part... C'est une envie de couleurs... et
je fais des effets de matière, je ne sais pas... et je démarre comme cela et
d'un seul coup, il y a des masses qui se dessinent, et il y a des choses qui
s'entrecroisent .Il y a un bleu qui croise un jaune, qui crée un vert..."[338].
Evitant de s'enfermer, cette architecte restera attentive au moindre détail,
soucieuse de conserver une attitude d'ouverture. Dans cette recherche, "on
nous apprend l'ontologie du pressentiment. On nous tend vers la pré-audition.
On nous demande de prendre conscience des plus faibles indices. Tout est indice
avant d'être phénomène de ce cosmos des limites. Plus l'indice est faible, plus
il a de sens puisqu'il indique une origine"[339].
Mais que trouve-t-on au départ :
"Une
image globale... à peine visible... juste ébauchée[340]".
"Cela peut être un mot. Cela peut être un
mouvement".
"Ce
qui est venu... c'est un geste".
"J'étais
incapable de mettre des mots sur..."[341].
"Simplement
par un petit détail... on n'est même pas capable d'identifier au départ ...
mais on mesure que... le sens a été préservé"[342].
Et
voici qu'apparaît la question du sens intimement liée à la question de
l'origine. Comme si la première était l'ombre de la seconde.
"C'est
absolument un non-sens "si "la technique et les moyens prévalent
sur... l'idée..., sur le sens que l'on va donner aux choses, sur le fondement
même du projet"[343],
parce qu'à l'origine tout est là, tout existe et que l'attitude juste consiste
à ménager "cette ouverture, cette disponibilité". Sans quoi "si
on fige les choses, comment peut-on accueillir justement toute cette
évocation"[344].
Nous reprendrons les termes de Jean Gasquet extrait de son ouvrage Cézanne et cité par Claude Lefort dans
la préface de l'ouvrage de Merleau-Ponty : L'oeil
et l'esprit, "ce que j'essaie de vous traduire est plus mystérieux,
s'enchevêtre aux racines mêmes de l'être, à la source impalpable des
sensations"[345].
Source intarissable, point de départ de l'intuition, profondément enracinée
dans l'inconscient et seule capable de déclencher ou donner naissance à
"la petite étincelle qui... permet de démarrer"[346],
instant fugace, volatile, ... à saisir au seuil du dévoilement, de
l'accomplissement.
Nous
aimerions afin de clore cette analyse, rappeler le récit de François Jacob, qui
nous semble "analogue" avec toute la relativité et les égards dûs à
sa notoriété.
"J'ai accepté trop
d'engagements pour l'été : un congrès de microbiologie à Stockholm ; un congrès
de génétique à Montréal ; une "Harvey Lecture" à New York. Conférence
très honorifique que je tiens à fignoler. Thème choisi : le déterminisme génétique
des fonctions virales. Mais le coeur n'y est pas. Un jour sans goût de
travailler. Sans envie d'écrire cette conférence. Je tourne en rond dans le
bureau, à remâcher de vagues hypothèses, de possibles expériences. En fin
d'après-midi, (ma femme et moi) lassés, fatigués, nous décidons d'aller au
cinéma. Film sans grand intérêt. Affalé dans mon fauteuil, je perçois
confusément en moi des associations qui continuent à se former, des idées à
cheminer. Tout un remue-ménage qui se poursuit sourdement, dont je ne songe pas
même à maîtriser le déroulement. Sur l'écran des ombres s'agitent. Je ferme les
yeux, attentif à ce qui se passe d'extraordinaire en moi. Une brusque
excitation mêlée d'un plaisir confus m'envahit. M'isole de la salle, de mes
voisins les yeux rivés à l'écran. Et soudain, un éclair. L'éblouissement de
l'évidence. Comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? L'expérience de conjugaison
faite avec Elie sur le phage, l'induction érotique, et celle faite avec Pardee
et Monod sur le système lactose, l'expérience pyjama, ce sont les mêmes. Même situation. Même résultat. Même
conclusion.[347]"
Nous
retrouvons ce "remue-ménage", ces perceptions confuses, ...
informelles, dont il ne s'agit "même pas de maîtriser le
déroulement", ... attentif et réceptif et enfin, un "éclair",
"l'éblouissement de l'évidence", ... l'éclosion créatrice.
-
En quête d’un certain regard sur le monde, c’est sans nul doute la curiosité
qui anime cet autre architecte et le conduit à se définir lui-même comme
"assez boulimique"[348].
Fuyant les "mondes clos sur eux-mêmes" et l'esprit de
"chapelles", il intègre trois unités pédagogiques d'architecture
successivement, suit les cours de Bernard Huet, ceux d'Henri Ciriani, puis les
formations de Françoise Choay en urbanisme. Par ailleurs, "curieux,
curieux tous "azimuts"[349],
il se rappelle : "étudiant à Paris, je ne connaissais rien à l'art,
j'allais à toutes les expositions. C'était tout "azimut""3
Avec le même désir d'ouverture au monde extérieur, le voyage lui paraît une
nécessité indispensable qui contribue à percevoir la réalité et à dépasser la
subjectivité des représentations. "J'aime pas mal voyager, bouger, voir
les choses"[350].
L'architecture est une pratique qui s'exerce sur un sédiment très culturel et
nécessite "d'avoir une vue large plutôt qu'un point de vue étroit"[351].
Mais
ces parcours, ces itinéraires ont également pour vocation de se "rendre
compte physiquement"[352].
Cet architecte ajoute "tant que je n'ai pas senti la réalité des choses,
les lieux, les gens, ce qui fait le fond, j'ai beaucoup de mal"[353].
Ces
mots mêmes nous signifient la conscience de la réalité au coeur de sa démarche
architecturale. Néanmoins, Jean-Louis Le Moigne relativise et subjectivise son
existence en ces termes : "Le concepteur, au lieu d'extraire le modèle du
réel infère un réel qui n'existe pas encore, des traits du modèle qu'il imagine
et qu'il invente"[354].
Cet architecte puise à la source de la réalité et réaffirme sa nécessité ainsi
: "Pour moi, la réalité est excessivement importante"[355].
Cependant, il nous explique aussi
combien il est difficile "de faire prendre conscience que les
dessins sont des moyens au service d'une finalité qui va être là plus tard et
que ces dessins ont leur valeur en soi : ils vont référer de l'ordre de l'image
et avoir leur autonomie. En revanche, ils ne sont pas une fin en soi. La fin en
soi, c'est l'objet et l'objet réalisé avec en plus dans le cas d'un architecte,
le fait que le contrôle ou les erreurs sont très difficiles à maîtriser[356].
Soucieux
de cette "grande différence entre le dessin et la réalité"[357],
nous sentons cette préoccupation et aussi cette difficulté à
"figurer", terminologie que Philippe Boudon préfère à "représenter"
dont il s'explique ainsi : "La représentation architecturale ne représente
aucun objet réel, au sens où représenter signifie, rendre présent, à l'aide
d'une figure, d'un symbole ou d'un signe, un référent absent... le terme de
figuration nous semble plus adéquat que le terme de représentation"[358].
Il
est vrai que la figuration architecturale est codée et que la visualisation de
l'objet se fait alors au travers d'une reconstitution mentale. Cependant, il
faut distinguer deux types de dessins : celui plus technique qui a une vocation
instrumentale et les "tableaux d'architectes" tels que ceux de
Maximiliano Fuksas ou de Rem Koolhas dont le plaisir subjectif sans fin se
nourrit d'une absence de finalité, pour un temps ! Ainsi "l'image de l'architecte-peintre
est pour certains architectes fondatrice du passage à l'acte
architectural"[359]
Dans
tous les cas, au-delà de ce clivage, l'objectif premier de cet architecte est
de l'ordre de l'exigence : un souci constant de qualité architecturale. Ainsi,
déclare-t-il : "Je suis dans une réalité sociale mais s'il y a des choses
que je ne veux pas faire, je ne le fais pas"[360].
"J'essaie d'avoir une production qui soit la plus intéressante possible,
dans la mesure des compétences, de ma structure, etc..."[361]
Il s'agit d'assumer sa production : "Je n'ai pas envie de changer de
trottoir par rapport à un bâtiment que j'ai fait"[362].
Nous le percevons, une des énergies motrices est son exigence
qualitative :"Je suis mû par le hasard et aussi par une certaine
volonté... et je pense que la recherche de qualité est partagée avec des
intensités variables"[363].
Enseigner
participe pour lui d'une même intention, à savoir : promouvoir une attitude, un
regard qualitatif sur l'espace, mais aussi s'affranchir de la normalisation et
permettre le respect et l'éclosion de la singularité. Cet architecte se
remémore. "Initialement quand je suis rentré en tant qu'enseignant (aux
Beaux-Arts), je m'étais donné trois chevaux de bataille. Je me suis dit, je
ferais de l'histoire en rapport avec la culture générale, enfin, culture dans
le domaine de l'architecture; je ferais du "projet" et puis
j'essayerais d'aborder le problème du point de vue un petit peu théorique en
décortiquant un peu les choses; le problème du sens, le problème de la
représentation, le problème du signifiant... tout cela"[364].
Et en définitif, à travers le récit qui suit, nous nous demandons, si la
première attitude à préserver dans le cadre de l'enseignement n'est pas le
respect de la singularité, face à une normalisation dessèchée et laminante.
Suivons ce témoignage. "C'était à l'occasion d'un recrutement national.
L'épreuve d'histoire de l'art était établie sur un modèle universitaire qui ne
correspond pas aux écoles d'art, qui ne correspond pas du tout au profil du
praticien... si cela devait se faire, se poursuivre, cela évacue... cela
normalise totalement, cela évacue toute la singularité et la plupart des gens
qui n'ont pas suivi un itinéraire normalisé... c'est complètement fou"[365].
-
Ce témoignage s'appuie essentiellement sur une pratique des concours avec la
recherche constante d'une qualité architecturale. Tout au long de son récit,
cet architecte évoque d'une part, la nécessité de "coller au terrain"
pour développer un regard sensible et d'autre part, analyser le programme qui
parait être une préoccupation majeure bien que "ce qu'il y a de terrible
dans les programmes, c'est que l'on ne parle pas d'architecture. C'est
sec!"[366].
Ainsi,
le programme n'est pas ressenti comme un outil de réflexion. En effet, "si
on s'arrête strictement à l'analyse du programme, cela ne marche pas"[367].
En revanche, "le programme est très déterminant"[368],
qualifié de très, très important. Il ne se passe rien de particulier à la
lecture, il représente juste une prise de connaissance dont les deux tiers sont
à extraire par leur manque d'intérêt et le tiers restant traite d'un
"semblant de composition architecturale". L'élaboration du programme
réclame par souci de rigueur, de ne pas induire quoi que ce soit. "Un
programme devrait-être nourri de qualités d'espace, en mots. Justement un
programme, il faut que cela reste des mots. Ce ne sont surtout pas des schémas,
même pas des flèches et encore moins des esquisses"[369].
"Il ne faut pas que cela soit transposé spatialement"[370].
La
plus grande difficulté ressentie est sans doute le manque de latitude, de
"marge de manoeuvre" face aux règlements d'urbanisme, règlementations
incendie, handicapés, règles d'hygiène et de sécurité, etc ... "on n'a
tellement pas de liberté . Il y a des règles générales et je le comprends...
mais je ne comprends pas que l'on ne puisse pas s'échapper des règles si le
projet répond à une qualité qui ne va pas du tout dénaturer l'environnement
proche mais au contraire, mieux le respecter"[371].
Aussi,
nous le sentons au travers de son
discours, cet architecte "essaie de savoir ce qui est mauvais dans
la constitution du programme"[372]
ou se "réjouit" lorsqu'il se rappelle : "Plus il y a de pauvreté
dans le programme, plus j'ai tendance à sortir du programme"[373].
Il ajoute : "Quand je trouve en face de moi des choses qui sont contraires
à l'enrichissement, à l'élargissement du projet, j'essaie de me défendre au
mieux pour m'en écarter. Je crois que c'est notre travail"[374].
Nous entrevoyons le rôle essentiel de l'architecte : donner l'esprit au projet
n'incombe pas aux programmateurs ; c'est dans tous les cas,
"l'architecte qui l'imprime". Il conclue ainsi : "Souvent, un
projet naît de ces espaces intermédiaires où d'emblée je suis obligé de
m'écarter du programme"[375].
Nous
avions le sentiment, en écoutant cet architecte, qu'aborder le programme avec
les contraintes énoncées, était pour lui quelque chose de fécond, un tremplin
qui permettait de rebondir sur ce qui peut -être n'avait pas été dit ou n'était
pas juste. Il acquiessait vigoureusement : "absolument ! absolument...
souvent je crois que c'est bien de le faire et je continuerai à le faire"[376].
Enfin,
il est capital de souligner que ce qui va permettre "d'imprimer un esprit
au projet", est sans doute d'amasser un maximum d'informations. Et là,
nous nous situons dans l'analyse sensible qui puise à la source : le maître
d'ouvrage ou les usagers et le terrain. Lors de la rencontre sur le lieu même
"le stade des questions est très important, car c'est là que l'on peut
rattraper le programme[377]".
Et parallèlement, sur place, le terrain nous permet "d'enregistrer la
qualité de l'espace"[378].
Cet architecte tente de capturer ce qui "passe rarement par des mots. Je
ne me sens pas littéraire. Je prends tous les moyens possibles autres que les
mots, il me semble.Il me reste... la sensation physique"[379].
Placé
au coeur de ces deux approches : analytique et sensible, bien qu'animé du
"besoin de résumer sur une seule page pour voir tous les besoins, pour
visuellement prendre tout d'un seul coup"[380],
cet architecte déclare : "Dans un premier temps, il ne faut pas être
pressé et se mettre en retrait par rapport au traitement de l'information"[381].
En effet, celui-ci cherche dans un premier temps, ce qu'il nomme une
"force", "un élément qui va se détacher du reste de
l'information et qui va donner le
premier jet"[382].
Cette distanciation lui paraît essentielle ; elle permet d'éviter d'être trop
sage, d'apporter une réponse un peu cartésienne, un peu analytique. Car
"au départ, on analyse trop, on intellectualise trop les choses et on n'a
pas trouvé la force, la colonne vertébrale qui fait que les choses tiennent la
route[383]".Aussi,
il le rappelle à maintes reprises : "Il ne faut pas être pressé"[384].
"Il ne faut pas être trop rapide à dessiner"[385].
Dés
lors, que la force surgit "le projet se dessine en deux secondes, très
vite, en un clin d'oeil, je sais ce qu'il faut faire, et c'est vraiment
solide"[386]. Ce dessin
peut permettre de s'orienter, de s'appuyer, de s'insérer , de se greffer. Bref,
"la première esquisse est la réponse du tout"[387].
Prendre le temps, c'est probablement la contre partie nécessaire pour trouver
l'essentiel, retirer l'essence, faire ce travail d'unification.
Cet
architecte qualifie le travail de concepteur, de "travail de compositeur,
je n'aime pas le mot de création parce que c'est trop fort... Composer, je sais
ce que cela représente ; on est plus ou moins habile, on s'éduque, on se
cultive... Mais composer, c'est notre spécificité"[388].
Mais, que signifie composer ? "Composer ?... cela veut dire assembler avec
goût, avec élégance, avec cohérence. Ce n'est pas de la réflexion. L'art de
composer, c'est un travail du tout"[389].
Ainsi, il réaffirme ce qu'il considère comme la "spécialité première"
de l'architecte : "Rechercher une composition spatiale, personne d'autre
ne peut le faire ; ni les entreprises, ni le maître d'ouvrage, ni les
ingénieurs..."[390].
Il s'empresse d'ajouter : "Il est très essentiel de faire comprendre que
si on touche quelque chose, on bouge tout"[391],
et que "si on vient bousculer les trois quarts d'un bâtiment, c'est un
viol"[392]. C'est ce
qui confère également au travail de l'architecte, une absence de liberté
extra-ordinaire à savoir, cette liberté de modifier l'oeuvre architecturale
pour tout un chacun détenant un pouvoir politique ou financier. Pourrait-on
imaginer qu'un chef d'orchestre s'octroye la liberté de modifier une
composition musicale, de supprimer un violon pour des raisons financières, ou
d'extraire quelques accords ou quelques notes ? Cela semble tout simplement
inimaginable.
IV -
L'ETHIQUE DU PEDAGOGUE
"Il n'y a plus de traités d'architecture
affirmant péremptoirement ce qu'est la ville, ce qu'est l'espace, ce qu'est la
construction. Cette absence de théorie universelle semble renvoyer même à
l'érosion des conditions nécessaires à son élaboration. Mais l'impossibilité
d'un consensus permet l'émergence d'une multiplicité de démarches particulières
qui n'en demeurent pas moins de véritables machines à penser
l'architecture"[393].
C'est ainsi que Richard Scoffier introduit ces "Entretiens avec
Portzamparc, Hauvette, Tschumi". Le déconstructivisme a souhaité
s'affranchir plus ouvertement des règles. Ce courant n'a-t-il pas édicté
d'autres lois ? Dans tous les cas, il a probablement contribué à amorcer une
petite mort des idéologies.
De quoi s'agit-il ? D'une absence de théorie
universelle et simultanément d'une multiplicité de démarches particulières. La
pédagogie a-t-elle d'autres ambitions que : voir se révéler autant d'attitudes
créatives, de regards singuliers, voir s'exprimer et s'épanouir autant d'êtres.
Pourquoi une éthique ?
Parce que l'éthique se place du côté de la question
; donner des règles, imposer des interdits ne s'inscrit pas dans sa logique. En
effet, la logique de l'éthique est interrogative. C'est la pratique ou l'action
qui engendre et nourrit la réflexion éthique.
Elle soutend la notion d'engagement avec ses
fondements : questions, doutes, inadéquations, errances... Il y a sans doute la
recherche d'une ouverture à la multivocité du sens qui suppose de : s'extraire
de l'urgence, compter sur la patience du sens et renoncer à la rage de conclure
à toute forme de vérité.
Pédagogie vient du grec paidagôgia qui signifiait : "direction, éducation des
enfants". Au début du XVIIe siècle, la pédagogie est définie comme
"science de l'éducation des jeunes"[394].
Antoine de La Garanderie la présente aujourd'hui comme "science des
projets" et bien au-delà il rappelle à tout pédagogue la nécessité de
repérer ses propres attitudes afin de ne pas les induire, ne pas les projeter
sur les élèves. Il semble capital de prendre conscience du rôle
d'accompagnateur du pédagogue dont l'enseignement ne constitue qu'un regard
proposé, offert.
Conduire pour un temps, tel est le rôle du pédagogue
sans omettre que "nombres de recherches et de réalisations les plus nobles
de l'esprit sont étroitement liées à l'aptitude que possède l'homme de faire
l'expérience du paradoxe et c'est pourquoi dans son dernier livre, (Bateson)
considère que le jeu et la création doivent être envisagés comme un seul
phénomène".[395]
La fantaisie semble présentée ordinairement comme
une voie privilégiée pour accéder à la poésie, non à la connaissance.
Cependant, la fantaisie semble posséder
une vertu : nous chuchoter la nécessité de ne pas supposer le sens
acquis et ainsi de nous aventurer sur le
chemin du sens afin de rechercher comment l'intuitionner.
La pédagogie peut-elle nourir une plus belle
ambition que redonner à l'enfant ce qu'Antoine de La Garanderie nomme : le
"feu du sens" ?
Nous sentons dès lors que présentée seule comme
science, réduit la dimension de la pédagogie, son ambition et les moyens
auxquels recourir. En effet, si l'imagination nous parait indispensable dans
tout apprentissage, il lui revient une place de choix dans le travail de
conception de l'architecture. Outre des qualités intellectuelles nécessaires
telles que : l'anticipation, l'habitude de conduire des stratégies à long terme
et un sens de la déduction, l'architecte s'appuiera solidement sur un univers
onirique qu'il nourrit et habite, afin de conduire insensiblement son
imaginaire vers sa mise en forme.
Ces dimensions oniriques et imaginaires ne pourront
s'explorer, s'élaborer et se dilater qu'à l'occasion d'un dialogue dont la
forme sera avant tout incitative et non dogmatique. Seul un climat d'empathie,
de congruence et de respect permettra à l'individu en apprentissage de mettre
au jour, de "mettre à nu", ce qui l'anime dans les profondeurs.
Nous désirons rechercher un "outil" qui ne
serait ni une "technique", ni une "méthode", ni un
"système" et encore moins une "théorie", peut-être une
expérimentation qui s'appuyant sur l'expression intuitive, permettrait la
verbalisation et l'élaboration d'une communication spontannée entre élèves et
pédagogues, dans un apprentissage toujours renouvelé. En suivant l'étymologie
de "pédagogue", il nous semble pouvoir éclairer la position du
pédagogue par rapport à l'élève. En effet, issu du grec, paidagôgos, le pédagogue était "l'esclave chargé de conduire
les enfants à l'école"[396].
La conduite de cette relation, nous le percevons, s'apparente à celle du guide
qui ambitionne l'autonomie de l'enfant et suppose en conséquence de penser
l'effacement. Effacement qui ouvrira une lattitude nécessaire à l'émergence
d'esprits novateurs.
Ainsi, sera-t-il permis au pédagogue de vérifier ce qu'énonçait
Pascal dans ses Pensées : "A
mesure qu'on a plus d'esprit, on s'aperçoit qu'il y a plus d'hommes
originaux"[397].
Dans ces intentions, nous ne mentionnerons pas
l'apport culturel. Ce n'est évidemment pas par désintérêt, bien au contraire.
L'une des missions du pédagogue doit permettre l'accès à la culture ; mais pas
de manière forcenée. Il nous semble capital, pour qu'une assimilation de
l'apport culturel puisse s'opérer, que l'individu en apprentissage ait pu faire
l'expérience du sens en amont, ayant redécouvert la confiance en lui-même.
Mais, ce qui vient d'être énoncé, nous parait
relever du consensus. Afin d'y répondre, nous avons élaborer des propositions
pédagogiques qui répondent à cinq temps dans l'espace de la découverte.
1 - Kaïros - le
moment opportun : Laisser du temps
au temps
2 - La dimension poétique : Nourrir l'évocation
3 - La recherche du sens : Développer la verbalisation - la visualisation
4 - La valeur du geste : Incarner la pensée
5 - L'ouverture à l'imaginaire : Susciter un éveil critique
Pour illustrer cet enseignement, nous désirons nous
appuyer sur une expérience récente vécue avec une quinzaine de jeunes âgés de
16 à 19 ans, préparant un BEP de collaborateur d’architecte. Nous engagions
l’année par un travail destiné à réveiller leurs aptitudes évocatives. Par
ailleurs, nous relaterons des expériences vécues à l'école des Beaux-Arts en
section "architecture intérieure" où nous enseignions aux troisième
et quatrième années.
Ainsi, après avoir décrit la pratique de
l'architecte et procéder à une analyse de leur fonctionnement permettant
l'élaboration de l'esquisse, nous tenterons à partir des connaissances
engrangées, de nous engager sur des propositions pédagogiques. Par la même, nous
témoignerons de nos expériences d'enseignement et du passage à l'acte
pédagogique ; avec l'ambition première d'accompagner les élèves ou étudiants
vers la découverte de leur être, de leur créativité et de leur singularité.
1 - KAIROS - LE MOMENT OPPORTUN
"Laisser du temps au temps"
Les grecs "élevaient le moment qui fait sens au
rang des organisateurs de l'être"[398].
Auprès de Chronos qui engendre et
dévore (symboliquement sans doute ce que nous sommes en train de vivre en cette
fin du XXeme siècle) se tenait dans l'ombre Kaïros, dieu du Moment opportun. Pour Elie G.Humbert "Le
moment est un temps défini par la qualité et non pas la durée. Sa nature
temporelle est constituée par l'effet de sens"[399].
Ceci nous semble fondamental. En effet, si nous
voulons que le sens émerge et qu'il soit un produit né de la conscience, il ne
s'agit pas de vouloir décider du sens à la place de l'élève, mais d'entrer en
communication par une écoute attentive, une observation discrète. Conduire
l'élève à "reprendre contact avec le champ perceptif où vivent à l'état
"latent" les sens"[400].
Ce parcours réclame de la part de l'élève de retrouver le chemin de sa propre
écoute, de reconnaître son intériorité. Il peut remonter vers ces perceptions
premières, mémorisées et inscrites dans le corps.
Merleau-Ponty nous parle de la double rencontre du
monde et du corps, à la source de tout savoir, en ces termes : "Un corps
humain est là, quand entre voyant et visible, entre touchant et touché, entre
un oeil et l'autre, entre la main et la main se fait une sorte de recroisement,
quand s'allume l'étincelle du sentant sensible..."[401].
En recul, attentif et ouvert, l'élève découvrira que
"le présent où se vit l'expérience du centre est fait à la fois d'une
tension entre l'anticipation et l'actualité et d'une disponibilité à
l'inconscient"[402].
Animé par le désir d'introspection, il se gardera de toute agitation et
cherchera le silence.
Cette attention, cette disponibilité intérieure
n'excluera pas le projet de sens latent : elles contribueront à créer cette
vacuité, ce temps de recul nécessaire afin de s'extraire des sollicitations
extérieures. Il s'agira sans doute pour le pédagogue d'aider l'élève à trouver
le chemin de l'anticipation. Temps ou espace, où ce dernier se parlera ou se
visualisera avec une conscience intérieure sans interférences extérieures.
Pour le pédagogue, l' attitude sera empreinte
d'effacement. Il conduira chaque geste, à travers un temps qui sera nourri par
un espace de silence. Seule cette "vacuité" satisfera à ce
"besoin d'un temps de neutralisation du monde"[403],
propice à créer une détente mentale, une latence interne active née de la
rupture de rythme. "On ne peut étudier que ce que l'on a d'abord rêvé. La
science se forme plutôt sur une rêverie que sur une expérience et il faut bien
des expériences pour effacer les brumes du songe"[404].
C'est ainsi que Bachelard nous invite à rêver : moment essentiel durant lequel
s'élabore le projet de sens ; temps béni pour sortir de la crispation et éviter
l'enfermement dans l'impératif de la consigne. Il s'agit d'un temps suspendu,
un temps d'expansion de la dimension onirique, une incitation à la flânerie...
Respect de l'enseigné,
Respect du moment,
Respect du silence.
"Le présent n'est qu'un passage fugace entre le
passé et le futur. Il est la seule existence. Le temps qui s'écoule... est un
présent qui se développe. Un présent qui tâtonne, cherche son chemin, se
reprend, invente"[405].
Nous arrivons sur les rives d'un fleuve impétueux
qui porte vers de vastes étendues : l'imagination avec sa fantaisie, sa
spontanéité, sa liberté temporelle. L'éducateur se présentera comme un passeur
soucieux "d'ouvrir sa pensée interrogative afin que l'enfant puisse faire
jouer les harmoniques de son imagination"[406].
Une présentation de la réflexion théorique de
Kandinsky sur le point, la ligne et le plan nous permettait d'introduire les
principaux éléments de représentation en architecture dans l'élaboration des
plans. Suivie d'une projection de diapositives sur divers travaux plastiques
contemporains : dessin, peinture, sculpture, nous avons proposé aux élèves
d'inventer et de rédiger : "l'histoire de la rencontre d'un point avec une
ligne", texte qui servait de "tremplin" à la réalisation d'une
représentation graphique de l'histoire en deux ou trois dimensions.
A l'occasion de ce travail proposé dans un cursus
d'apprentissage, il nous a été donné de mesurer combien de difficultés
surgissent ; l'un d'entre eux dont l'histoire écrite nous semblait structurée,
claire, riche de nombreuses images, se trouvait dans l'incapacité de passer à
la représentation. L'énoncé oral posait problème et témoignait presque d'un
refus de livrer le potentiel évocatif contenu dans le récit même. Une forme de
pudeur nous était opposée sous forme du refus de communiquer, de se dire. Cette
attitude empreinte de peurs indicibles : peur de se dévoiler, peur de se
surprendre, peur de se laisser aller à la découverte, nous intimait le respect.
Ainsi, l'élève avait besoin alors d'anticiper de l'intérieur la communication
ultérieure vers l'extérieur. Nous le voyions "se redire dans sa
tête", nourrir ce dialogue intérieur avec lui-même pour lui permettre de
dépasser sa peur de la rencontre avec autrui. Il rejoua le texte autant de fois
indispensables pour enfin extérioriser ce qui s'exprimait si spontanément à
l'écrit.
A force de patience, d'écoute des murmures, des
silences et des soupirs, à force d'accompagnement, de cheminements conjoints,
cet élève découvrait la richesse de l'énoncé, le charme des évocations et le
plaisir du partage avec soi et de la rencontre avec autrui.
Dans ce même contexte d'apprentissage, nous avions
introduit une recherche sur l'évocation et sur l'espace de la maison
individuelle par les travaux de Gaston Bachelard et notamment le chapitre sur
la maison : "de la cave au grenier"[407].
Après avoir énoncé la symbolique contenue dans chaque espace et leurs
puissances évocatives, nous avions conduit les élèves à rechercher le potentiel
évocatif qui les habitait.
A l'origine, déconcertés, leur vie ne semblait pas
contenir de souvenirs "dignes du moindre intérêt " ; l'un d'entre
eux, déclarait même avec véhémence qu'il n'avait connu aucun lieu où il lui avait été donné de vivre des
événements capables de teinter ou d'imprimer une coloration particulière à son
vécu présent. Certains d'entre eux commençaient à se prêter au jeu, lorsque
avec un élan étonnant, sortant de son attitude de fermeture, du blocage quasi-
"affectif" qui l'opressait, Jérôme exultait : "je me souviens,
j'allais chez ma tante à Rennes, qui habitait une très grande demeure, avec un
grenier immense, une très vieille charpente et un monceau de vieilleries...
quand j'allais là-bas, je jouais toute la journée dans ce lieu". Dans le
cas présent, il semble que la communication établie librement entre les
individus ait suscité chez lui le désir de ne pas se sentir isolé, réveillé les plaisirs passés, les ait ravivé
pour les partager et se les donner à "vivre de nouveau". Ici,
l'attitude du pédagogue est déterminante. En effet, c'est l'absence de
pression, de contrainte qui crée les conditions d'expression spontanée. Le
détachement authentique de l'enseignant, consentant même à ne recueillir aucun
témoignage, ouvre la voie à la libre expression.
Nous voudrions enfin rapporter l'expérience de Simon
qui semble ne pouvoir trouver une issue qu'avec l'appui du temps :
Concevoir un escalier destiné à mettre en
relation un espace de vie dont la
fonction était à déterminer et un espace capable d'abriter les rêves ; tel
était le sujet proposé aux élèves de première année de BEP dessinateur en
architecture. L'un d'eux proposait de relier une cabane de pêcheur sur une
plage en contrebas à une sorte d'observatoire implanté en haut d'une falaise.
L'escalier envisagé prenait naissance à la base de la falaise, de façon
souterraine, de sorte qu'il était nécessaire d'extraire la roche pour créer ce
passage. Avant d'arriver à l'observatoire, il émergeait aérien à la lumière, à
mi-chemin pour arpenter librement les derniers mètres. Soucieux de travailler
cette articulation de l'escalier, cette zone franche entre espace intérieur et
espace extérieur, l'élève se voyait "bloqué", conscient selon ses
propres termes, "de se livrer", de "se mettre à nu".
La dimension symbolique exprimée dans la mise en
images lui semblait relever de l'impudeur et lui porter atteinte.
Désireux de proposer une recherche spatiale
accompagnée d'un "rendu" graphique, nous ne pensions pas nous
confronter à de telles difficultés. Simon nous expliquait comment, en raison
d'une situation familiale difficile, il avait été amené à dessiner et à voir
ses dessins analysés par les psychologues, de sorte que chaque expression,
chaque trait, chaque geste, chaque mot dévoilaient plus sur lui-même qu'il
n'aurait jamais désiré confier.
Dès lors, nous mesurions que toute expression le
trahissait au-delà de son désir. Nous nous rappelions néanmoins qu'à l'occasion
d'un autre sujet, il avait préféré la mise en oeuvre d'une maquette en trois
dimensions à la figuration par l'image demandée.
Aussi, nous lui proposions de travailler les
matières en trois dimensions jusqu'à élaboration d'une mise en espace, d'une maquette.
Dans le cas présent, ex-primer, sortir de soi
représente un dévoilement. L'expression réfère à la mémoire d'une situation de
crise, à une histoire. Il s'agit de révéler les aptitudes présentes par
l'écoute attentive et le respect de ce qui est énoncé sans jugement. Il importe
de conduire cet élève vers la réconciliation, la reconnaissance de lui-même,
valoriser ses points forts par l'ouverture à un autre outil : vecteur momentanné,
ceci avec l'appui du temps et animé d'une sincère et profonde empathie.
L'acte de créer est un geste si simple et si
difficile à la fois. Il soutend la faculté de laisser place au vide en nous, de
laisser émerger librement ce qui nous habite secrètement et d'accepter
l'éclosion de ce que nous pressentions, mais n'imaginions pas. "L'objet
est d'apprendre, non comment trouver son chemin, mais comment le perdre"[408].
Le temps est suspendu, le moment opportun est là. Entre le temps cyclique qui
anticipe, dans une certaine mesure, les développements inconscients et le temps
linéaire qui permet la projection, le moment opportun empreint de sérénité
ouvre à cet éveil, cette intuition du sens qui surgira soudainement avec la
puissance de l'éclair.
2 - LA DIMENSION POETIQUE
" Nourrir l'évocation"
"Un univers fait d'imagination sans limite et
de critique sans fin, où le jeu consistait à inventer sans cesse un monde
possible... faire des expériences c'était donner libre cours à toutes les idées
qui me traversaient la tête. C'était fabriquer sans cesse de nouvelles
"petites lumières""[409].
C'est en ces termes que François Jacob parle de son entrée au laboratoire
d'André Lwoff à l'institut Pasteur :
petites lumières,
éclair,
étincelle, autant
de mots, autant de signes, autant de témoins d'une activité évocative qui puise
aux sources de la mémoire avec l'appui des sens. Et cette mémoire, "quel
sac à malice que la mémoire ! Quel piège à images ! Ce qu'on y cherche on ne le
trouve pas. Mais on y trouve ce qu'on ne cherche pas[410]":
l'inédit. L'inédit ne réside-t-il pas dans l'assemblage, la connection, le
lien, l'union, la liaison d'éléments antagonistes ? Nous aimerions faire l'éloge
de l'aléatoire ou de ce qui semble l'être. Prendre le risque du hasard ou de
l'incertitude et jouer. Et voici sans doute une clé, la clé de voûte de la
recherche poétique.
Mais tout ceci peut paraître confus et pourtant nous
distinguons un fil conducteur entre ce jeu d'allers-retours, entre perceptions
et évocations et cette accession à l'image évocative ou image poétique.
Bachelard l'affirme : "L'image est avant la pensée"[411].
Il ajoute qu'elle "émerge dans la conscience comme un produit direct du
coeur, de l'âme, de l'être de l'homme saisi dans son actualité"[412].
Il s'agit bien d'une passerelle entre perceptions et
mémoire vive qui compose dans l'instant ces évocations. L'écho d'un passé qui
trouvant sa résonnance permettra à son tour l'émergence d'un langage à travers
l'image poétique. "Enrichir pour moi", nous dit Peter Eisenman dans
son entretien avec Charles Jencks, "ce n'est pas donner à quelque chose
une valeur nouvelle, c'est dévoiler ce qui a été dissimulé par de vieilles
valeurs"[413].
Nous le pressentons, cette ouverture aux évocations
qui émaneront de l'individu lui-même, ouvre à la découverte d'un nouveau
regard, à la reconnaissance d'une vision singulière. Nous rejoignons Antoine de
La Garanderie lorsqu'il définit le devoir de l'éducateur comme une ouverture
"à la perspective de l'oeuvre personnelle"[414]
et invite "à favoriser le passage de l'image passive à l'image active de
soi"[415].
Favoriser l'investissement personnel de l'élève
conduit ce dernier à s'éveiller, à ne pas être dépendant d'une imprégnation
culturelle et à échapper à un déterminisme. Il s'agit sans doute de permettre
l'accès à l'être dans ses profondeurs afin de "forger des regards qui ne
soient pas ceux d'une contemplation consommatrice d'images verbeuses et
impuissantes à produire la transformation des choses"[416].
Ne pas être dépendant du perçu, ne pas être prisonnier des concepts, afin de
laisser éclore cette image née du retentissement intérieur.
L'expérience de Karen est à ce titre exemplaire.
A l'issue de sa quatrième année d'études en
architecture intérieure aux Beaux-Arts, Karen décidait de concevoir la mise en
espace de chacun de nos cinq sens dans cinq volumes cubiques de dimension
identique, de cinq mètres de côté. Après avoir réalisé un travail créatif de
grande qualité, à la veille de sa soutenance, elle nous téléphonait affolée ;
en effet, tentant de répéter sa présentation orale, elle ne trouvait plus ses
mots. L'ensemble de ses motivations originelles s'étaient évanouies, son
parcours conceptuel même s'était éffacé. Elle n'avait plus accès à ses
capacités d'expression, de communication, en vue de transmettre son projet.
Karen se trouvait en réalité, en situation de
blocage. Elle ne s'estimait pas "à la hauteur" face au formalisme de
l'épreuve orale. Aussi, chaque tentative énoncée était ressentie comme
miséreuse, laborieuse et en définitif inadéquate. La richesse de ses évocations
visuelles qui était le moyen privilégié pour construire son travail, se
heurtait à sa maladresse verbale.
Consciente que sa conception était intimement liée
avec la pratique corporelle de l'espace, nous lui proposions de bien vouloir
fermer les yeux et de reparcourir mentalement l'espace, de retouver les
sensations projetées spacialement afin d'éveiller le corps. Ainsi, à mesure que
l'espace était ré-évoquer en pensée, les mots surgissaient à nouveau, justes,
percutants et évocateurs. Traversant ce volume conçu sur le
"toucher", sentant cette forêt de tiges souples et flexibles
effleurer ses hanches, elle avançait dans l'obscurité, les mains en éveil, en
aveugle soucieuse de capter autant d'indices pour se frayer un chemin, une voie
d'accès à la mise en mots, au verbe.
Nous saisissons immédiatement la nécessité
impérative de l'évocation. Ici, ré-évoquer permet de ré-incarner pour retrouver
le sens. Karen, pour accèder aux mots, doit passer par l'évocation visuelle.
Ainsi, fermant les yeux, l'image visuelle reconnecte au fil conducteur du sens
et lève le blocage de l'expression mentale. L'image visuelle agit comme un
déclencheur du mot, ouvre l'accès au verbe.
Ceci préfigure une situation, mais nous le savons,
dans cette élaboration, chaque relation, chaque expérience pédagogique requiert
écoute et créativité. En effet, il y a autant de contextes que d'individus, de
démarches que de moments. Il n'y a aucune "recette", tout juste le
désir ultime de trouver l'outil qui permettra de rejouer l'expérience de
manière positive. Aussi, nourrir l'évocation réside sans doute dans la capacité
du pédagogue à ouvrir très largement ses références, à ne pas induire de schèmes
réducteurs, à ne pas court-circuiter l'éveil qu'il suscite afin que l'enseigné
puisse accueillir ce "soudain relief du psychisme"[417]
qui donnera naissance à l'image qui "a touché les profondeurs avant
d'émouvoir la surface"[418].
Marcel Jousse nous renvoie à l'essence de la mémoire
en ces termes : "mes Mémoires constituent mon oeuvre écrite. Mais le
volume primordial, inépuisable, il est en vous, dans la prise de conscience de
votre être profond"[419].
Comment éveiller l'être, comment accompagner
l'individu vers cette dimension primordiale qui l'habite.
"A ma grande surprise, ceux qui atteignaient
l'inattendu et inventaient le possible, ce n'était pas simplement des hommes de
savoir et de méthode, c'était surtout des esprits insolites, des amateurs de
difficulté, des êtres à vision saugrenue. Chez ceux qui occupaient le devant de
la scène venaient souvent se déployer d'étranges mélanges d'indifférence et de
passion, de rigueur et de bizarrerie, de volonté de puissance et de naïveté.
C'était le triomphe de la singularité"[420].
A l'occasion du sujet proposé à des élèves dans le
cadre d'un cursus d'apprentissage : "Récit de la rencontre d'un point et
d'une ligne", voici l'un des textes recueillis :
"Dans un lointain pays inconnu vivait une tribu
appelée : les points. Ils vivaient heureux et en parfaite harmonie avec la
nature. Mais un jour des hommes appelés : lignes, découvrirent ce pays et
l'envahirent. Ils enfermèrent tous les points dans des prisons.
Un jour, une jeune ligne et un jeune point tombèrent
amoureux. Malheureusement ce dernier était esclave du grand chef point, le père
de la jeune ligne. Un jour, il apprit que les deux jeunes gens s'aimaient. Il
entra dans une terrible colère et interdit à la jeune ligne de revoir le jeune
point. En effet, les lignes ne devaient absolument pas côtoyer la tribu des
points parce qu'ils étaient tout simplement différents.
Les deux amoureux s'enfuirent sur une île déserte où
là, ils eurent plein de petits enfants qu'ils prénommèrent tous : Note de
musique".
Ce récit ne fût pas représenté par un dessin. En
effet, l'élève n'arrivait pas à dessiner. Il se trouvait en situation de
blocage, persuadé de "ne pas savoir dessiner". Nous lui demandions
après avoir longuement discuté de passer outre ses difficultés, à la
représentation graphique. Les images visuelles concrètes étaient bien présentes
dans sa tête. Le médiateur privilégié pour se "dire" était l'écrit.
L'usage même du crayon ou de tout outil destiné à dessiner, engendrait une
paralysie. En effet, la confrontation à une expression graphique supposée a priori maladroite, avait réduit l'élève au mutisme. La découverte d'un
nouvel outil d'expression comme le collage paraissait inespéré et réouvrait la
voie possible d'une mise en image. Il s'agissait de composer le sens de
l'histoire, par l'assemblage de fragments existants, non connotés, sans
expression personnelle, sans risque de trahir sa sensibilité. Ces parties d'un
tout, extraites et recomposées en vue d'une illustration distanciée et surtout
désaffectivée. Ainsi, il choisit de recourir aux collages d'éléments découpés
dans des revues afin de reconstituer le contexte et le déroulement du récit au
travers d'une image visuelle graphique.
Ici, Antoine vit difficilement son absence de
maîtrise du dessin qui trahit l'image concrète mentale présente. Aussi son
insatisfaction le conduit à se déconnecter. Il lui faut trouver le moyen de
passer d'un espace mental à un espace graphique. Le médiateur pour lui est le
mot. Ainsi, en écrivant il se parle ses images concrètes et construit
temporellement l'histoire. Il est impératif de lui trouver un outil qui lui
serve de lien temporel dans la représentation graphique. Le collage, en ce
sens, lui permet de recomposer l'histoire linéairement et de se parler les
relations qu'il figure sur le collage par des flèches.
Entre ce travail nourricier et ce travail d'éveil,
le pédagogue devra être relié à sa propre dimension poétique et imaginaire,
afin de suivre pas à pas, le rythme de l'inspiration de l'élève, ses chemins
inexplorés, ses voies sans issue, souvent accompagnées de découragement ; il
insufflera à nouveau curiosité, ouverture, passion, pour permettre à l'élève de
"rebondir" et de retrouver par sa propre motivation un nouvel élan ;
il poursuivra avec respect ses renoncements, ses inquiétudes afin de les
dissiper. Il escortera enfin ses aspirations, ses enthousiasmes, voire ses
délires, avec l'ambition d'aider l'élève à constituer ses propres outils de
réalisation.
Mais avant de parvenir à celle-ci le pédagogue a
mission de délivrer le sens contenu dans chaque chose. Avec l'aide de l'élève,
sans induire un sens qui lui serait étranger, l'enseignant ouvrira à l'univers
de la compréhension.
3 - LA RECHERCHE DU SENS
Développer la verbalisation - la visualisation
"Mais d'où viennent les embryons qui
concrétisent un début de pensée ?"[421]
L'interrogation ainsi posée par Christian
Portzamparc lors de son entretien avec Richard Scoffier, illustre cette
nécessaire quête du sens qui soutend chaque projet. Nous l'avons expliqué, le
processus de conception est une médiation et force est de constater
"l'impossibilité d'arrêter une pensée qui change toujours et se nourrit de
ses constants recommencements"[422].
Mais par ailleurs, cette impossibilité suppose le recours à un outil de
représentation accueillant et témoignant de ce processus toujours en marche.
L'alternance entre verbalisation et visualisation de l'objet projeté concoure à
lui donner forme.
Nous étions restés à la constitution des évocations,
formidable creuset dans lequel nous puisons ; une sorte de vieille malle
abandonnée dans un grenier, que nous aurions choisie et restaurée pour
accueillir nos souvenirs, nos désirs, engrangeant nos intérêts récents, nos
constatations, nos interrogations, enfin toutes ces choses, reflets ou échos de
notre rapport à nous-mêmes et au monde.
Voici le temps de s'ouvrir à la compréhension, au
sens.
Parfois cette recherche se heurte à un blocage.
Comment avoir accès au sens ?
De quelle matière première disposons-nous ?
Selon les individus, parfois d'images mentales
verbales ou visuelles, autrement dit de mots ou de représentations graphiques
et parfois de combinaisons mixtes. Ces images sont autant de
"tableaux", riches d'intentions dont la multitude d'indices nous
éveille au sens. Il s'agit de les déceler, de les assimiler afin qu'ils nous
délivrent le sens contenu. L'image est en quelque sorte la restitution mentale
de ce qui a été évoqué. Cette visualisation mentale est essentielle et
néanmoins elle n'exclut pas un recours à la verbalisation capital, notamment
lors de la conception avant l'acte de construire. Un discours certes, qui n'a
pas pour ambition de définir des concepts, mais qui permet l'accès à une
appropriation du sens. Un discours qui analyse, un discours qui mesure, un
discours critique qui engage, un discours intérieur qui enracine. Une sorte
d'alchimie qui s'opère et transmue les évocations originelles en propositions
sensées.
Retraçons le cheminement emprunté par Jérôme à
l’occasion du sujet proposé : relier un espace de vie en rez-de-chaussée à un
espace de rêves dans les hauteurs par un escalier, un élève en première année
de BEP dessinateur en architecture animé du désir de contourner ou de détourner
les sujets, s’empressa d’argumenter que seuls les rêves permettaient de
construire la réalité. Ces rêves dans lesquels on puise pour construire sa vie.
Hergé ne déclarait-il pas : "A force de croire en ses rêves, on en fait
une réalité". Aussi, nous relevions la "contre-proposition" en
demandant le récit d’un rêve prenant corps dans la réalité. Jusque-là, Jérôme
était cantonné dans l’image d’une salle à manger parallépipédique connectée par
un escalier sans qualité à une chambre digne d’une conception pavillonaire.
A compter du moment où nous autorisions, alertée par
la "provocation", un moyen de se ré-approprier le sujet, il parvint à
dépasser la difficulté de se positionner et d’affirmer son intention. En effet,
avec le recul, il nous semble que cet élève avait des difficultés à se situer à
la troisième personne et redéfinir le sujet selon ses propres termes à la
première personne, lui permettait d’accepter et d’accéder au message. Le sujet
énoncé par nos soins était en effet perçu par Jérôme en troisième personne.
Cela suppose en conséquence pour l'élève d'évoquer en troisième personne, à savoir
évoquer des éléments qui sont extérieurs à lui, de les intégrer pour évoquer en
première personne. Ici, Jérôme a du mal à accepter les références d'autrui et
n'arrive pas à évoquer un sujet qui ne vient pas de lui. Il a besoin de se
commenter personnellement, afin de s'approprier le sujet. Le réénonçant en
première personne, il perçoit ses propres références et accède ainsi à
l'évocation. La reformulation par le verbe actif en première personne le
conduisait à s’approprier le sens, à repasser les éléments par son propre jeu
et à se situer plus aisément. Ainsi, il conçut un balcon, origine d’un escalier
hélicoïdal descendant tel une spirale vers les profondeurs sous-marine, dans un
espace digne de Jules Verne creusé dans la roche, avec un regard béant sur la
mer. Pour la première fois, nous échappions sans doute, aux images-clichés
projetées.
Quel est le travail du pédagogue ?
Sans doute engager à émettre des hypothèses toujours
nouvelles, inciter à repérer les similitudes, élaborer une réflexion sur
l'analogie, inviter à déceler les différences ; mais surtout assister l'élève
dans sa difficile assimilation de la complexité, dans la découverte des divers
niveaux de lectures qui se superposent ; le soutenir dans ses réflexions
ardentes en canalisant l'élan vers une clarification du sens. Tempérer ou
activer selon le cas les motivations de l'élève afin que ces efforts de
verbalisation et de visualisation puissent prendre corps, forme, matière et
couleur ; qu'une acuité plus fine et plus subtile pare d'un sens inédit et
profond ses désirs originaux.
Voici le récit d'une expérience vécue dans le cadre
du BEP dessinateur en architecture, sur le même sujet.
Déterminée à relier par l'escalier, son espace de
vie, un petit salon d'été avec terrasse à un balcon suspendu dominant le
paysage alentour pour abriter ses rêves, Fatima projetait aisément ce trajet
dans sa tête. Après avoir réalisé quelques organigrammes, elle se trouvait dans
l'impasse, se voyait dans l'incapacité de représenter en plans, ses
aspirations. Elle cherchait dès lors auprès des autres élèves, informations ou
modèles pour pouvoir calquer ou copier ce qui l'entourait.
Nous lui demandions de tenter une représentation
personnelle. Elle avouait ses difficultés et désirait que nous prenions le
crayon à sa place. Nous refusions et lui conseillions de "se lancer".
Elle se mit à pleurer et nous confiait qu'elle se sentait
"paralysée". Il nous semblait depuis le début de l'année que cette
élève ne se faisait pas confiance. Aussi, nous décidions de la guider pour
mettre en oeuvre les plans. Consciente que la globalité l'empêchait de passer à
l'action, il nous apparût nécessaire pour faire face à cette complexité, de
suivre un cheminement temporel. Aussi , nous l'engagions à décomposer ces
évocations originelles afin de recomposer l'espace à partir de la linéarité.
Nous lui recommandions de "se" parler le parcours et d'accompagner
chaque mot, d'un trait symbolisant ce qui était énoncé. Mot après mot, trait
après trait, les espaces se formaient, le plan se composait. Ainsi,
construisant au fil du temps, Fatima appréhendait l'espace et levait le voile
sur le fil du sens. Quelle satisfaction avons-nous pu lire sur ce visage ayant
dépassé le renoncement et surmonté l'échec.
"L'architecture imaginaire déconnectée de
l'ambition du réel peut vite tourner en rond. Au contraire, l'épreuve du réel
revigore sans cesse la pensée. C'est la grandeur et la misère de l'architecture
face aux arts plus libres... L'architecture n'est pas un langage, et ne se
structure pas comme un langage. Au contraire, d'une certaine façon, elle nous
en délivre. Elle établit un autre type de relation au monde, plus archaïque
sûrement, mais peut-être aussi plus dense, plus fondamental"[423].
Laissons nous conduire dès à présent vers cette voie "archaïque"
telle que la définie Christian de Portzamparc, vers cette appréhension ou cette
compréhension du monde déployée dans le geste.
4 - LA VALEUR DU GESTE
Incarner la pensée
De même qu'il n'y a pas de concept en architecture
sans percept, pas d'idée sans matière et sans espace, cela sous peine d'évincer
le corps, il n'y a pas de pensée architecturale isolée du geste graphique.
Alain Badiou déclare : "L'art n'est pas une
pensée. Il est tout entier dans son acte"[424].
Appréhender l'acte d'architecture en tant que pensée unique serait réducteur.
En effet, le geste développe cette pensée comme prolongement d'elle-même et
réaffirme le désir initial. Plus avant encore, ses gestes que l'homme conserve
en lui comme autant d'expériences, constituent un outil de compréhension, de
mémorisation et un moyen critique direct qui permet une projection future
rénovée.
Pour le pédagogue, en relation avec l'élève, une
vivante compréhension "aurait le singulier avantage de nous ouvrir à la
richesse de leur expression gestuelle et de leurs langues concrètes qui... nous
apporterait, ... de quoi rénover nos pédagogies... devenues exsangues à force
d'intellectualisme desséchant et algébrosé"[425].
Nous évoquions dans la phase précédente la nécessité
de la verbalisation et de la visualisation. Tout pédagogue a un jour pris
conscience de son impuissance, à faire s'exprimer un élève sur un sujet donné.
Nous connaissons les bienfaits de l'expression, sa nécessité mais nous ignorons
parfois la puissance de la matière. Matière qui induit, matière qui enseigne,
matière qui guide, vers cette confrontation impérieuse à nous-mêmes et libère
dans un élan inhabituel l'objet de notre désir, mis à nu au-delà de ce que nous
pressentions. Derrière cette crainte de l'impudeur, "au fond immémorial du
visible quelque chose a bougé, s'est allumé, qui a envahi son corps, et tout ce
qu'il peint est une réponse à cette suscitation, sa main "rien que
l'instrument d'une lointaine volonté""[426].
Entre matière et volonté, la main, outil inouï de
complexité et de sensibilité, s'ingéniera à poser sur la feuille, sans
appréciation qualitative, sans jugement, ce qui l'anime tout simplement. Ces
gestes répétés incarneront les élans et indécisions de l'esprit, les hypothèses
et les doutes induiront des choix et isoleront des propositions. A mesure de
leur expression, ils se chargeront d'un sens, du sens le plus juste avec
l'enjeu, la matière et les individus concernés.
Avant même de percevoir, l'homme doit être en
situation de projet, "pour à l'avance "jeter devant soi" ce
qu'on vise à capter pour soi": c'est à dire l'homme dans ses possibilités
d'être s'éprouve comme transcendance originaire, comme au-delà de lui-même ; il
est le mode du devancement, il est ex-centré, il ek-siste"[427].
Tel l'enfant qui jette devant lui pour s'appréhender lui-même dans sa
relation au monde, l'architecte entreprend cette découverte en projetant ses
images mentales dans le geste libéré et voit s'inscrire ses intuitions de sens, des êtres et des choses.
Ce recours au geste peut sembler nécessaire et ses
vertus indiscutables, il reste que son apprentissage requiert une
réconciliation intérieure : dépasser en quelque sorte la crainte de ne pas voir
s'élaborer harmonieusement nos désirs intimes.
Dans Esthétique,
l'homme est présenté par Hegel comme se constituant "pour soi par son
activité pratique, parce qu'il est poussé à se trouver lui-même, à se
reconnaître lui-même..., dans ce qui s'offre à lui extérieurement. Il y
parvient en changeant les choses extérieures, qu'il marque du sceau de son intériorité
et dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations". Ce
face-à-face est parfois douloureux, souvent vécu comme imparfait ou inabouti.
En revanche, si la réalisation tend vers l'objet recherché, l'émotion est à son
comble.
Si "tout ce qui est fini, parfait, excite
l'étonnement, tout ce qui est en train de se faire est déprécié. Or personne ne
peut voir dans l'oeuvre de l'artiste comment elle s'est faite ; c'est son
avantage, car partout où l'on peut assister à la formation, on est un peu
refroidi"[428].
Ainsi Nietzsche démystifie-t-il la création de l'oeuvre. Et dans les faits,
nous reconnaissons la dimension laborieuse de ce "face à face" à
soi-même avant la libération du geste.
Alors, comment permettre aux élèves d'accéder à
cette pratique ? "Toute théorie
artistique authentique..., reste dépendante d'une pratique créatrice, donc d'une application de la méthode,
pratique à laquelle son destin est
lié, pratique dont elle est presque obligatoirement issue"[429].
En effet, le langage des gestes est à l'origine de l'expression humaine. Il
s'agit donc de se connecter à nos élans primordiaux afin de reconquérir ce que l'être reçoit. Marcel
Jousse dans L'Anthropologie du geste
décrit ses acquis archaïques présents chez chacun d'entre nous : "Cette
réceptivité accumule en lui (anthropos)
les "Mimèmes" des choses, c'est-à-dire le rejeu du geste infligé par
l'objet. De ces Mimèmes, l'homme prend conscience et c'est cela la pensée. Tout
ce qu'on appelle les opérations de l'esprit : mémoire, imagination,
raisonnement, etc... ne sont que des rejeux de Mimèmes conscients ou
inconscients, spontanés ou dirigés, exacts ou combinés ou transposés et
sublimés. Le rejeu est microscopique dans la pensée et le rêve. Il est
macroscopique dans l'action"[430].
Il semble que la voie d'apprentissage nous soit
indiquée. En effet, l'action contient ce processus de rejeu. Aussi, ne
s'agit-il pas pour le pédagogue de construire des situations actives au sein
desquelles l'élève sera amené à intégrer une gestuelle corporelle inscrite dans
l'espace où dans un premier temps, le jeu seul constituera le moteur ?
Instituer en quelque sorte un mimodrame où désirs et gestes s'accompagnent
jusqu'à conduire à l'essence de l'être. "Le jeu est la meilleure voie,
voire la seule voie de l'initiation au plaisir esthétique, ... et à la mise en
cause des opinions et des idées toutes faites"[431].
Martine Maninas Bousquet introduit par ces termes la nécessité impérative de
constituer des espaces d'apprentissage ludique et critique en vue de développer
l'imaginaire et d'ouvrir largement la porte à la créativité.
Animée de cette ambition, nous avons proposé le
travail qui suit, en troisième année à l'école régionale des Beaux-Arts, en
section architecture intérieure. Nous désirions développer la pratique du geste
créatif des étudiants. Pour ce faire, nous leur demandions de choisir un air de
musique et transcrire tempo, rythmes et sonorités en matières, couleurs et
lumière dans un objet en trois dimensions.
L'un des étudiants, choisi la bande originale du
film : "Délivrance". La mélodie d'un banjo introduisait le thème. Un
banjo lui répondait sur une autre tonalité et ainsi de suite, la conversation
s'établissait alternativement et réciproquement jusqu'au subtil accompagnement.
Stéphanie entreprit de réaliser deux socles. Sur
chacun d'eux s'ancrait un fil de métal : l'un d'eux était d'acier, froid et
rigide, l'autre était de laiton, chaud, souple et lumineux. Elle projetait de
les élever dans l'air, isolément, chacun à leur tour. Ils dansaient, aériens,
chantants, ils virevoltaient. A la rencontre de ces deux voix, ces fils or et
argent, élancés, entreprirent une ronde de voluptes. Affranchis de la
pesanteur, ils entamèrent une valse à deux temps, une valse à mille temps...
Ce sujet, nous permit de faire travailler
l'évocation visuelle à partir de perceptions auditives. La musique révélait à
mesure de son déroulement des images visuelles de mouvements aériens, à n'en
pas douter et le geste incarnait dans la matière cette danse. la représentation
du mouvement inscrite dans cette sculpture délivrait et transcrivait plus
subtilement que des mots, les perceptions auditives originelles.
Ainsi, le choix du sujet même, conduisait à explorer
l'éveil du sens auditif en vue de nourrir l'évocation qui selon les étudiants
pouvait être verbale, visuelle, visualo-verbale, ou verbalo-visuelle. Mais
l'évocation servait de tremplin à la réalisation d'un objet fait de matière et
modelé par les mains. Nous tentions d'approcher l'expérience de l'artiste que
Kandinsky énonce en ces termes : "L'artiste est la main qui, par l'usage convenable de telle ou telle
touche, met l'âme humaine en vibration"[432].
Parfois, notre regard frémissait au plaisir de la
découverte.
5 - L'OUVERTURE A L'IMAGINAIRE
Susciter
un éveil critique
"Je suis la source absolue"[433].
Voici ce qu'énonçait Merleau-Ponty. Parallèlement, Antoine de La Garanderie
constatait que "la très grande soumission au modèle rend difficile
l'incarnation"[434].
Nous l'avons vu précédemment, tout être engrange, se
construit, se structure, sur ses perceptions mais aussi sur l'élaboration
lente, riche et infinie de ses évocations :
écouter sans induire,
accompagner sans réduire l'espace, accélérer ou
freiner le rythme,
suggérer sans imposer,
nourrir sans submerger,
autant d'attitudes difficiles, si ce n'est
présomptueuses, afin de permettre la mise en mouvement d'une dialectique
mentale entre imagination reproductrice (s'élaborant sur les acquis) et
imagination créatrice (émergence de l'individu dans sa singularité). Gilbert
Durand observe l'artiste du XXe siècle et le dépeint ainsi : "L'artiste
désespérément cherche à ancrer son évocation par-delà le désert scientiste de
notre pédagogie culturelle"[435].
Aussi s'attache-t-il à reconsidérer l'imagination symbolique en développant son
caractère poétique et transcendant, son rôle moteur dans l'éveil de l'esprit et
sa liberté créatrice de sens.
Afin de faire prendre conscience de la relation
entre la forme et le sens et notamment le sens véhiculé par la forme, nous
proposions dans le cadre du BEP de dessinateur en architecture, de concevoir un
objet qui permettrait d'appréhender cinq sensations comme : le froid, le
piquant, la souplesse,... ou autres et parallèlement de transcrire visuellement
ces mêmes sensations. Nous désirons relater le travail de Cyrille qui
s'appliquait à traiter la profondeur. Concevant un cube dont l'un des côtés
était ouvert, il plaçait un miroir sur la base intérieure du cube. Ainsi, le
miroir réfléchissait la hauteur du cube. Le volume était posé sur la table. L'idée,
bien qu'assez simple, était intéressante et
nous semblait être un bon support de découverte. En effet, la forme
ainsi construite ne servait que partiellement l'idée. Pour que la sensation de
profondeur puisse revêtir un quelconque réalisme, il eût fallu que nous
pussions l'appréhender visuellement. Mais comment conduire cet élève vers la
découverte du sens implicite présent. Son cube était initialement posé sur un
socle plus large et légèrement surélevé. Nous invitions donc l'élève à exprimer
quelle intention était contenue dans l'évocation visuelle esquissée. Cyrille ne
développait pas de discours verbal. En effet, il fonctionnait dans l'espace et
associait visuellement les différents éléments. A mesure que les images se
constituaient dans sa tête, il assemblait manuellement les éléments matériels.
Sa composition témoignait d'une logique d'application et d'un intérêt pour la
question du "comment". Ainsi, nous lui posions la question du
"pourquoi". L'inviter à se questionner sur le sens, transformait l'image
visuelle et révélait la nature des liens entre les éléments. Dès lors, le
blocage se levait. De fil en aiguille relatant l'intention et la notion de
profondeur, il parvint à concevoir en trompe-l'oeil cette profondeur à
l'extérieur du volume, en sous-face du miroir, lui conférant une crédibilité.
Le sens contenu, à l'origine à l'état embryonnaire, trouvait dès lors sa
matérialité dans la forme et dans son amplitude. La volumétrie ainsi travaillée
servait de support visuel à l'évocation de la profondeur.
Mais quelles sont les conduites pédagogiques propres
à déclencher l'imagination ? Sommes-nous susceptibles de "produire"
de l'inédit ? En effet, la particularité de l'inédit réside souvent dans son
hétérogénéité. "On ne fait pas de poésie au sein d'une unité : l'unique
n'a pas de propriété poétique... on peut se servir de la dialectique comme d'un
fracas qui réveille les résonnances endormies"[436].
Dans les faits, l'inédit est parfois le fruit d'un rapprochement accidentel,
d'une association d'idées fugace, d'un constat étonnant éveillant la curiosité.
Autant de processus mentaux qui résultent ou alimentent une dialectique qui
nous fait traverser d'un champ à un autre, mettre en résonance des éléments
divers sur la base d'un dénominateur commun ou jouer sur le simple plaisir des
mots... Enfin, tout un jeu actif de découvertes combinées, destiné à attiser
les sens et l'esprit jusqu'à enflammer l'imaginaire.
Nous pourrions proposer de revivifier cet accès à
l'imaginaire, par la redécouverte des contes, des légendes, des mythes. Leurs
empreintes poétiques, oniriques et symboliques conduiraient l'être à une
profondeur du sens, animeraient la fonction fabulatrice et dynamiseraient une
nouvelle dialectique. Enfin, cette découverte créerait un lien entre la représentation
concrète et le sens à jamais abstrait. Nous aimerions relater la recherche
laborieuse et tenace de Miguel. Sur tous ses travaux, nous nous confrontions à
cette même difficulté, arriver à réduire cette distance entre le travail
créatif alimenté par un imaginaire puissant, révélant d'étonnantes formes et
suggestions et l'approche concrète, plus structurée, matérielle en prise avec
la réalité des surfaces, la résistance des matériaux, les contraintes de
structure qui enfermaient immanquablement la production dans une expression
figée, sèche et stéréotypée. L'enjeu, au plan pédagogique, était de parvenir à
traiter cet "entre-deux", cette frontière entre imaginaire et
réalisme, entre créativité et technicité.
Nous appuyant sur les plans et organigrammes élaborés,
nous invitions à l'observation des zones franches, non traitées, tout juste
juxtaposées, voire distantes de sorte qu'il résultait une sensation de vacuité,
de béance et dans tous les cas d'indéterminations. Conduisant l'élève à
s'interroger sur les lieux possibles, sur le sens souhaité ou à développer,
nous cheminions vers une conscientisation. Les différentes composantes du plan
étaient posées sans se soucier du tout, sans penser la relation entre elles ;
il résultait de ces rapprochements aléatoires, l'image d'un tissu à larges
mailles dont certaines semblaient absentes et d'autres éxécutées de manière
aléatoire ou érronée.
Dès lors, nous avons reparcouru verbalement au
travers du récit de l'élève, ces différents plans afin de rescenser les
intentions désirées, parfois antinomiques en apparence et néanmoins présentes.
L'élève lui-même constata les analogies et
rapprochements que nous pourrions conduire entre certaines données, ou les
différences invitant à distancier d'autres éléments.
Nous décidions de nous attarder sur les différences,
comme si l'hétérogénéité était porteur de sens. Faire valoir, oppositions ,
contrastes, ce "milieu" ambiant où il se mouvait avec aisance. Nous
avons pu constater que la constitution des liens se pensait en effet sur les
différences et donnait naissance à une forme plus créative et réconciliée.
Ainsi, il pût traduire par un nouvel
"organigramme" la structure relationnelle sous-jacente de son
programme en respectant ses intentions originelles. Ainsi, transcrites en termes
d'oppositions, il pût paradoxalement observer la cohabitation et la combinaison
de ses désirs imaginaires et des contraintes techniques, son regard poétique et
les impératifs de surfaces, ainsi de suite jusqu'à l'harmonisation de
l'ensemble.
Cet équilibre retrouvé, nous sommes en mesure de
relier le signe au signifié de manière homogène, accédant ainsi au sens dans sa
dimension la plus cohérente, la plus fine, la plus subtile et enfin la plus
enracinée. Il nous est donné de "contrebalancer notre pensée critique,
notre imagination démystifiée, par l'inaliénable "pensée sauvage" qui
tend la main fraternelle de l'espèce à notre déréliction orgueilleuse de
civilisé"[437].
En effet, nous assistons aujourd'hui en
architecture, au recours à des symboles désinvestis, déspiritualisés, qui lui
confèrent une esthétique de signalétique. Il ne faut pas s'y tromper, ne
croyons pas que "l'architecture a retrouvé l'harmonie perdue entre la
forme et le sens parce qu'elle invente des formes-sens"[438].
Le fonctionnalisme s'ancrait sur la nécessité de la fonction. Le
déconstructivisme des années 80 remettait en question les principes
fondamentaux d'équilibre, d'unité, de fonction dans l'art de construire.
Aujourd'hui, nous traversons le néo-conceptualisme où l'idée est arbitraire et
nous leurre.
Dans ce contexte, en préservant une nécessaire
réceptivité au monde extérieur et aux êtres,
l'enseignement de l'architecture exige, en particulier, "un
antidogmatisme forcené fondé sur le relativisme des thèses et antithèses et non
pas des modes"[439].
Développer des regards critiques, des esprits clairvoyants, et ne pas
s'enfermer dans une attitude recherchée "objective". Réintégrons
notre subjectivité, elle nous préserve de la modélisation, des projets
étriqués.
Ouvrir à cet espace de liberté
"surveillée" vers la quête de ce que nous ne connaissons pas, tel un
funambule dans l'espace ; sortir du plan, de la limite, de la frontière, vers
un ailleurs... découvrir un point de vue subtil, suspendu, inspiré d'un air
nouveau, telle est notre ambition.
Revivifions notre imaginaire par le développement
d'un sens ludique et critique pour enfin transmettre avec générosité les
trésors singuliers dont nous sommes porteurs.
CONCLUSION
L’acte architectural s’inscrit à mi-chemin entre la
réflexion du philosophe et la fulgurance du geste de l’artiste. Patrice Loraux
situe ces deux attitudes ainsi :
"Osons parodier Rimbaud : un premier essai, par
son bondissement, a pris les devants. Les autres tentent de suivre. Les choses
se sont ainsi disposées d'elles-mêmes. Mais, au seuil de s'élancer, ne
faudrait-il pas rassembler ses forces, les évaluer, procéder au calcul des
possibilités, retarder, encore retarder pour mieux concentrer l'énergie ? Voilà
ce qu'on appellera incuber, une méditation, une concentration méditante
exagérément prolongée avant le passage à la formulation. Mais c'est une maladie
aussi bien qui incube : on le voit clairement dans le dernier essai, qui
identifie le retard dans le passage à l'oeuvre avec la sensation même de créer.
Mais, juste après l'essai sur Rimbaud, il y a comme
un affaissement.
Rimbaud a distancé la philosophie.
Il a le premier atteint l'essentiel. Assez loin
derrière, la philosophie s'active. Mais qu'est-ce que l'essentiel ? Affronter
l'autre côté, quand toutes les ratiocinations sont enfin derrière, que la
pensée en a enfin fini avec ses précautions, ses prudences, son verbalisme
aussi, sa croyance que le langage fera tout et son art de susciter toujours
d'autres résistances ou d'inventer de nouvelles garanties nécessaires. Rimbaud
étant passé, il y a donc un affaissement. Une passerelle était offerte par
l'autre côté, c'est au premier qui l'empruntera ; juste après, elle s'effondre.
Une passerelle qui ne donne le passage qu'une seule fois était lancée
par-dessus la question du possible, et donnait directement accès à l'inconnu.
Après, il faudra négocier le passage..."
"Juste derrière le premier essai, sans doute à
la suite de l'éblouissement-Rimbaud, parce qu'il a, par sa vitesse, tout
ébranlé et aussi tout laissé intouché par sa célérité même, derrière Rimbaud
qui ne s'est pas laissé le temps de ratiociner sur le praticable, toutes les
résistances à une effectuation normalement possible sont concentrées, intactes.
Normalement, c'est-à-dire sans amplification pathétique. Tous les problèmes de
la forme "suis-je capable de poursuivre ? " reprennent
l'offensive"[440].
Voici exprimé longuement certes, mais avec tant de
réalisme, la problématique à laquelle l'architecte se confronte. Il devra
puiser en lui, un second souffle qui le mènera au-delà des doutes et des
hypothèses pour arriver à "accoucher" avec célérité, tel Rimbaud, de
son geste d'esquisse. Mais, dans ces questionnements incessants, peut-être
s'agit-il pour lui, de raviver le plaisir de dilater le temps, afin de
reparcourir maintes fois l'espace récité, relier avec plus de justesse
sensations et discours, spatialité et temporalité, réalités pratiques et
intentions.
Philippe Boudon dans L'architecte et le philosophe dénonce un défaut de communication
entre architecture et philosophie. Il situe "d'un côté un champ, celui de
la philosophie (qui) accorde au logos, à la parole, au discours, à la langue
une importance première ; tandis que de l'autre l'architecture, (où) il semble
que l'on ne s'embarrasse pas beaucoup du verbe, sans doute pour la simple
raison que l'objet est ailleurs : il est dans le bâti"[441].
Ainsi l'objet de la philosophie est-il de connaître et celui de l'architecture
de construire. Devons-nous renoncer à ce que la philosophie vienne enrichir
l'architecture et réciproquement. Certes non, mais comment susciter cette
rencontre.
Si à l’occasion de ce travail, nous avions réussi à
relier : philosophie et architecture, il nous semble que la passerelle se
situerait sur le terrain de la pédagogie, avec comme souci premier de voir se
réaliser l’être. Marcel Jousse ne déclarait-il pas dans Anthropologie du geste : "Le vrai laboratoire est donc le
laboratoire de soi-même : S'INSTRUIRE C'EST SE BATIR"[442].
Construire notre être et penser notre espace,
penser notre être et construire notre espace.
Pour ce faire, en pédagogie, théorie et pratique
nous semblent indissociables. Nous rejoignons Kandinsky lorsqu'il considère que
"toute théorie artistique authentique..., reste dépendante d'une pratique
créatrice, donc d'une application de la
méthode, pratique à laquelle son destin est lié, pratique dont elle est presque obligatoirement issue"[443].
Et l'architecture nous paraît être un terrain d'application particulièrement
adapté aujourd'hui aux préoccupations théoriques philosophiques. Nous serions
tentée de penser que l'architecture a beaucoup à gagner. En effet, la plupart
du temps, l'architecte entretient un discours social sur l'architecture et
produit des "objets urbains" où l'usager ne trouve pas sa place. Le
discours social ne contribue pas à faire la part belle à l'individu, qui ne se
retrouve pas, une fois encore, dans cet amalgame.
Edgar Morin nous situe "toujours dans l'ère
barbare des idées", qu'il développe ainsi : "La pathologie de l'idée
est dans l'idéalisme, où l'idée occulte la réalité qu'elle a mission de
traduire et se prend pour seule réelle. La maladie de la théorie est dans le
doctrinarisme et le dogmatisme qui renferment la théorie sur elle-même et la
pétrifient. La pathologie de la raison est la rationalisation qui enferme le
réel dans un système d'idées cohérent mais partiel et unilatéral, et qui ne
sait, ni qu'une partie du réel est irrationalisable, ni que la rationalité a
pour mission de dialoguer avec l'irrationalisable"[444].
Comment dépasser l'idéalisme ?
Comment s'affranchir du dogmatisme ?
Comment sortir de la raison raisonnante ?
Ne s'agit-il pas pour le pédagogue de faire prendre
conscience à tout individu de la complexité qu'il aura à traiter et de lui
proposer divers outils, à savoir :
Aider celui-ci à nourrir trois attitudes
indispensables : disposer d'une conscience personnelle, s'associer une forme de
relativité et même de subjectivité et développer un regard critique.
Examinons ces trois attitudes.
La conscience,
"Paul Ricoeur est l'héritier d'une tradition
philosophique qui envisage le sujet comme un être conscient, porteur d'une
volonté, de projet et doué d'une conscience de soi. La connaissance de soi
procède d'un travail réflexif d'auto-élucidation. Telle est la tâche la plus
haute de la philosophie"[445],
selon lui. Il n'est pas isolé. Il
rejoint par ces termes, Antoine de La Garanderie qui présente la conscience
comme le moyen des moyens en pédagogie. Cette position nous conduit à une
exigence : posé un regard juste afin de trouver l'essence de chaque chose, à
commencer par nous-mêmes. Il est vrai que c'est un dur labeur que d'apprendre à
se voir. De cette observation de nous-mêmes, nous sommes seuls à pouvoir
examiner notre subjectivité, combien nécessaire et subtile. Elle ouvre la voie
à la relativité.
La relativité,
"Chaque forme est aussi sensible qu'un petit
nuage de fumée : le déplacement le plus imperceptible de l'une de ses parties
la modifie d'une façon importante"[446]
Cette illustration traite du mouvement insensible et non moins déterminant,
présent dans toute composition. C'est ce mouvement qui permet de multiplier les
points de vue et de développer autant de regards que nous le souhaitons. La
reconnaissance de cette partie subjective, le double de notre être, assure le
respect de l'individu dans ce qu'il a d'unique et surtout dans son intégrité ;
autorisant, la différence de rythme, le choix des outils et le point de vue à
l'origine du projet, engendrant la découverte de multiples approches, ...
combien nuancées, selon les personnalités. Paraphrasant Bachelard, nous
pourrions dire qu'un pédagogue enseignant à "l'homme réel, ne rencontre
qu'un être découronné"[447].
Pour rencontrer l'être conscient dans sa
singularité, il reste à lui ouvrir la voie du sens critique.
Le sens critique,
"Combien d'éponges nous avons connues, collées
à jamais sous un portique d'Athènes, absorbant et restituant sans effort toutes
les opinions fluctuantes autour d'elles; éponges et paroles baignées, imbues
indifféremment de Socrate, d'Anaxagore, de Melittos, du dernier qui a
parlé ! les éponges et les sots ont ceci de commun, qu'ils adhèrent, ô
Socrate !"[448].
Une telle constatation suffirait à plonger dans le
plus grand désarroi, tout pédagogue soucieux de sa mission. En effet, ne
s'agit-il pas de permettre à tout individu de se situer et de porter un regard
distancié.
Si l'idée nous semble nécessaire en architecture, il
nous parait essentiel au-delà de ce contexte spécifique, d'emprunter ce chemin
au sein de toute démarche pédagogique. Mais pour ce faire, "prendra-t-on
des documents chez ceux qui n'imaginent pas, qui se défendent d'imaginer, qui
"réduisent" les images foisonnantes à une idée stable, chez ceux plus
subtils négateurs de l'imagination qui "interprètent" les
images"[449], ou
entrerons-nous dans la région d'une poétique du sensible, où "un phénomène
d'être se lève sous nos yeux, à fond de rêverie"[450].
Ces trois attitudes intégrées contribuent à accéder
à l'analyse d'une tresse complexe, ayant pris la mesure de l'imbrication
d'éléments extraordinairement fins et précis, mais pas à la synthèse du projet.
Nous avons parcouru "tout le trajet allant de la norme à la décision
singulière, par l'intermédiaire de la délibération"[451].
Il est
question alors "d'user d'une délibération régie par une logique du probable et non par une logique de la preuve pour
aboutir à une décision concrète"[452]
et inédite.
Mais, ces trois étapes ne sauraient suffire à
l'appréhension du projet pédagogique. En effet, il est fondamental que tout
pédagogue fasse prendre conscience à l'individu qu'en complément de cette
intégration mentale, se présente une assimilation corporelle. En effet,
"l'homme pense avec son corps"[453].
Aussi, s'agit-il de libérer le geste pour atteindre à l'extériorisation de
l'être dans l'oeuvre. Le geste nous paraît se situer à l’origine même de tout
apprentissage. Par lui, tel l’enfant jetant devant lui, l’être se présentifie,
découverte de lui-même, du monde, de ses actes et de ses pensées.
Pourquoi ne pas reprendre pied avec la pratique ?
Il nous faut admettre que l'Anthropos n'est "essentiellement qu'un complexus de
gestes"[454] comme le
définit Marcel Jousse. Aussi, il nous faut faire face à la complexité et
peut-être redécouvrir le geste, tel l'outil capable de nous initier. Le langage
des gestes n'est-il pas à l'origine de l'expression humaine ?
En effet, actuellement, nous assistons à un
déplacement des modes d'apprentissage. L'usage de l'informatique avec ses
données, ses entrées et ses productions ampute partiellement le processus de
réflexion individuelle pour induire un fonctionnement conformiste. Des schèmes
répétitifs, intégrés, binaires, ... constituent un mode rationnel de saisies
des informations et de traitement. Peut-être est-ce un signe des temps ? Il
reste néanmoins que le dernier salon "Constructique 96" a invité une
dizaine d'architectes à venir débattre de l'influence de l'imagerie numérique
et de cette nouvelle culture, sur la conception et la représentation du projet,
ainsi que sur la manière d'aborder la formation des jeunes architectes.
A cela Jean-Charles Lebahar répond : "Il est plus souhaitable de
permettre aux étudiants en architecture de devenir des poètes, que de devenir
les simples militants d'un modèle quelconque"[455].
"Il importe, avant tout, sous prétexte de
progrès, de ne pas sacrifier l'homme"[456].
L'analogie entre cet outil et tout être humain
réside dans le fait que les données informatiques correspondent à nos
perceptions, leur entrée s'effectue chez l'individu par le biais des évocations
et la production s'élabore en lui dans le projet.
Ainsi la conscience de rationalité de l'ordinateur
fait place à une conscience sensible de l'être infiniment plus subtile et riche
de sens. David Lodge, écrivain, témoigne ainsi de son rapport à la main et à
l'informatique : "J'écris des brouillons au stylo. Il y a une connexion
directe entre le cerveau, l'intime, le moi vital et la main, l'outil charnel.
Ainsi, je me sens libre d'écrire, de raturer, de couper. Mon travail demeure
vivant car toutes mes corrections restent visibles, alors que la machine efface
tout. Ensuite, je tape la mouture finale. Là, je deviens lecteur de mon propre
texte. L'ordinateur met une distance entre les mots et leur sens".[457]
Mais revenons au corps, au geste, combinaison
magique de la main et du mouvement. Kandinsky déclarait : "L'artiste est
la main qui, par l'usage convenable de telle ou telle touche, met
l'âme humaine en vibration"[458].
Il nous semble que l'architecte, confronté dès
l'origine du projet au problème de la complexité, avec son lot de contraintes, son
flot d'indices sensibles, son entendement et sa nécessaire participation à la
mise en forme de la matière, ait trouvé dans l'esquisse, un outil généreux,
ludique et souple capable de dépasser la contradiction sans la nier. Un outil
intégrant l'imperfection puisque la démarche même comporte l'incertitude et la
reconnaissance de l'irréductible ; mais surtout un outil fonctionnant comme un
"régulateur" préservant de tous les excès de l'esprit humain :
idéalisme, dogmatisme ou rationalité...
En conséquence, nous sommes tentés d'établir une
correspondance entre l'esquisse et le symbole. En effet, outre leur rôle commun
de régulateur d'équilibre entre des forces antagonistes, nous avons recensé
différentes fonctions semblables à savoir un principe de multivalence qui
confère à l'un et à l'autre la capacité à exprimer une pluralité de sens, à la
fois dans une dimension consciente et inconsciente. Une nature
"flexible" qui prête à l'esquisse et au symbole, un usage
exploratoire. A la fois, "union de signe et de signifié", l'esquisse
comme le symbole "gagne en profondeur, ce qu'elle perd en précision"[459].
Jean-Charles Lebahar le rappelle l'esquisse contient "une provision
d'imprécision qui assure une certitude provisoire"[460].
Ils constituent enfin, un processus de connaissance, dans leur aptitude à
"transcender les contraires"[461]
ou comme l'énonce Gilbert Durand dans L'imagination
symbolique à remplir le rôle "d'unificateur de paires
d'opposés..."
Si le symbole tient sa valeur à sa partie manquante
et invisible au plan de l'étymologie, il semble placé aux portes du psychisme.
A ce titre, nous nous référerons à Hegel lorsqu'il présente le symbole comme un
"langage qui tout muet qu'il est, parle à l'esprit"[462],
pour évoquer l'étendue de l'esquisse : Un infini dans le fini.
Le geste subtil inscrira par la main, la trace finie
d'une quête insatiable de l'être, comme le témoin d'un instant sur fond
d'éternité.
Nous ne travaillons que pour un but qui fuit
toujours...
En architecture sans doute, en philosophie également
et en pédagogie certainement.
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ANNEXE
[1]DASTUR (Française), "Husserl ou la neutralité de l’art", in La part de l’oeil : Art et Phénoménologie (n°7), Bruxelles, Presses de l’académie des Beaux-Arts de Bruxelles, 1991, p 20.
[2]MERLEAU-PONTY (Maurice), L’oeil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1995, p 93.
[3]ibid., p 60.
[4]GAILLARD (Françoise), "Symbole, sens et architecture", in Le beau aujourd'hui, Paris, Centre Pompidou, 1993, p 110.
[5]ibid., p 110.
[6]GROPIUS (Walter), The New Architecture and the Bauhaus (Londres, 1935), p 21-32, in La signification dans l'architecture occidentale de Christian Norberg-Schulz, Liège, Mardaga, 1991, p 358.
[7]ibid., p 359.
[8]DURAND (Gilbert), L'imagination symbolique, Paris, PUF, 1993, p 126.
[9]MERLEAU-PONTY (Maurice), L'oeil et l'esprit, Paris, Gallimard, 1995, p 2.
[10]BACHELARD (Gaston), La poétique de l'espace, Paris, PUF, 1992, p 4.
[11]Paris, Gallimard, 1952, p 210.
[12]ibid., p 2.
[13]SERS (Philippe), "Préface - Kandinsky philosophe", Du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier de Wassily Kandinsky, Paris, Folio 1994, p 14.
[14]KANDINSKY (Wassily), Du spirituel dans l'art et la peinture en particulier, Paris, Folio, 1994, p 58.
[15]MARC (Olivier), Psychanalyse de la maison, Paris, Seuil, 1972, p 105.
[16]Paris, Centurion, 1989, p 14.
[17]La jeune Parque, Paris, Gallimard, 1974, p 11-12 .
[18]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Robert, 1992, p 728.
[19]Le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 6.
[20]ibid., p 13.
[21]POUSSIN (Frédérique),"La représentation : Virtualité de la figure architecturale", De l’architecture à l’épistémologie, Paris, PUF, 1991, p 131.
[22]" Les charmes de l'inclassable", in Images et imaginaires d'architectures, Paris, Centre Georges Pompidou, 1984, p 70.
[23]Husserl ou la neurtralité de l'art", in "La part de l'oeil : Art et phénoménologie (n°7), Bruxelles, Presses de l'académie des Beaux Arts de Bruxelles, 1991, p 19.
[24]BACHELARD (Gaston), La poétique de l'espace, Paris, PUF, 1992, p 8.
[25]Paris, Centre Georges Pompidou, 1984, p 153.
[26]Dans le texte, nous retrouverons ses 4 personnes respectivement sous les initiales : OR, JPBF, SG, RK.
[27]DURAND (Gilbert), l'imagination symbolique, Paris, PUF, 1968, p 38. Cite Pierre Emmanuel, Considération de l'extase
[28]JPBF, p 9.
[29]op. cit., p 91.
[30]OR, p 51.
[31]Exposition Centre Georges Pompidou, Juillet 1993.
[32]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987.
[33]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal, Robert, 1992, p 887.
[34]ibid., p 887.
[35]COMTE-SPONVILLE(André), Le mythe d'Icare, traité du désespoir et de la béatitude, Paris, PUF, 1994, p 196.
[36]MERLEAU-PONTY (Maurice), Le primat de la perception, Vendôme : Verdier, 1996, p 59.
[37]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 1645.
[38]CELESTE Patrick, Images et Imaginaires d'Architectures, "Vocabulaire traditionnel des dessins d'architecture", Paris : Centre Georges Pompidou, 1984, p 156.
[39]Comprendre et imaginer, Paris : Centurion, 1987, p 171.
[40]ARTUR (Thierry), "Pour une phénoménologie du projet", in Gestion mentale (n°4), Bayard, Paris, 1992, p 27.
[41]ibid., p 28.
[42]op. cit. p 33.
[43]op. cit. p 33.
[44]op. cit. p 37.
[45]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 1919.
[46]La phénoménologie de la perception, Paris : Gallimard, 1995, p 9.
[47]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 1474 - 1475.
[48]MERLEAU-PONTY (Maurice), Phénoménologie de la perception, Paris : Gallimard, 1995, p V.
[49]ibid., p XII.
[50]MERLEAU - PONTY (Maurice), Le Primat de la perception, Vendôme : Verdier, 1996, p 47.
[51]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 752.
[52]Comprendre et imaginer, Paris : Centurion, 1987, p 169.
[53]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 1220.
[54] LA GARANDERIE (Antoine de), comprendre et imaginer, Paris : Centurion, 1987, p 170.
[55] LA GARANDERIE (Antoine de), Défense et illustration de l'introspection, Paris : Centurion, 1989, p 12.
[56]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 461.
[57]ibid., p 169.
[58]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 1743.
[59]ibid., p 1743.
[60]ibid., p 1743.
[61]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 997.
[62]ibid.,p 997.
[63]Comprendre et imaginer, Paris : Centurion, 1987, p 170.
[64]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue française, Montréal : Robert, 1992, p 1047.
[65]ibid., p 1047.
[66]ibid., p 1047.
[67]ibid., P 1047.
[68]ARTUR (Thierry), "Le sens phénoménologique de l'image mentale", in La Gestion mentale en questions, Toulouse, Erès, 1995, p 147.
[69]ARTUR (Thierry), "La pédagogie du vide de Hervé Boillot et Michel Le Du", in Gestion mentale, (n°7), Bayard, 1995, p 190.
[70]op. cit. p 191.
[71]op. cit. p 192.
[72]MERLEAU- PONTY (Maurice), Phénoménologie de la perception, Paris: Gallimard, 1995, p XI.
[73]RK, p 26.
[74]RK, p 26.
[75]RK, p 18.
[76]RK, p 19.
[77]SG, p 5.
[78]SG, p 8.
[79]op. cit., p 15.
[80]OR, p 1.
[81]SG, p 4.
[82]SG, p 1.
[83]SG, p 6.
[84]JPBF, p 2.
[85]RK, p 30.
[86]JPBF,p 1.
[87]OR, p 2.
[88]RK, p 26.
[89]RK, p 26.
[90]RK, p 16.
[91]JPBF,p 1.
[92]OR, p 1.
[93]JPBF, p 1.
[94]OR, p 2.
[95]SG, p 5.
[96]SG, p 6.
[97]RK, p 22.
[98]POUSSIN (Frédérique), De l’architecture à l’épistémologie, Paris, PUF, 1991, p 141.
[99]SG, p 4.
[100]JPBF, p 19.
[101]JPBF, p 16-17.
[102]RK, p 17.
[103]OR, p 4.
[104]RK, p 18.
[105]RK, p 15.
[106]OR, p 28.
[107]JPBF, p 17.
[108]OR, p 33.
[109]JPBF, p 11.
[110]OR, p 31.
[111]Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 90.
[112]OR, p 7.
[113]op. cit. , p 90.
[114]LE BOT (Marc) Pensée artistique et expérience de l’altérité, Paris, Esprit, p 138. cite Hölderlin, Remarques sur Oedipe.
[115]RK, p 25.
[116]RK, p 31.
[117]RK, p 31.
[118]RK, p 32.
[119]RK, p 33.
[120]RK, p 33
[121]RK, p 34.
[122]SG, p 1.
[123]SG, p 2.
[124]JPBF, p 7.
[125]OR, p 12.
[126]OR, p 44.
[127]RK, p 40.
[128]RK, p 41.
[129]RK, p 41.
[130]OR,p 16-17.
[131]SG, p 7.
[132]JPBF, p 25.
[133]JPBF, p 28.
[134]JPBF, p 27.
[135]JPBF, p 20.
[136]JPBF, p 4-7-10.
[137]OR, p 36.
[138]JPBF, p 4-7-10.
[139]RK, p 25.
[140]MARC (Olivier), Psychanalyse de la maison, Seuil, Paris, 1972, p 47.
[141]JPBF, p 13.
[142]JPBF, p 35.
[143]JPBF, p 14.
[144]SG, p 7.
[145]SG, p 3.
[146]SG, p 3.
[147]POUSSIN (Frédérique), De l’architecture à l’épistémologie, Paris, PUF, 1991, p 131.
[148]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et Imaginer, Paris, Centurion, 1987,p 89. cite Teilhard de Chardin, le phénomène humain, p 116.
[149]SG, p 9.
[150]SG, p 8.
[151]Paris, PUF, 1992, p 111.
[152]RK, p 37.
[153]VALERY (Paul), Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, Paris, Gallimard, 1995, p 41
[154]OR, p 22.
[155]JPBF, p 20-28.
[156]SG, p 20.
[157]OR, p 30.
[158]OR, p 31.
[159]OR, p 32.
[160]JPBF, p 13.
[161]OR ,p 16.
[162]RK, p 24.
[163]TA,p 16.
[164]Paris, Aubier-Montaigne,
1957, p 109.
[165]op. cit., p 167.
[166]Paris, Folio, 1992, p 186.
[167]OR, p 35-36.
[168]SG, p 26.
[169]POUSSIN (Frédérique), De l’architecture à l’épistémologie, Paris, PUF, 1991, p 131.
[170]SG, p 26.
[171]RK, p 46.
[172]OR, p 51.
[173]Le Mythe d’Icare - Traité du désespoir et de la béatitude,
Paris, PUF, 1984, p 265.
[174]RK, p 46.
[175]RK, p 46.
[176]La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1992, p 142.
[177]JPBF, p 40.
[178]JPBF, p 2.
[179]SG, p 2.
[180]BACHELARD (Gaston), la poétique de l’espace, Paris, PUF, 1992, p 143.
[181]OR, p 51.
[182]RK, p 46.
[183]Paris, Gallimard, 1952, p 17.
[184]SG, p 23.
[185]SG, p 16.
[186]Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 96.
[187]SG, p 1.
[188]OR, p 38.
[189]RK, p 46.
[190]Paris, ESF, 1990, p 140.
[191]OR, p 31.
[192]OR, p 32.
[193]OR, p 39.
[194]SG, p 12.
[195]La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1992, p 89.
[196]OR, p 37.
[197]OR, p 30.
[198]JPBF, p 20.
[199]Le mythe d’Icare, Paris, PUF, 1984, p 220.
[200]OR, p 37.
[201]OR, p 33-34.
[202]COMTE-SPONVILLE (André) Le mythe d’Icare, Paris, PUF, 1984, p 45
, cité Claude Levi-Strauss.
[203]OR, p 34.
[204]JPBF, p 35.
[205]DURAND (Gilbert), L’imagination symbolique, Paris, PUF,
1968, p 70.
[206]SG, p 25.
[207]JPBF, p 24 .
[208]OR, p 38 .
[209]MERLEAU-PONTY (Maurice), L’oeil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1995, p 68 . cite Georg Schmitt, Les aquarelles de Cézanne, p 21.
[210]Lausanne, L’âge d’homme,
1973, p IX .
[211]OR, p 44.
[212]SG, p 26.
[213]SG, p 24.
[214]OR, p 51.
[215]MATOSSIAN (Chaké), La part de l’oeil - Du grattage ou les démangeaisons de l’artiste, Bruxelles, Presses
de l’Académie Royale des Beaux Arts de Bruxelles, 1990, p 93.
[216]ibid., p 97.
[217]SG, p 12.
[218]COMTE-SPONVILLE (André), Le mythe d’Icare, Paris, PUF, 1984, p 197.
[219]MORIN (Edgar), Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990, p 127.
[220]SG, p 26.
[221]JPBF, p 37-38.
[222]MERLEAU-PONTY (Maurice), L’oeil et l’esprit, Paris, Gallimard,
1995, p 92-93.
[223]MERLEAU-PONTY (Maurice), L’oeil et l’esprit, Paris, Gallimard,
1995, p 85.
[224]JPBF, p 5.
[225]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris,
Centurion, 1987, p 155. cite Bergson, La pensée et le mouvant, p 169.
[226]LE BAHAR (Jean-Charles), le dessin d’architecte, Roquevaire,
Parenthèses, 1983, p 6.
[227]ibid, p 19.
[228]op. cit., p 23.
[229]RK, p 13.
[230]JPBF, p 1.
[231]op. cit., p 21.
[232]JPBF, p 16-17.
[233]JPBF, p 17.
[234]LE BAHAR (Jean-Charles), Le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 23.
[235]SG, p 7.
[236]JPBF, p 5-7.
[237]ibid., p 50.
[238]SG, p 11.
[239]OR, p 7.
[240]Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990, p 49.
[241]LE BAHAR (Jean-Charles), le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 26.
[242]SG, p 11.
[243]MORIN (Edgar), Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990, p 49.
[244]RK, p 31-38.
[245]SG, p 5.
[246]LEBAHAR (Jean Charles), le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 57.
[247]RK, p 17.
[248]JPBF, p 21-22.
[249]JPBF, p 22.
[250]SG, p 11.
[251]OR, p 18 .
[252]OR, p 20.
[253]OR, p 23.
[254]OR, p 40-41-42.
[255]LEBAHAR (Jean-Charles), le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 24.
[256]RK, p 45.
[257]ibid, p 70.
[258]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 90.
[259]JPBF. p 2.
[260]JPBF, p 26.
[261]JPBF, p 27-28.
[262]OR, p 33-34.
[263]Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990, p 57-58.
[264]LA
GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et
imaginer, Paris, Centurion, 1987,p 154-155
.
[265]RK, p 47.
[266]MORIN (Edgar), Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990, p 110.
[267]RK, p 53.
[268]SG, p 11.
[269]SG, p 27.
[270]OR, p 51.
[271]LE BAHAR (JeanCharles), Le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 24.
[272]SG, p 12.
[273]SG, p 30.
[274]RK, p 47.
[275]JPBF, p 7.
[276]SG, p 6.
[277]SG, p 9.
[278]op. cit., p 23.
[279]RK, p 45.
[280]JPBF, p 23.
[281]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 89.
[282]RK, p 45.
[283]op. cit., p 154.
[284]ibid., p 160.
[285]RK, p 44.
[286]op. cit. , p 124.
[287]SG, p 13.
[288]SG, p 13.
[289]op. cit., p 124.
[290]SG, p 22.
[291]RK, p 19.
[292]OR, p 47.
[293]op. cit., p 124.
[294]KANDINSKY (Wassily), Du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier, Paris, Folio, 1994, p 14.
[295]op. cit., p 16.
[296]JPBF, p 6.
[297]JPBF, p 18.
[298]SG, p 13.
[299]op. cit.p 128.
[300]JPBF,p 12-13.
[301]SG, p 20.
[302]SG, p 13.
[303]SG, p 20.
[304]JPBF, p 16.
[305]JPBF, p 18.
[306]JPBF, p 18.
[307]JPBF, p 31.
[308]JPBF, p 33.
[309]JPBF, p 36.
[310]Le mythe d’Icare, Paris, PUF, 1984, p 216.
[311]JPBF, p 32.
[312]Paris, Gallimard, 1945, p
31.
[313]JPBF, p 24.
[314]MATOSSIAN (Chaké), La part de l’oeil, Du grattage ou les
démangeaisons de l’artiste, Bruxelles, Presses de l’Académie Royale des
Beaux Arts de Bruxelles, 1990, p 94.
[315]JPBF, p 35.
[316]JPBF, p 35.
[317]op., cit. p 95.
[318]JPBF, p 20-21.
[319]JPBF, p 14.
[320]JPBF, p 5.
[321]COMTE-SPONVILLE (André), Le mythe d’Icare, Paris, PUF, 1984, p
216-217.
[322]JPBF, p 21.
[323]OR, p 36.
[324]OR, p 7.
[325]OR, p 2.
[326]OR, p 3.
[327]OR, p 13-14.
[328]OR, p 16.
[329]OR, p 3.
[330]OR, p 2.
[331]OR, p 4.
[332]OR, p 16.
[333]Le mythe d’Icare, Paris, PUF, 1984, p 275.
[334]OR, p 51.
[335]VALERY (Paul), Eupalinos, Paris, Gallimard, 1995, p 96.
[336]ibid., p 90.
[337]OR, p 2.
[338]OR, p 35.
[339]BACHELARD (Gaston), La poétique de l’espace, Paris, PUF,
1992, p 162.
[340]OR, p 22.
[341]OR, p 34.
[342]OR, p 31.
[343]OR, p 17.
[344]OR, p 37.
[345]Paris, Gallimard, 1995,
pVIII.
[346]OR, p 51.
[347]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 156. François JACOB, La statue intérieure, p 156.
[348]RK, p 10.
[349]RK, p 22.
[350]RK, p 17.
[351]RK, p 8.
[352]RK, p 18.
[353]RK, p 48.
[354]De l'architecture à l'épistémologie, "La complexité de la correspondance du modèle au réel : l'échelle, cette correction capitale", PUF, Paris, 1991, p 230.
[355]RK, p 26.
[356]RK, p 53.
[357]RK, p 53.
[358]POUSSIN (Frédéric), "De l'architecture à l'épistémologie","La représentation : Virtualité de la figure architecturale", PUF, Paris, 1991, p 130.
[359]POUSSIN (Frédéric), De l'architecture à l'épistémologie, "La représentation : Virtualité de la figure architecturale", cite Bruno Foucart (Images et imaginaires d'architectures : Le combat en trois dimensions : Les peintures devant l'architecture au XIX et XXe siècles", centre Georges Pompidou, Paris, 1984), PUF, Paris, 1991, p 123.
[360]RK, p 51.
[361]RK, p 3.
[362]RK, p 3.
[363]RK, p 52.
[364]RK, p 52.
[365]RK, 42-43.
[366]SG, p 15.
[367]SG, p 5.
[368]SG, p 3.
[369]SG, p 16.
[370]SG, p 16.
[371]SG, p 25.
[372]SG, p 2.
[373]SG, p 24.
[374]SG, p 28.
[375]SG, p 2.
[376]SG, p 26.
[377]SG, p 8.
[378]SG, p 6.
[379]SG, p 7.
[380]SG, p 4-5.
[381]SG, p 9.
[382]SG, p 10.
[383]SG, p 29.
[384]SG, p 8.
[385]SG, p 3.
[386]SG, p 12.
[387]SG, p 12.
[388]SG, p 29.
[389]SG, p 42.
[390]SG, p 29.
[391]SG, p 41.
[392]SG, p 40.
[393]Concevoir, France Quercy, Parenthèses, 1993, p 175.
[394]REY (Alain), Dictionnaire historique de la langue
française, Paris, Robert 1992, p 1461.
[395]OBERLE (Dominique), Créativité et jeu dramatique, Paris, Klincksieck, 1992 , p 94-95.
[396]REY (Alain) Dictionnaire historique de la langue française, Montréal, Robert, 1992, p 1461.
[397]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 87.
[398]HUMBERT (Elie), L’homme aux prises avec son inconscient,
Paris, Retz , p 81.
[399]op. cit. , p 85.
[400]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris,
Centurion, 1987, p 136.
[401]L’oeil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1995, p 21.
[402]HUMBERT (Elie), L’homme aux prises avec l’inconscient,
Paris, Retz, p 88.
[403]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris,
Centurion, 1987, p 159.
[404]La psychanalyse du feu, Paris, Gallimard, 1992, p 48.
[405]HUMBERT (Elie) L’homme aux prises avec l’inconscient,
Paris, Retz, p 87.
[406]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris,
Centurion, 1987, p 136.
[407]La Poétique de l'espace, Paris, PUF, 1992
[408]SALAT (Serge) , LABBE
(Françoise), Les créateurs du Japon, cite
Walter Benjamin Paris, Hermann, p 15.
[409]La statue intérieure, Paris, Seuil, 1987, p 12-13.
[410]op. cit., p 13.
[411]BACHELARD (Gaston), La poétique de l’espace, Paris, PUF,
1992, p 4.
[412]ibid., p 2.
[413]L’architecte et le philosophe, Liège, Mardaga, 1988, p 144.
[414]op. cit., p 888.
[415]op. cit., p 92.
[416]LE BAHAR (Jean Charles), le dessin d’architecte, Roquevaire,
Parenthèses, 1983, p 129.
[417]BACHELARD (Gaston), La poétique de l’espace, Paris, PUF,
1992, p 1.
[418]op. cit. , p 7.
[419]JOUSSE (Marcel), Anthropologie du geste, Mayenne,
Gallimard, 1991, p 15.
[420]JACOB (François), La statue intérieure, Paris, Seuil,
1987, p 12.
[421]"Entretiens avec
Portzamparc", Hauvette, Tschumi in Concevoir, France Quercy, Parenthèses,
1993, p 182.
[422]ATTALI (Jean), "Les
expressions mouvantes du travail de conception", in Concevoir, France Quercy, Parenthèses, 1993, p 136.
[423].SCOFFIER (Richard),
"Entretiens avec Portzamparc, Hauvette, Tschumi", in Concevoir,
France Quercy, Parenthèses, 1993, p 184.
[424]Artistes et philosophes : Educateurs ? : Art et philosophie, Paris, Centre Georges
Pompidou, 1994, p 159.
[425]JOUSSE (Marcel), Anthropologie du geste, Mayenne,
Gallimard, 1991, p 21.
[426]MERLEAU-PONTY (Maurice), L’oeil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1995, p 86.
[427]ARTUR (Thierry), "la pédagogie du vide de Hervé Boillot et Michel Le Du", in Gestion mentale, (n°7), Paris, Bayard, 1995, p 183.
[428]LA GARANDERIE (Antoine de), Comprendre et imaginer, Paris, Centurion, 1987, p 77 , cite Friedrich Nietzsche.
[429]SERS (Philippe), "Préface Kandinsky Philosophe", Du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier, Paris, Folio, 1994, p 18.
[430]op. cit. , p 16.
[431]Le courrier de l’Unesco, un appétit de vivre, Mai 1991, p 16.
[432]Du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier, Paris, Folio, 1994, p 112.
[433]Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1957, p III.
[434] LA GARANDERIE (Antoine de),
Comprendre et imaginer, Paris,
Centurion, 1987, p 100.
[435]L’imagination symbolique, Paris, PUF, 1968, p 24.
[436]BACHELARD (Gaston), La psychanalyse du feu, Paris, Folio, 1992 , p 186.
[437]DURAND (Gilbert), L'imagination symbolique, Paris, PUF, 1968, p 122.
[438]GAILLARD (Françoise), le Beau aujourd’hui, Paris, Centre Georges Pompidou, 1993, p 117.
[439]LE BAHAR (Jean Charles), le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 129.
[440]LORAUX (Patrice), Le tempo de la pensée, Paris, Seuil, 1993, p 16-17.
[441]Conception et projet, Liège, 1993, p 47.
[442]Mayenne, Gallimard, 1991, p 35.
[443]Du spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier, Paris, Folio, 1994, p 18.
[444]Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990, p 23-24.
[445]LECOMTE (Jacques), "Rencontre avec Paul Ricoeur : Connaissance de soi et éthique de l'action", in Sciences Humaines (n°63), Juillet 1996, p 36.
[446]op. cit., p 128.
[447]BACHELARD( Gaston), La poétique de la rêverie, Paris, PUF,
1992, p 69.
[448]VALERY (Paul), Eupalinos, Paris, Gallimard, 1995, p 89.
[449]L'architecte et le philosophe, Liège, Mardaga, 1993, p 138-139.
[450]op. cit., p 29.
[451]LECOMTE (Jacques), " Rencontre avec Paul Ricoeur : connaissance de soi et éthique de l’action", in Sciences Humaines (n°63), Juillet 1996, p 36.
[452]ibid., p 36.
[453]op. cit., p 30.
[454]op. cit., p 33.
[455]LE BAHAR (Jean Charles), Le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 129.
[456]JOUSSE (Marcel), Anthropologie du geste, Mayenne, Gallimard, 1991, p 20.
[457]LAVAL (Martine), Télérama
2403, p 41.
[458]op. cit., p 112.
[459]BERTEAUX (Raoul), La voie symbolique, Paris, Edimaf, 1984,
p 49.
[460]Le dessin d’architecte, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p 58.
[461]ELIADE (Mircea), Images et symboles, Paris, Gallimard,
1952, op. cit., p 64.
[462]HEGEL (Georg Wilheim
Friedrich), Esthétique : Textes choisis,
Paris, PUF, 1992, p 26.